Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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juridiques (sciences) (suite)

Troisième niveau de l’activité d’élaboration du droit, le travail incessant et imposant des auteurs : professeurs, chercheurs, écrivains. Ceux-ci expriment, à partir des textes ou de la jurisprudence, des commentaires, des appréciations, des critiques, des vues prospectives en des écrits qui, lorsque la tribune est choisie (grandes revues juridiques), porteront des effets, charrieront des sédiments, alluvionneront parfois d’une manière déterminante les textes ou en susciteront de nouveaux. La « génétique » du droit révèle des circuits complexes où la pression de l’opinion la plus autorisée finit par s’imposer.

Au sein de la doctrine, il faudrait faire une place toute particulière à la philosophie du droit. Au sens large du terme (qui engloberait les angles d’approche de l’histoire du droit et de la sociologie du droit), il s’agirait d’une science qui, en quelque sorte, sommerait toutes les sciences juridiques particulières. En fait, pour lui donner sa valeur scientifique maximale, le juriste devrait ici dépasser l’étage formel du droit qu’il étudie, et « penser » le droit ; le philosophe du droit devrait tenter de creuser les rapports qui se révèlent entre les faits et le droit, méditant, par exemple, sur les profondes transformations du droit réalisées sous la pression d’événements comme l’industrialisation, recherchant les fondements et les fins du droit, son évolution à travers le temps, sa signification humaine la plus profonde.


Le niveau du praticien du droit, l’assistance aux particuliers sujets de droit

À côté de ces sphères où se perçoit une activité créatrice du droit (législation, jurisprudence, doctrine), niveaux qui feraient définir le « juriste » comme, tout d’abord, le spécialiste concerné par l’un ou l’autre de ces aspects de création de la norme juridique, il faut remarquer d’autres paliers d’activité juridique : occupés par ceux que l’on appelle communément les « praticiens du droit », on y voit le droit en quelque sorte recouper concrètement certaines situations particulières des individus, des entreprises ou des familles.

• Des activités de « conseils », que des juristes ont choisi d’assumer, témoignent de vocations différentes de celles des législateurs, des juges ou des professeurs : activités consistant à assister les sujets de droit (individus, ménages, entreprises*, associations*, syndicats*, etc.) dans leurs rapports quotidiens réciproques ou dans leurs relations avec les pouvoirs publics. Il s’agit, ici, d’étudier les formes les plus favorables, d’appliquer les meilleurs moules juridiques (choix d’un type de société* commerciale, par exemple), de conseiller aux usagers du droit les formules juridiques entraînant la pression administrative ou fiscale la moins pénible. Le conseiller juridique ou le spécialiste fiscal, le chef des services juridiques d’une firme entrent dans cette catégorie de juristes dont la tâche n’est plus, à proprement parler, d’élaborer le droit, mais d’en faciliter l’application.

• Des activités de défenseurs, ou, pour être plus large, d’« auxiliaires de justice », apparaissent par ailleurs dès les temps les plus reculés : très particulièrement celle de l’avocat, dont la mission est, en cas de litige entre deux particuliers, ou en cas d’un différend opposant un particulier à la société, d’assister l’une des parties à la procédure et de soulever devant la juridiction tous les faits susceptibles d’éclairer celle-ci sur l’espèce qui lui est soumise : l’auxiliaire de justice, au pénal, va tenter de soulever l’existence de « circonstances atténuantes » susceptibles de diminuer l’intensité du châtiment que, dans une gamme de peines proposées par les textes, la juridiction va devoir choisir.


Le niveau de l’enseignement du droit

À supposer même qu’un professeur n’exerce pas d’activité doctrinale consistant à infléchir par ses écrits l’élaboration du droit, il demeure qu’il enrichit encore la science juridique par le seul fait d’enseigner celle-ci. La science juridique ne peut vivre dans le seul milieu clos de ses acteurs principaux (légistes, juges, praticiens) et doit constamment être l’objet d’enseignement, de pédagogie, seule génératrice de vocations de juristes et, en définitive, d’enrichissement constant de son niveau. C’est ici l’aspect pédagogique du droit, confié essentiellement aux maîtres des facultés et, depuis quelques années, à certains professeurs de l’enseignement secondaire pour une première pédagogie de cette science, apparue si importante à dispenser, dès le plus jeune âge, aux futurs citoyens.


La vision diachronique : la genèse et l’évolution du droit

Le droit, en tant que discipline rendant compte des agencements réglant la vie des hommes en société, subit de plein fouet la pression, l’effet d’érosion de modifications culturelles, idéologiques, politiques, démographiques aujourd’hui incessantes. De ce fait, s’il est stimulant pour le juriste d’avoir (indépendamment du regard posé sur la discipline particulière qu’il s’est choisie) une vue globale sur la science du droit, il semble tout aussi capital pour lui de considérer l’évolution du droit, d’avoir une vision diachronique de la science juridique. Un certain nombre de constatations s’imposeront alors à lui.


La genèse du droit

• L’apparition de la norme juridique.

Le droit, aux yeux de certains auteurs, n’apparaît que lorsque, à un moment de l’évolution d’un groupe humain donné, des progrès ont été réalisés dans l’organisation sociale. La formule traditionnelle : ibi societas ibi jus est donc écartée comme n’allant pas inconditionnellement de soi. Mais cette conception s’oppose à celle de nombreux ethnologues qui, au contraire, relèvent l’existence de règles juridiques dans toute société, aussi peu évoluée soit-elle.

Pour l’école de pensée marxiste, les sociétés primitives — qui ignorent la division en classes comme l’appropriation privative des moyens de production — ne possèdent pas de droit, parce que les conduites sont spontanément dictées par la société tout entière, les règles de la vie sociale n’ayant pas à être imposées par la contrainte. Le droit ne constitue une norme imposée que lorsque apparaît la classe dominante. La « fin du droit » accompagnera la suppression des classes. Cette conception sera pourtant abandonnée par les Soviétiques eux-mêmes, le phénomène juridique n’étant plus, en U. R. S. S., depuis une trentaine d’années, rattaché intellectuellement au phénomène capitaliste. L’histoire semble démontrer que, dans le socialisme, le droit atteint, au contraire, un haut degré de développement.