Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Juillet (monarchie de) [1830-1848] (suite)

La garde nationale

Organisée par la loi du 22 mars 1831, la milice citoyenne est destinée à seconder l’armée pour la défense du pays et à assurer l’ordre intérieur. Le gouvernement avait voulu en faire un symbole social et le rempart du nouvel ordre bourgeois, mais l’institution était viciée dès l’origine. Notables municipaux et préfets envisagent avec terreur de confier des armes aux ouvriers et aux artisans inscrits au service ordinaire. De plus, il y a un dangereux paradoxe à faire défendre des électeurs du pays légal et leurs biens par des gardes dont la plupart n’ont pas les moyens de payer le cens. Il est vrai que, dans les premiers temps d’euphorie, nombre de petites gens ont été ravies de leurs beaux uniformes, des revues au Carrousel, et les boutiquiers, habituellement craintifs, se sont enrôlés avec joie.

Mais la garde est rapidement engagée, en particulier dans les grandes villes, dans la répression des émeutes. Son attitude est souvent équivoque. Elle laisse saccager l’archevêché de Paris en 1831 ; certaines unités se rangent aux côtés de l’insurrection à Lyon (1831), à Strasbourg et à Colmar (1831, 1833).

Ce rôle de police supplétive, joint aux difficultés de concilier service et activité professionnelle, entraîne la défection des classes moyennes. L’esprit d’opposition gagne du terrain, et le gouvernement procède à des dissolutions en masse (Lyon, Grenoble, Marseille, Strasbourg). En 1835, la garde est dissoute dans vingt-deux villes. Les possédants, apeurés, désertent les élections et laissent le champ libre aux révolutionnaires.


L’évolution politique du régime


Le ministère Laffitte et l’échec du Mouvement (2 nov. 1830 - 13 mars 1831)

Les Trois Glorieuses ont consacré le peuple. Dans l’euphorie de la liberté retrouvée, on manifeste, on défile ; la bourgeoisie, inquiète, flatte les combattants de Juillet (secours aux blessés et décorations) ; le roi passe inlassablement des revues, salue et trinque familièrement.

Mais la crise économique se poursuit depuis 1829. Le chômage persiste, et les faillites en chaîne obligent les pouvoirs publics à débloquer des fonds pour soutenir le commerce en détresse. Bientôt, l’agitation se fait menaçante. Au procès des ministres de Charles X, l’émeute gronde. Louis-Philippe pratique le désamorçage et fait appel au banquier Jacques Laffitte (1767-1844), chef du courant le plus libéral, le « Mouvement », pour constituer le premier gouvernement (2 nov. 1830). L’homme d’affaires se révèle un piètre politicien. Les excès missionnaires de naguère provoquent en retour des manifestations anticléricales ; à Paris, une foule furieuse saccage l’archevêché (14 févr. 1831). Le prétexte invoqué est le service religieux célébré à Saint-Germain-l’Auxerrois par les légitimistes à la mémoire du duc de Berry.

La situation financière s’aggrave, et Laffitte en est réduit aux expédients traditionnels : augmentation d’impôts, retenues sur les salaires et pensions. Quant au roi, il contrecarre systématiquement la diplomatie de son gouvernement qui adopte à propos des insurrections polonaise et italienne une attitude favorable aux insurgés. Discrédité, Laffitte est renvoyé.


Le ministère Casimir Perier et le triomphe de la Résistance (13 mars 1831 - 16 mai 1832)

Pour Perier, Juillet est une fin et « un simple changement dans la personne du chef de l’État ». Son programme — le « système du 13 mars » — se résume en deux mots : sécurité, tranquillité. Le nouveau chef du gouvernement incarne le courant conservateur, la « Résistance » : résistance à l’agitation, aux exigences de démocratie politique ou de réformes sociales, aux billevesées dangereuses qui lient la politique extérieure du pays aux révoltes des peuples opprimés.

Le roi est écarté des conseils de cabinet ; l’Administration est rappelée sans ménagement à l’obéissance. Quant aux ouvriers, ils n’ont rien à attendre du grand industriel dauphinois, partisan convaincu de la libre entreprise. L’insurrection des canuts* lyonnais de novembre 1831 est matée ; à Paris, le préfet de police Henri Joseph Gisquet (1792-1866) traque les révolutionnaires. À l’extérieur, Casimir Perier manœuvre efficacement : Léopold Ier épouse la fille de Louis-Philippe, et la Belgique devient indépendante ; le soutien aux carbonari italiens a cessé, mais la France occupe Ancône pour limiter l’occupation autrichienne. Casimir Perier est emporté le 16 mai 1832 par le choléra.


Le temps des troubles (1832-1835)

L’espoir renaît chez ceux qui espèrent un renversement du régime. L’année 1832 est une année terrible : la hausse des prix frappe durement les classes populaires urbaines ; le choléra, qui s’étend avec rapidité au printemps, décime des milliers de pauvres gens.

L’insurrection hante les imaginations à droite comme à gauche. À Paris, les 5 et 6 juin 1832, à l’occasion des obsèques du général Maximilien Lamarque (1770-1832), les républicains tentent le coup de force et sont écrasés. Du côté des légitimistes, c’est le complot de la rue des Prouvaires (2 févr.) et « l’épopée vendéenne » de la duchesse de Berry, qui sombre dans le burlesque (avr.-nov.).

Après son premier échec, le mouvement républicain s’organise et reçoit le renfort des premières associations proprement ouvrières. Lyon s’insurge de nouveau et succombe après une lutte sanglante (9-12 avr. 1834). À Paris, les sectionnaires du Temple et du Marais subissent le même sort, et les hommes de Bugeaud* se distinguent dans le massacre de la rue Transnonain (13 et 14 avr. 1834). Le gouvernement veut en terminer avec le mouvement républicain : il s’attaque à ses moyens de propagande (lois sur les crieurs publics, sur les associations, sur la presse) ; les insurgés d’avril comparaissent dans un procès monstre (mai 1835). L’attentat de Fieschi contre le roi, le 28 juillet 1835, vient à point nommé pour aggraver la répression : par les lois de septembre 1835 sur la cour d’assises, le jury et la presse, il est pratiquement interdit de se proclamer « républicain ». Est subversive toute attaque contre le roi, le régime ou le gouvernement. Est criminelle toute remise en question des institutions. « Discuter Dieu demeurait un droit ; discuter le roi devenait un crime » (Louis Blanc).