Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jésus (suite)

La foi pascale cherche dans les Écritures le sens que peut prendre la mort ignominieuse de Jésus ; elle comprend que, conformément à ce que Jésus lui-même avait dit de façon voilée durant sa vie terrestre, il accomplit la prophétie du Serviteur de Dieu ; on va donc utiliser les mots mêmes du prophète Isaïe pour dire les événements. Jésus a été humilié, mais aussi exalté, glorifié, tel est le vrai « Serviteur ». Ainsi se manifeste le sens de sa mort : elle nous réconcilie avec Dieu en nous sauvant de nos péchés (I Cor., xv, 3). Ainsi est célébré le repas eucharistique, qui commémore le sacrifice de Jésus (I Cor., xi, 23-25). D’autres appellations viennent nombreuses : Jésus est le Juste qui conduit à la vie, l’Agneau de Dieu sans tare, le Grand Prêtre sans péché, le Médiateur de la Nouvelle Alliance, enfin, sous l’influence conjuguée des religions hellénistiques, il est le Sauveur des hommes.


L’homme Jésus

S’attachant davantage aux origines de celui qu’elle sait vivant aujourd’hui, l’Église apostolique n’a pas tardé à porter son regard sur l’existence terrestre de Jésus. À ce moment, la tradition veut répondre à un double besoin : faire connaître aux non-Juifs la vie de celui qu’on croit ressuscité et proposer en exemple la vie même de Jésus. Ce n’est pas ce que fait Paul dans ses lettres ; mais déjà l’Épître aux Hébreux s’intéresse aux souffrances de Jésus. Enfin, les traditions périphériques montrent que Jésus est le fils de David et qu’on peut dire quelle fut l’origine de celui que nous adorons comme le Seigneur.


Le Premier-né de toute créature

Remonter encore plus haut, c’est découvrir la préexistence de Jésus, selon une démarche qui a dû s’inspirer non du mythe gnostique du Dieu-Sauveur, mais des traditions juives, sapientielles et apocalyptiques, soucieuses de montrer l’unité de la création originelle et de la fin des temps. Dans l’Épître aux Philippiens (ii, 6-11), Paul cite un hymne qui ne montre pas comment la nature humaine aurait été assumée par une personne de nature divine, mais que la présence de Jésus s’étend à la durée entière du temps. Jésus est celui par qui tout existe et par qui nous allons « à Dieu » ; il est l’image du Dieu invisible, le Premier-né de toute créature, celui en qui habite la plénitude de la divinité. À ce niveau, on peut donner à l’expression « Fils de Dieu » un sens qui explicite et déborde celui de la tradition juive et qui ouvre aux précisions ultérieures des siècles à venir : Jésus est dit Dieu avec Dieu même (Jean, i, 1 et 18).

Corollaire de la préexistence, la dimension ecclésiale et cosmique de Jésus se dévoile à son tour. Il a pour corps l’Église entière (Colossiens, i, 18), sa seigneurie s’étend sur le monde entier, dont il a parcouru, selon la cosmologie du temps, les trois étages : terre, enfers, cieux. Enfin, Jésus est le Nouvel Adam (I Cor., xv, 15), celui en qui Dieu rassemble toutes choses (Éphésiens, i, 10), celui qui a fondé la paix en faisant de tous un seul homme (Éphésiens, ii, 13-16).


Présentations évangéliques du mystère

À l’origine, très tôt, des traditions circulèrent qui présentaient Jésus sous différents aspects, en fonction des besoins de la communauté croyante : pour la prédication, pour la catéchèse, pour la liturgie. Ce qui les caractérise toutes, c’est un double souci : elles veulent en même temps enraciner la foi dans la vie terrestre de Jésus et actualiser cette existence. Mais aucune ne présente Jésus comme un héros ou un révolutionnaire ; on offre une rétrospective sur celui qu’on sait vivant à jamais ; au cœur de cette histoire se trouve le foyer de la lumière pascale, celui qui a vécu et est vivant et parle aux chrétiens du temps présent. Tel est l’Évangile avant les Évangiles. Cette christologie ne s’est pas élaborée sous forme systématique ni dans une conjoncture épistolaire, mais avec l’unique intention de présenter et d’actualiser le mystère de Jésus devenu Seigneur. Les Évangiles, qui ont utilisé ces traditions, offrent des aspects variés de cette présentation originelle.

• L’Évangile selon Marc montre comment ce Jésus, à travers sa faiblesse et son ignorance même, est le Fils de Dieu, qui nous a sauvés du mal et de Satan ; il invite ainsi le lecteur à accorder la foi au Fils de Dieu. Cet Évangile est une annonce qui va interpeller l’incroyant, véritable prédication modelée sur le type primitif, qu’on nomme kérygmatique.

• L’Évangile selon Matthieu fait culminer l’existence de Jésus sur le « manifeste » du Ressuscité : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre... Allez donc faire des nations des disciples... Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps. » Matthieu montre comment Jésus couronne le passé d’Israël, quitte à devoir s’en arracher douloureusement ; la justice chrétienne doit accomplir la justice juive. Matthieu actualise pour son temps les événements passés, en montrant, plus fortement que Marc, que les disciples du temps de Jésus sont déjà des croyants imparfaits qui s’acheminent vers la foi pleine.

• Luc, qui manifeste dans son livre sur les Actes des Apôtres l’intérêt qu’il porte à l’Église, donne consistance au temps de Jésus qui s’écoule entre le temps de l’annonce prophétique et celui de l’Église. La vie de Jésus prend valeur pour le temps ecclésial ; elle a été le premier acte du dessein de Dieu dans l’Église, acte qui a valeur typique. L’avenir qui lui succède prend sans cesse appui sur la vie de Jésus : l’événement passé demeure à jamais présent. D’autre part, pour ne signaler qu’un dernier aspect de cet Évangile, le portrait du Christ est davantage celui du Sauveur miséricordieux qui s’adresse aux pauvres, aux pécheurs, aux déshérités de la terre.

• Jean, enfin, prend son point de départ dans l’affirmation traditionnelle de préexistence et montre en Jésus la gloire du Père, la gloire de la résurrection déjà présente à travers les miracles, les « signes » qu’il opère durant son passage ici-bas. Jésus est le Logos, la Parole de Dieu même, le Révélateur absolu et définitif, celui auquel donner sa foi, c’est vivre. Surtout, cet Évangile se soucie de ramener sans cesse le croyant à la personne et à l’activité historique de Jésus, sans lesquelles nulle existence ecclésiale ne peut garder son authenticité, ainsi pour la vie sacramentelle, baptême et eucharistie.