Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jésus (suite)

La Palestine au temps de Jésus

Dans la province romaine de Syrie (5 à 6 millions d’hab.), la Palestine compte approximativement de 5 à 600 000 habitants, dont près des deux tiers en Galilée, la région du Nord, et 30 000 à Jérusalem (à la fête de Pâques, la capitale peut compter jusqu’à 150 000 pèlerins). On y parle la langue araméenne, quoique Jésus ait dû savoir des rudiments de grec. Les Galiléens ne sont pas des gens frustes, et Nazareth est située non loin de Sephoris (Sepphoris), la deuxième ville de Palestine après Jérusalem, en sorte que Jésus a pu avoir de nombreux contacts avec des citadins ; mais, dans son ensemble, la population palestinienne est de type rural.

Du point de vue religieux, deux groupes se distinguent d’après leur connaissance de la loi de Moïse : les uns sont censés l’ignorer et, pour cela, qualifiés de « bas peuple » par les autres ; ceux-ci, cultivés dans le domaine de la Loi et de la religion, se diversifient en plusieurs partis, ou sectes. Les sadducéens constituent la classe privilégiée, avec la caste des grands prêtres et les familles riches et influentes. Foncièrement conservateurs, ils n’admettent pas la valeur des croyances du judaïsme, qui, s’étant fait jour à une époque récente, ne sont pas explicitement contenues dans le Pentateuque : l’existence des anges, la résurrection des morts et même l’espérance messianique. Les pharisiens (ou « séparés ») sont les héritiers de ceux qui, à l’époque des Maccabées, luttèrent héroïquement pour maintenir la piété juive et le respect de la Loi. Ils sont plus populaires que les sadducéens, sans doute parce que plus « progressistes » et moins liés au pouvoir occupant ; ils sont les rabbis (« maîtres ») dans les synagogues, lieux de rassemblement du peuple pour la lecture de la Loi, pour le commentaire et la prière. À la tradition écrite de la Loi, ils ajoutent de nombreuses traditions orales destinées à interpréter la Loi elle-même, de façon plus ou moins rigoriste. Les scribes, spécialistes de la Loi, se recrutent principalement chez eux. Les esséniens, ignorés des Évangiles, mais connus de Josèphe, de Philon et de Pline l’Ancien, se sont montrés à nous en plein jour lors de la découverte en 1947 des manuscrits de Qumrān, près de la mer Morte*. C’étaient, pour la plupart, des moines qui avaient brisé avec le sacerdoce officiel de Jérusalem et suivaient un calendrier qui leur était propre. À la différence des pharisiens, ils sont férus d’apocalypses et rêvent de la guerre sainte qui purifiera définitivement le peuple élu pour la fin des temps, qu’ils voient imminente ; ils pratiquent des baptêmes quotidiens pour maintenir la pureté de leur groupement d’élite.

Les Romains occupent la terre depuis près de cent ans, la pressurant par de lourds impôts qui dévorent jusqu’à 40 p. 100 du revenu de la nation. Les collecteurs d’impôts (les « publicains ») sont particulièrement détestés, et la coutume des pots-de-vin est fort répandue. Tandis que les pharisiens évitent de se mêler des affaires publiques, les sadducéens jouent le rôle des « collaborateurs » avec l’occupant, sans doute pour conserver le pouvoir qu’ils détiennent des Romains depuis l’origine de l’occupation. À l’extrême opposé, recrutés un peu partout, des révolutionnaires, qu’on appellera vers 66 des zélotes, préconisent l’action violente ; en effet, en dépit des faveurs accordées aux Juifs, la révolte gronde partout, spécialement en Galilée, avec le fameux Judas le Galiléen. Varus écrase les rebelles, fait incendier Sephoris et crucifier plus de 2 000 hommes. Cela se passe peu de temps après la naissance de Jésus. La rébellion ne cesse pas pour autant, et les zélotes entraînent le pays dans la guerre juive (67-70), qui prendra fin avec le sac de Jérusalem et la destruction du Temple.


Esquisse de la vie de Jésus

Si les historiens s’accordent aujourd’hui à dire qu’il n’est pas possible d’écrire une biographie scientifique de Jésus ni d’en fournir un itinéraire détaillé, ils s’estiment toutefois capables de reconstituer, à grands traits et pour l’essentiel, ce que fut son existence.

Deux coordonnées de cette existence s’offrent à nous. La vie de Jésus est située topographiquement : elle se déroule en Palestine, surtout en Galilée, particulièrement près du lac de Tibériade, à Capharnaüm, dont les ruines sont encore visibles de nos jours ; Jésus viendra à plusieurs reprises dans la capitale, Jérusalem. L’autre point de repère, dans l’histoire universelle, est fixé par Jean le prophète, qui baptisa Jésus (v. Jean-Baptiste [saint]) : il est mentionné par Josèphe, et Luc (iii, 1-2) précise que Jésus vint au Jourdain « la quinzième année du règne de Tibère », c’est-à-dire, selon le comput syrien, durant l’année qui suit le 1er octobre de l’an 27. À l’aide des données évangéliques, soumises à un examen critique, l’historien peut fournir quelques précisions.

« Aux jours du roi Hérode », donc avant la mort de ce dernier en l’an 4 qui précède notre ère, Jésus naquit à Bethléem, localisation qui s’impose, même si elle a une portée symbolique. Très probablement, cette naissance eut lieu vers les années 7 ou 6 avant notre ère, même si l’on récuse la valeur historique de la notation de Luc sur le recensement de Quirinius.

Jésus vécut à Nazareth en Galilée une enfance dont, en dehors de l’épisode vraisemblable de Jésus parmi les Docteurs de Jérusalem, nous ne pouvons préciser les traits qu’en nous référant à celle des enfants juifs de l’époque.

On appelle Jésus « fils de Joseph, le charpentier », qui, lui-même, est descendant de David. Jésus exerce probablement le métier de charpentier, jusqu’au jour où il se retire dans la solitude du désert de Judée. Puis, vers les années 27-28, il va trouver Jean le Baptiste, qui pratique le rite du baptême d’eau en vue de la pureté requise pour la fin des temps, considérée comme imminente. Ce prophète manifeste une accointance nette avec la mentalité essénienne, dont il partage l’héritage prophétique et la tradition de rudesse ascétique, mais dont il se distingue par sa présence au monde ordinaire des gens et par son annonce du Messie.