Jean III Sobieski (suite)
Achetés par l’empereur et l’électeur, les magnats obligèrent Sobieski à renoncer à sa politique française : ils songèrent même à le détrôner (1678-79). Le roi entreprit alors de former une ligue contre les Turcs ; l’empereur conclut avec lui un traité défensif (1er avr. 1683) : quatre mois après, les Turcs étaient aux portes de Vienne. Jean Sobieski accourut avec 25 000 hommes et prit le commandement des forces réunies (70 000 hommes). Le 12 septembre 1683, à Kahlenberg, sous Vienne, la charge des hussards polonais, appuyée par l’artillerie, mit en déroute les armées de Kara Mustafa (138 000 hommes). Tout le camp turc tomba aux mains du roi de Pologne, qui entra en sauveur dans les murs de Vienne.
L’avance de l’islām était arrêtée, l’Occident libéré du péril turc. L’enthousiasme de l’Europe compensa l’ingratitude et les affronts du Habsbourg : Sobieski était au faîte de sa gloire.
Le héros vaincu par la politique
Pour que la Pologne tirât profit de ce triomphe, il eût fallu conclure au plus vite la paix avec les Turcs affaiblis. Mais le roi céda à la pression de Rome et forma avec l’Autriche et Venise la Sainte Ligue (1684), qui le condamna à servir les intérêts de ses alliés, en épuisant les forces polonaises dans les luttes contre les Turcs et les Tatars, luttes dont l’Autriche devait recueillir les fruits (1684-1691). Vienne le soutint d’autant moins qu’il voulut établir son fils en Moldavie. Pour obtenir l’aide russe, Jean conclut en 1686 avec Moscou un traité qui perpétuait les cessions d’Androussovo (1667), mais ses efforts pour conclure une paix séparée avec les Turcs se brisèrent contre l’opposition des magnats, acquis à Vienne et à Berlin.
Sobieski perdit dès lors son prestige de chef invincible ; privé de l’ascendant qu’il devait à ses victoires (en 1691, il faillit essuyer un désastre en Moldavie), il perdit toute liberté d’action. Ses voisins s’engagèrent, par des traités secrets, à défendre de concert les libertés nobiliaires contre toute réforme (Autriche-Russie, 1676 ; Autriche-Brandebourg, 1686). Leurs intrigues renforcèrent l’opposition des magnats, qui manipulaient la szlachta au cours de diètes tumultueuses et presque toujours interrompues (1688-1695). Les discordes de sa famille, troublée par les intrigues de la reine, revenue à une politique française (1692), achevèrent de décourager le roi vieillissant. Il mourut ayant abandonné l’espoir de fonder une dynastie et d’asseoir un royaume déjà vacillant. Chef de guerre prestigieux, il avait pu cependant moderniser l’armée polonaise : améliorant l’artillerie, renonçant à la levée en masse, de médiocre valeur, incorporant dans l’infanterie renforcée des paysans des domaines royaux.
Après les ruines de l’invasion suédoise, les arts s’étaient de nouveau épanouis en Pologne grâce à la protection éclairée de Sobieski. Grand admirateur de Louis XIV, il s’était fait construire à Wilanów un palais dont l’exemple assura le triomphe du baroque en Pologne. Il avait favorisé l’influence française, surtout en peinture (décoration de Wilanów). Mais son règne marqua aussi l’apogée du « sarmatisme » national, accentuant l’orientalisme du décor de vie. Les lettres que Sobieski écrivit à « Marysieńka » ont une grande valeur littéraire.
C. G.
➙ Pologne.
N. de Salvandy, Histoire du roi Jean Sobieski et du royaume de Pologne (Didier, 1827 ; 5e éd., 1855 ; 2 vol.). / J. B. Morton, Sobieski (Londres, 1932 ; trad. fr. Sobieski, roi de Pologne, 1629-1696, Payot, 1933). / O. F. de Battaglia, Jan Sobieski, König von Polen (Einsiedeln, 1946). / J. Wolinski, Pour une histoire militaire et politique sous Jean Sobieski (en polonais, Varsovie, 1960).
