Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jean sans Terre (suite)

Le souverain Plantagenêt s’allie alors à son cousin l’empereur Otton IV de Brunswick, à un petit seigneur de l’Île-de-France, Renaud de Dammartin, passé en Angleterre en 1212, au comte de Flandre Ferdinand de Portugal, mécontent d’avoir dû renoncer à la possession d’Aire et de Saint-Omer au profit du prince royal Louis. Mais il est vaincu par ce dernier le 2 juillet 1214 à La Roche-aux-Moines, tandis que ses alliés sont totalement défaits à Bouvines le 27 juillet suivant par Philippe Auguste, qui échappe ainsi à l’encerclement dont il était menacé.


La crise de la Monarchie

Malgré les succès remportés contre les Gallois, les Écossais et les Irlandais, de tels échecs achèvent d’ébranler l’autorité de Jean sans Terre déjà atteinte par le refus opposé par Innocent III à la nomination comme archevêque de Canterbury de John de Gray, le candidat que le souverain a désigné en juillet 1205 et auquel le pape préfère celui des moines de Christchurch, Stephen Langton, élu à Rome le 20 décembre 1206.

Son royaume est mis en interdit en mars 1208 et lui-même est excommunié en novembre 1209 pour avoir refusé de s’incliner ; il ne peut plus compter sur l’appui de ses sujets, déliés de leur serment de fidélité en 1211 par le pape, qui confie à Philippe Auguste le soin de mener contre lui une croisade. Aussi doit-il accepter de reprendre son royaume en fief d’Innocent III pour que celui-ci décide de surseoir à son projet en 1213.

Mais, humilié et vaincu, le monarque ne peut plus lever d’écuage sur ses barons, qui, malgré l’intervention du pape en sa faveur cette fois, lui présentent une pétition dite « des barons » à Pâques 1215 et lui imposent l’acceptation de la Grande Charte le 15 juin suivant, peu après que les Londoniens lui eurent arraché la concession d’une charte et furent passés à la révolte (17 mai). Condamnés par le pape, les barons offrent alors la couronne à Louis de France, qui débarque en Angleterre et met en fuite Jean sans Terre, dont la dynastie n’est sauvée que par sa mort subite le 19 octobre 1216.

La Grande Charte

Signé officiellement le 15 juin 1215 (mais scellé sans doute le 19) par Jean sans Terre grâce à la médiation de Stephen Langton, ce document de soixante-trois articles est une simple énumération des privilèges des barons, de l’Église et des hommes libres d’Angleterre. Le roi reconnaît à l’Église les libertés d’élection et de déplacement en cour de Rome (art. 1 et 42) ; il accepte de se soumettre au contrôle d’une commission de vingt-cinq barons autorisés, s’il le faut, à recourir aux armes contre lui (art. 61) ; il s’engage à ne plus empiéter sur les justices féodales, à ne plus lever ni écuage ni aides non préalablement consentis, à l’exception des trois cas traditionnels (art. 12 et 14). Bien qu’il conserve le droit de choisir librement ses officiers et ses conseillers, sous réserve que ces premiers « connaissent bien la loi du royaume » (art. 45), il reconnaît en fait aux barons le droit de limiter considérablement l’arbitraire royal, alors que ceux-ci ne font aucune concession aux habitants des bourgs et des campagnes.

Le roi Jean fit appel en tant que vassal à son seigneur le pape Innocent III, qui condamna l’acte et, « sous menace d’anathème, interdit au roi de l’observer, aux barons et à leurs complices d’en exiger réparation ». Purement circonstancielle à l’origine, la Magna Carta se chargea à partir du xviie s. d’une signification mythique qui lui accorda faussement un caractère novateur.

P. T.

➙ Angleterre / Philippe II Auguste / Plantagenêts / Richard Cœur de Lion.

 C. Petit-Dutaillis, le Roi Jean et Shakespeare (Gallimard, 1944). / S. Painter, The Reign of King John (Baltimore, 1949). / W. L. Warren, King John (Londres, 1961).

Jean sans Peur

(Dijon 1371 - Montereau 1419), duc de Bourgogne de 1404 à 1419.


Fils aîné de Philippe le Hardi et de Marguerite de Flandre, époux de Marguerite de Bavière (1385), comte de Nevers jusqu’en 1404, Jean sans Peur gagne ses éperons d’or de chevalier et son surnom le 25 septembre 1396 à Nicopolis, où il est fait prisonnier par Bayezid Ier. Libéré en juin 1397 moyennant 200 000 florins grâce à l’intervention de Dino Rapondi, marchand lucquois de Paris, il rentre à Dijon le 23 février 1398.

Physiquement disgracié, mais prudent, économe et habile à se faire des amis, l’ambitieux comte de Nevers vit discrètement d’une modeste pension paternelle jusqu’à la disparition de Philippe le Hardi le 27 avril 1404.


Le conflit avec le duc d’Orléans (1404-1407)

Amputé du Brabant, du Limbourg et d’Anvers, que Philippe le Hardi a destinés à son second fils Antoine (duc en 1406), ainsi que des comtés de Nevers, de Rethel et de la terre de Champagne, légués à son cadet, Philippe, l’héritage de Jean comprend pourtant l’essentiel des biens paternels : les deux Bourgognes, l’Artois et la Flandre ; enfin, son influence s’étend en Hainaut, en Hollande ainsi qu’à Liège, où règnent ses deux beaux-frères Guillaume IV et Jean de Bavière.

Retenu loin de Paris par la nécessité de prendre possession de ses domaines, Jean sans Peur doit laisser temporairement le duc Louis d’Orléans prendre la première place au sein du Conseil royal, ce qui permet à ce prince de le priver de toute participation aux finances publiques. En fait, très mécontent, il ne renonce nullement à s’assurer la maîtrise du gouvernement. Après un premier heurt au Conseil à la fin de février 1405, il interdit la levée sur ses domaines de l’aide prescrite par son cousin pour la guerre anglaise. De retour des Pays-Bas à Paris en août à la tête d’une importante armée, il enlève à Juvisy le Dauphin.

Se plaignant du mauvais état du royaume, il propose alors un programme de réformes aux princes, au parlement et à la Chambre des gramme de réforme aux princes, au parlement et à la Chambre des comptes, qui restent neutres. Temporairement réconcilié avec le duc d’Orléans le 16 octobre 1405, il est nommé lieutenant du roi en Picardie, mais, plutôt que d’attaquer Calais, il fait assassiner dans la soirée du 23 novembre 1407 son rival — au moment où celui-ci quitte l’hôtel Barbette — par les hommes de Raoulet d’Anquetonville.

Pleurant plus que tout autre le défunt lors de ses funérailles, célébrées le 24, le duc de Bourgogne avoue son crime le 25 à son oncle Jean, duc de Berry, lors de la réunion du Conseil royal. Puis il s’enfuit, bientôt suivi par les assassins, qu’il récompense largement.