Anges (les) (suite)
L’effondrement
Alexis III Ange (1195-1203), ambitieux frivole et poltron, abandonne la campagne en cours et rentre dans la capitale. En politique intérieure, son règne est une succession de désordres, d’émeutes et de conspirations. L’armée, composée entièrement de mercenaires étrangers, n’a plus que des effectifs réduits et mal payés ; la flotte de guerre disparaît, et les pirates italiens écument les côtes en toute impunité.
Cette faiblesse, tout en facilitant le démembrement du territoire, empêche l’empire d’intervenir efficacement à l’extérieur. En Asie Mineure, les Turcs s’installent en Paphlagonie et ravagent la vallée du Méandre. En Serbie, le gendre du basileus, Étienne Ier Nemanjić, à qui son frère aîné disputait le trône, désespérant d’être aidé par Byzance, se tourne vers la papauté et renvoie son épouse byzantine. En Bulgarie, Alexis s’avère incapable de soutenir son allié Ivanko, qui avait usurpé le pouvoir. Les chefs bulgares Ivanko et Dobromir Khriz, réfugiés dans l’empire, se révoltent et se taillent des fiefs dans la péninsule balkanique (1199-1200). Alexis parvient à s’emparer du premier par la ruse, mais il échoue contre le second, dont la principauté du Vardar tombe aux mains du tsar Kalojan. Le nouveau souverain bulgare, ennemi farouche des Grecs, ne ménage pas ses attaques : non content d’occuper une partie importante de la Macédoine, il enlève Varna (1201) et force Byzance à reconnaître ses conquêtes. Les Occidentaux assaillent à leur tour l’empire à la dérive : l’empereur d’Allemagne Henri VI, qui avait hérité de la couronne de Sicile, exige la cession de la région comprise entre Durazzo et Thessalonique, et la participation des Byzantins à la croisade qu’il organise (1195), cependant que son frère Philippe de Souabe, l’époux d’une fille d’Isaac II Ange, affiche des prétentions au trône des basileis. Alexis III, intimidé, consent un énorme tribut annuel, qu’il n’arrive pas à réunir. La mort inopinée d’Henri VI (1197) diffère le départ de la croisade, mais le projet est repris par le pape Innocent III, obsédé par la reconquête des Lieux saints, qu’il se propose de réaliser avec l’appui d’un Empire byzantin préalablement soumis à la papauté (1198).
Un concours de circonstances fait de Venise le maître d’œuvre de l’entreprise. Furieuse de voir ses privilèges commerciaux en territoire byzantin remis en cause à chaque avènement et toujours péniblement renégociés, ses colonies locales victimes de brimades et parfois de massacres, et inquiète de la concurrence de Gênes et de Pise, la République maritime décide d’asseoir sur le trône un basileus à sa dévotion, voire de détruire l’empire. Le vieux doge Enrico Dandolo s’y emploie, en transformant l’expédition vers la Terre sainte en instrument de conquête. Les croisés rassemblés à Venise s’engagent, pour acquitter leur passage, à conquérir Zara (Zadar) au profit de la République (1202). Sur ces entrefaites, Alexis Ange, fils d’Isaac II, qui s’était évadé des geôles de Constantinople et cherchait vainement en Occident des alliés pour restaurer son père, intéresse les chefs de la croisade à son projet, et promet de les rémunérer largement pour leurs bons offices. On signe l’arrangement final à Corfou, et, dès le 24 juin 1203, la flotte des croisés défile sous les murailles maritimes de Constantinople. La ville tombe entre leurs mains le 17 juillet : Alexis III s’enfuit en emportant le trésor et est remplacé par Isaac II et son fils Alexis IV.
Ce dernier, incapable d’honorer les promesses faites à Corfou, tente de lanterner les croisés, cependant que ses sujets l’accusent d’avoir vendu son royaume aux Latins. Le coup d’État de la fin de janvier 1204 lui coûte la couronne et la vie, et son parent, Alexis V Doukas, surnommé Murzuphle, un antilatin farouche, monte sur le trône. Cette révolution de palais précipite le dénouement de la tragédie. Les croisés prétextent le meurtre de leur ancien protégé pour assaillir de nouveau Constantinople : leur plan n’est plus d’asseoir sur le trône un prétendant byzantin, mais de conquérir à leur profit un empire dont ils ont déjà fait le partage. La ville tombe en leur pouvoir le 13 avril 1204, et Baudouin, comte de Flandre, est proclamé empereur du nouvel État latin de Constantinople.
P. G.
➙ byzantin (Empire).
A. Frolow, Recherches sur la déviation de la IVe croisade vers Constantinople (P. U. F., 1955). / C. M. Brand, Byzantium Confronts the West 1180-1204 (Cambridge, Mass., 1968).
