Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Japon (suite)

Aux grands trusts de l’industrie cinématographique nippone s’adjoint bientôt une nouvelle ambitieuse compagnie, la Tōhō, dirigée par Kobayashi Ichizō, qui, en se spécialisant dans les films-sabres, ne peut que s’attirer les bonnes grâces des politiciens, qui soutiennent ouvertement à partir de 1939 la production des films militaristes. Tasaka Tomotaka (la Patrouille des cinq [Gonin no sekkōhei, 1938]) avait montré la voie. Rapidement, le Bureau des informations interdit « tout film traitant du bonheur individuel, de la liberté ou faisant l’éloge de l’amour ». À partir de 1941, hormis les films de guerre, n’étaient tolérés que les films lacrymaux, mélodrames conçus avec habileté pour faire pleurer les femmes (qui constituaient une frange de public non négligeable). Yoshimura Kōzaburō, Abe Yutaka, Yamamoto Kajirō furent les metteurs en scène les plus sollicités des années 1940-1944.

À mesure que les revers militaires s’intensifient, l’exaltation du militarisme s’assouplit. On tourne des films historiques et même certains sujets contemporains qui évitent de parler de violence et d’héroïsme. Deux réalisateurs importants, Kinoshita Keisuke et Kurosawa* Akira, font leurs premiers essais, alors que la guerre fait encore rage dans le Pacifique. Lorsque l’armistice est signé, les Américains interdisent tous les films d’esprit militariste. Il y a également une épuration impitoyable parmi les personnalités compromises avec l’ancien régime. La production, qui était tombée de 497 films (en 1940) à 46 en 1944, se relève lentement sur des bases toutes nouvelles. Ozu, Gosho, Shibuya, Mizoguchi, Kinugasa, qui s’étaient tenus à l’écart des coteries, continuent à tourner. De nouveaux noms apparaissent outre ceux de Kinoshita et de Kurosawa : ceux de Imai Tadashi, de Kamei Fumio, de Yamamoto Satsuo. Les années de l’immédiat après-guerre sont consacrées à la détente. On s’efforce de démocratiser l’industrie cinématographique. Kurosawa consacre une trilogie au désarroi des esprits après le bouleversement de la Seconde Guerre mondiale ; Imai Tadashi tourne l’Ennemi du peuple (Minshū no teki, 1946) et les Montagnes bleues (Aoi sammyaku, 1949) ; Yamamoto Satsuo et Kamei Fumio donnent Guerre et Paix (Sensō to heiwa, 1947) ; Kinoshita se spécialise dans les comédies de mœurs (le Matin de la famille Osone [Ōsone-ke no asa, 1946], le Retour de Carmen [Karumen kokyō ni kaeru, 1951 ; 1er film japonais en couleurs]). La production commerciale est envahie par les films-sabres, les films-revolvers et les films érotiques.

Mais, en 1948, une crise éclate dans les studios Tōhō. La police donne l’assaut des locaux occupés par les grévistes. Les communistes sont expulsés du cinéma. À la suite de ces soubresauts sociaux, quelques compagnies indépendantes s’établissent. Pendant les années 1950-1955, les indépendants collectionnent les succès artistiques : Imai Tadashi (Nous sommes vivants [Dokkoi ikiteru, 1951]), Yamamoto Satsuo (Vacuum Zone [Shinkū chitai, 1952] ; Quartier sans soleil [Taiyō no nai machi, 1953]), Shindō Kaneto (les Enfants d’Hiroshima [Genbaku no ko, 1952]), Yamamura Sō (les Bateaux de l’enfer [Kanikōsen, 1953]), Kamei Fumio (Une femme marchait seule sur la terre [Onna hitori daichi o yuku, 1953]).

Le public occidental découvre le cinéma japonais grâce à Rashōmon et à la Porte de l’enfer. La situation de l’industrie est particulièrement florissante. En 1956, 514 films sortent des studios nippons. Pour Gosho (Quatre Cheminées [Entotsu no mieru basho, 1953]), Naruse (Okāsan, 1952), Kinoshita (Vingt-Quatre Prunelles [Nijūshi no hitomi, 1954]), Ozu (Printemps précoce [Sōshun, 1956]), Kurosawa (l’Idiot, Vivre, les Sept Samouraïs, le Château de l’araignée) et Mizoguchi (Contes de la lune vague après la pluie, l’Intendant Sanshō, l’Impératrice Yank Kwei-fei), ce sont des années d’intense travail créateur et d’épanouissement. À leur suite se révèlent Shindō Kaneto, Kobayashi Masaki, Ichikawa Kon et même le déjà vétéran Inagaki Hiroshi (dont les débuts eurent lieu à la fin du muet). Augmentation des salles (2 641 en 1950 ; 7 072 en 1958), augmentation de la production, augmentation de la fréquentation (1 127 millions en 1958). Tandis que les films à costumes (jidai-geki) diminuent, les films à thèmes contemporains (gendai-geki) rencontrent de plus en plus de succès auprès du public. À cette production florissante, il faut ajouter un nombre non négligeable de films fantastiques (Godzilla, etc.) et de pink-films (films érotiques). Mais, en 1959, la fréquentation baisse sensiblement. L’âge d’or des grandes compagnies (la Nikkatsu, la Shōchiku, la Tōhō, la Daiei et la Tōei) s’arrête brutalement. La crise latente s’abat sans ménagement sur tous ceux qui touchent de près ou de loin au monde du cinéma : en 1965, la fréquentation s’effondre (360 millions de spectateurs). C’est la chute mondiale la plus impressionnante. Aussi, la jeune génération des cinéastes qui débutent dans les années 1960-1965 rencontre de graves difficultés de distribution. Même des talents plus éprouvés comme Kobayashi, Ichikawa, voire Kurosawa ne sont pas à l’abri d’un chômage endémique. Quelques personnalités se révèlent cependant, parmi lesquelles il faut noter Teshigawara (Teshigahara) Hiroshi (la Femme des sables [Suna no onna, 1964] ; Summer soldiers, 1971), Masumura Yasuzō (l’Ange rouge [Akai tenshi, 1966]), Imamura Shohei (la Femme insecte [Nippon konchūki, 1963]), Hani Susumu (la Mariée des Andes [Andesu no hanayome, 1966]), Urayama Kirio (Cupola [Kyūpora no aru machi, 1962]), Ōshima Nagisa (la Pendaison [Kōshikei, 1968]), Yoshida Yoshishige (Éros + Massacre [Eros + Gyakusatsu, 1969]), Horikawa Hiromichi, Kumai Kei, Shinoda Masahiro, Nakahira Kō, Terayama Shuji. En 1971, la production des films japonais est de 367 films.

J.-L. P.


Quelques metteurs en scène japonais


Gosho Heinosuke

(Tōkyō 1902). Assistant de Shimazu Yasujirō en 1923 à la Shōchiku. Auteur du premier film parlant japonais, la Femme du voisin et la mienne (Madamu to nyōbō, 1931). Travaille pour la Tōhō après la guerre, puis fonde un groupe indépendant, le Studio 8. A tourné plus de 150 films, peu connus en Europe, mais qui ont profondément marqué le cinéma japonais. Sujets réalistes et sentimentaux dépeignant la vie quotidienne du peuple japonais. Parmi ses nombreux films, on peut citer la Danseuse d’Izu (Izu no odoriko, 1933), le Fardeau de la vie (Jinsei no onimotsu, 1935), l’Ombre (Omokage, 1948), l’Auberge d’Ōsakasaka no yado, 1954), Un million de filles (Hyakuman-nin no musume-tachi, 1962).


Hani Susumu