Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Japon (suite)

Les traductions d’œuvres étrangères faisaient fureur, elles aussi. Jules Verne connut une vogue surprenante, due à un malentendu : ses romans d’aventure ou d’anticipation passaient pour des documents géographiques ou scientifiques. Certaines adaptations plutôt libres recouvraient des intentions politiques : le Jules César de Shakespeare, par exemple, était généreusement enrichi de tirades révolutionnaires inédites. Le roman allégorique à la manière de Bakin trouvait une postérité inattendue dans les « romans politiques » ; il en est ainsi de l’histoire touchante des amours de Mademoiselle Droits-de-l’Homme et de Monsieur Peuple, contrariées par Monsieur Gouvernement, ou encore du roman « historique » de Yano Fumio (1850-1931) Keikoku-bidan (Une belle histoire des pays classiques), dans lequel l’auteur retrace, non sans talent, les luttes d’Epaminondas et de Pélopidas.

Une nouvelle génération, cependant, se préparait, qui allait répudier cette littérature utilitaire et chercher sa voie dans une synthèse de la tradition et de l’apport occidental. Le théoricien en fut Tsubouchi Shōyō, qui en publia, à peine sorti de l’université, le manifeste Shōsetsu-shinzui (la Moelle du roman, 1885) ; il y affirmait que la littérature était d’abord un art voisin de la poésie, dont le but était de créer des personnages vrais. Traducteur scrupuleux de Shakespeare, il n’en prenait pas moins la défense du kabuki et de Mokuami contre les « réformateurs » à tous crins.

Futabatei Shimei (1864-1909) révélait à la jeune génération les Russes contemporains, qui avaient alors des préoccupations analogues à celles des jeunes Japonais. En même temps, il publiait de 1887 à 1889 un roman, Uki-gumo, entièrement écrit dans la langue parlée de Tōkyō.

Le groupe des « Amis de l’écritoire » (Kenyū-sha, formé en 1885) se proposait de mettre en pratique les thèses de Tsubouchi. Le plus célèbre d’entre eux, Ozaki Kōyō (1867-1903), s’inspira de Saikaku, tout en s’attachant à montrer des hommes de Meiji ; son Démon de l’or (Konjiki-yasha), que la mort interrompit, fut tenu pour un chef-d’œuvre. Yamada Bimyō (1868-1910) chercha, de même, à renouveler la poésie ; Kōda Rohan (1867-1947) contribua au rétablissement de l’équilibre par ses commentaires des classiques plus, peut-être, que par des romans qui vieillissent mal.

Contre le « romantisme » des disciples de Tsubouchi s’éleva le groupe du « Monde littéraire » (Bungaku-kai) autour du jeune poète Kitamura Tōkoku (1868-1894). Mais déjà la découverte du naturalisme, et singulièrement de Zola et de Maupassant, orientait le roman japonais dans une direction nouvelle. L’initiateur en fut Nagai Kafū (1879-1959), qui s’en détourna du reste assez vite, avec Jigoku no hana (Une fleur en enfer, 1902). Kunikida Doppo (1871-1908) prenait bientôt le relais dans le Destin (Ummei, 1906), qui montre l’homme aux prises avec l’illogisme de la société.

Celui qui traduisit le mieux le malaise créé par le heurt des idées nouvelles avec la tradition en même temps qu’avec l’autoritarisme croissant de l’État fut Shimazaki* Tōson (1872-1943). Dans une série de wata-kushi-shōsetsu (« romans à la première personne »), il relate minutieusement sa propre histoire et celle de sa famille, la dislocation d’une maison de type patriarcal, suivie de la reconstruction laborieuse de cellules familiales élémentaires. Yoake-mae (Avant l’aube) viendra couronner en 1935 une œuvre exemplaire : ce roman historique, centré sur un personnage qui est le propre père de l’auteur, retrace l’histoire de Meiji vue par un notable de province.

Deux écrivains, cependant, parmi les plus grands, Mori Ōgai et Natsume Sōseki, s’étaient tenus à l’écart de toutes les écoles. Mori* Ōgai, médecin et haut fonctionnaire, s’était signalé dès 1890 par une courte nouvelle, Maihime (la Danseuse), d’un exotisme discret : l’histoire se passait en Allemagne. Des traductions suivirent, de l’allemand principalement. Mori Ōgai ne revint à la littérature proprement dite qu’en 1910, avec un roman intitulé Vita sexualis, qui se voulait antinaturaliste, mais dont les intentions furent mal comprises à l’époque. La mort de l’empereur Meiji en 1912 et l’évolution du régime provoquèrent chez lui une prise de conscience qui s’exprima dans un pamphlet, Chimmoku no tō (la Tour du silence), où il s’attaque à la censure, et un roman, Ka no yō ni (Comme si..., 1912), qui traduit l’espoir d’un lent progrès éliminant sans douleur les survivances du passé. Ce passé, Mori Ōgai estime, toutefois, qu’il n’est pas sans grandeur, ce qu’il s’attachera à montrer dans une suite de romans historiques, dont le chef-d’œuvre est la biographie de Shibue Chūsai, médecin assez obscur de la fin de l’époque des Tokugawa.

Natsume* Sōseki, professeur de littérature anglaise, se signale en 1905 par un roman satirique publié en feuilletons, Je suis un chat (Wagahai wa neko de aru), où l’on voit le chat d’un professeur noter imperturbablement les propos les plus divers échangés par son maître et ses amis. D’autres feuilletons suivirent, avec une régularité parfaite, pendant dix ans ; citons : Mon (la Porte, 1910), qui dénonce le formalisme proche de l’imposture du zen ; Kōjin (le Passant, 1913), qui décrit les tourments de l’intellectuel ; Kokoro (le Pauvre Cœur des hommes, 1914), qui marque le désarroi de toute une génération à la fin du règne de Meiji ; surtout un long roman inachevé, Meian (Ombre et lumière), roman sans intrigue, dont les personnages sont des gens ordinaires, au comportement le plus banal, œuvre toute en nuances, riche en détours, qui décrit dix jours à peine de la vie de gens à qui rien n’arrive.


L’ère Taishō (1912-1926)

Une réaction se dessine contre le naturalisme, dont Nagai Kafū lui-même s’est détaché pour se réfugier dans une sorte d’esthétisme qui cherche dans les survivances du vieil Edo un équilibre détruit par les excès du réformisme.