Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jagellons (suite)

Dans ses relations extérieures, Sigismond-Auguste poursuivit la politique paternelle : satisfait de tenir en respect les Tatars de Crimée, il évita tout conflit avec les Turcs et s’allia avec les Habsbourg. Il entendait consacrer tous ses moyens à la défense des frontières de la Lituanie contre Ivan le Terrible, auquel il refusa, avec la main de sa sœur, l’espoir de prétendre un jour à sa succession. Il prévint les visées baltiques du tsar en se faisant céder la Livonie en 1561 par le grand maître de l’ordre Teutonique. Pour s’assurer la fidélité d’Albert de Brandebourg dans la guerre qui s’ensuivit (1563-1570), il dut reconnaître à la branche aînée des Hohenzollern* de Brandebourg le droit de succession en Prusse ducale. Cette concession devait se révéler funeste. La guerre de Livonie l’amena à affirmer une politique baltique. La flotte royale, construite à partir de 1560, fut confiée à une commission maritime installée à Gdańsk (1568). Tout au long du règne de Sigismond-Auguste, le programme des réformes exigées par le parti d’« exécution des lois » mit aux prises la szlachta et les magnats. En préconisant l’amélioration de l’appareil d’État, la szlachta servait le pouvoir central, mais sa crainte soupçonneuse d’un « roi-tyran » l’opposa à Sigismond-Auguste, qui s’appuya d’abord sur les magnats. La perte de Połock, enlevé par Ivan IV le Terrible (1563), détermina le roi à modifier sa politique. Celui-ci s’allia à la moyenne noblesse et soutint à partir de la diète de 1562-63 le programme exécutif. Les échecs subis par la Lituanie conseillaient une union plus étroite avec la Pologne, qui l’exigeait depuis 1538. La noblesse lituano-russe l’identifiait à son émancipation politique, bloquée par les magnats. Pour faciliter l’assimilation constitutionnelle, Sigismond-Auguste renonça à ses droits héréditaires sur la Lituanie. Il neutralisa avec adresse les extrémistes de part et d’autre : le parti exécutif qui voulait une incorporation pure et simple de la Lituanie et les magnats lituaniens (Radziwiłł) hostiles à une diète commune. Pour briser leur résistance, Sigismond-Auguste attribua à la Pologne les provinces longtemps contestées de Podlachie, de Volhynie et de Kiev. L’acte de Lublin (1569) garantit l’autonomie intérieure de la Lituanie et souda les deux États en une « République commune » aux deux nations, qui éliraient désormais en commun le roi et grand-duc. Plus centrale, Varsovie devint le siège de la diète commune.

Doué d’une haute intelligence, roi habile et excellent diplomate, Sigismond-Auguste a fortement marqué son époque. Sans rien abandonner de son prestige, il sut être « le roi dans le Parlement », réalisant une monarchie qui maintint l’équilibre entre le roi et la « représentation nationale ». L’emprise exercée par la szlachta sur le pouvoir entretint une abondante littérature politique ; les débats forgeaient une langue nationale moderne. Après la mort de Sigismond Ier, la Pologne était devenue « un asile des hérétiques », grâce à la liberté de conscience établie par les diètes. L’intérêt du roi pour les idées de la Réforme fit craindre que celle-ci ne le gagnât à sa cause. Très attaché à la tolérance, Sigismond-Auguste empêcha les querelles de dégénérer en guerre de religion ; lui-même resta ferme dans sa foi catholique. Le dernier Jagellon était le type même du prince de la Renaissance par sa vaste culture et sa curiosité, par son amour de la vie et du luxe. Il eut un goût particulier pour les arts ornementaux, collectionnant armes, pièces d’orfèvrerie, riches étoffes et joyaux. Il légua à l’État l’extraordinaire ensemble de tapisseries dites « d’Arras » (plus de 350), qu’il avait fait tisser à Bruxelles en 1553. La richesse de sa bibliothèque était réputée. Sous son règne, la culture latine, si rapidement assimilée par la génération précédente, devint une culture nationale, profondément imprégnée de patriotisme. La littérature connut alors son âge d’or (Mikołay Rej, Jan Kochanowski, Andrzej Modrzewski-Frycz, Łukasz Górnicki, etc.).

Lorsque mourut le dernier Jagellon, on brisa sur sa tombe le glaive de Sigismond Ier. Sa couronne allait devenir un atout dans le jeu diplomatique européen.

C. G.

➙ Bohême / Cracovie / Hongrie / Lituanie / Pologne.

 F. Papée, Pologne et Lituanie à la fin du Moyen Âge : les vingt dernières années du règne de Casimir Jagellon (en polonais, Cracovie, 1903) ; Jean Albert (en polonais, Cracovie, 1936) ; Alexandre Jagellon (en polonais, Cracovie, 1949). / E. Zivier, Neuere Geschichte Polens, t. II : Die zwei letzten Jagiellonien, 1502-1572 (Gotha, 1915). / O. Halecki, Histoire de l’Union des Jagellons (en polonais, Cracovie, 1920 ; 2 vol.). / L. Kalankowski, la Pologne des Jagellons, histoire politique (en polonais, Lwów, 1936). / Z. Wojciechowski, Sigismond l’Ancien, 1505-1548 (en polonais, Varsovie, 1946).

Jakobson (Roman)

Linguiste américain d’origine russe (Moscou 1896).



La vie

Dès 1914, à l’université de Moscou, Roman Jakobson se spécialise dans l’étude de la linguistique comparée et de la philologie slave. Ses années de jeunesse ont été marquées par le déclin du réalisme et la naissance du symbolisme, qui affirme la supériorité des valeurs spirituelles et esthétiques. Très jeune, il se passionne pour la poésie d’avant-garde et le mouvement futuriste, représenté par ses amis Maïakovski et V. Khlebnikov. En 1915, il fonde avec quelques étudiants le cercle linguistique de Moscou dont le programme comporte des projets de recherche sur le langage des dialectes et du folklore moscovites ainsi que des enquêtes sur la géographie linguistique russe. C’est pendant cette période, également, que Roman Jakobson participe à l’élaboration des nouvelles théories littéraires qui feront la réputation des formalistes russes. Dès sa fondation en 1915, l’Opoïaz (« Société d’étude du langage poétique ») coopère étroitement avec le cercle de Moscou.