Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jacobins (suite)

« Frères et amis », « même famille », « lien sacré », autant de formules qui sont des professions de foi dans la nécessaire solidarité et unité nationale face à la haine des aristocrates et des tyrans couronnés de l’Europe coalisée. La patrie, c’est d’abord cette communauté d’affection entre des citoyens égaux. Maîtres de leur destin, ceux-ci ont la même passion : celle de faire succéder la liberté au despotisme, la dignité au mépris, le bonheur à la misère. À cette patrie, le Jacobin, c’est-à-dire le bon citoyen, doit tout immoler.

Ainsi, les Jacobins unissent-ils, au moment où la France est menacée de toutes parts, la moyenne et la petite bourgeoisie, les sans-culottes ainsi que, et ce sera leur originalité, la bourgeoisie et la paysannerie révolutionnaires. Ils traduisent pour cela leurs paroles en actes. Dans le domaine social, tout en ne remettant pas en question le principe de la propriété, ils poussent le gouvernement révolutionnaire à intervenir sur les salaires, sur les prix, sur la distribution des biens nationaux en petits lots et contre la concentration des terres entre les mains de quelques-uns.

Cette quête de l’égalité de jouissance montre au plus grand nombre que la patrie est une réalité qu’il faut défendre. Dans l’application de la terreur voulue par les masses populaires, organisée par le gouvernement montagnard, les Jacobins de Paris et de province apportent une aide décisive, qui permet la victoire. Surveillant les autorités constituées, pourchassant l’accapareur et le royaliste, les sociétés secondent efficacement les représentants en mission. Dénonçant le requis réfractaire, instruisant les jeunes soldats sur le sens de leur combat, les Jacobins habillent, nourrissent, arment les bataillons de nouvelles levées. Ils font plus : restant en contact par des envoyés ou par des lettres avec leurs concitoyens en armes, ils animent leur zèle et leur prouvent cette fraternité pour laquelle ils combattent. Ils leur apprennent à reconnaître dans les pays étrangers qu’ils pénètrent leurs alliés naturels parmi les opprimés de l’ordre social ancien. L’idéal qui les anime ne pouvant être emprisonné dans des frontières, ils essaiment à l’extérieur de la France.

Mais l’union réalisée par les Jacobins masque des oppositions qui finissent par réapparaître. Il y a d’abord des contradictions politiques entre ceux qui, comprenant les exigences de la guerre, acceptent le despotisme de la liberté et ceux qui réclament l’application de la Constitution ou, avec les sans-culottes, aspirent à la démocratie directe. Contradictions sociales surtout entre une bourgeoisie jacobine qui supporte mal les contraintes économiques et les sans-culottes, qui, souffrant de la cherté de la vie, refusent tout retour au libéralisme. On sait comment (v. Convention nationale) elles produisent au 9-Thermidor la chute de Robespierre. Le club de la rue Saint-Honoré ne saura, pour sauver les chefs de file du jacobinisme, « ni rallier l’unanimité des sections hésitantes, ni galvaniser de son exemple ou entraîner de son mot d’ordre les masses parisiennes troublées et inquiètes » (G. Martin). Tandis que les principaux Jacobins montent à la guillotine, Legendre dépose les clefs du club sur le bureau de la Convention. Le club sera en fait définitivement fermé le 11 novembre 1794 sur ordre des comités de gouvernement, prétextant les rixes occasionnées par les muscadins.


Les suites du jacobinisme

Leur organisation démantelée, certains Jacobins ne désespèrent pas de reprendre leur action contre un royalisme toujours menaçant, mais ils entendent la poursuivre légalement. Ils accueillent avec réticence l’entreprise de Babeuf*, dont le programme surmonte une de leurs contradictions avec les sans-culottes. Certains prennent soin de se démarquer d’une entreprise que l’on qualifie d’anarchiste.

La poussée royaliste de 1797, qui contraint des Directeurs à un coup d’État contre les conseils, leur offre la possibilité de réapparaître au grand jour. De nouveau, des clubs, sous le nom de cercles constitutionnels, sont créés. On y trouve là encore beaucoup de membres des classes moyennes, notamment des professions libérales, attirant à eux des artisans et des boutiquiers, auxquels se mêlent parfois des vétérans des armées de la Révolution. Ils entrent en contact à Paris avec « la Réunion politique du faubourg Saint-Antoine », où se retrouvent d’anciens militants sans-culottes.

L’action de ces « néo-Jacobins » est soutenue par une croyance démocratique où l’on retrouve le legs de l’an II. À une époque où l’opulence des « honnêtes gens », spéculateurs ou pilleurs des caisses de l’État, insulte à la misère du plus grand nombre, ils rappellent que l’amélioration du sort de tous est le but de la société. Mais, loin de vouloir le renversement du Directoire par la violence, ils cherchent à inscrire leur action dans le cadre des institutions et offrent une alternative à la politique officielle.

Leur action est d’abord éducatrice. Ils diffusent les nouvelles et permettent aux travailleurs de s’informer et de discuter sur les moyens d’améliorer la société. En dehors de la préparation des élections, leur action politique consiste en une continuelle vigilance à l’égard des administrations pour en chasser l’immoral ou le royaliste, qu’ils dénoncent en des pétitions collectives au ministère de la Police ou au Conseil des Cinq-Cents. Organisant des fêtes civiques, écrivant et fraternisant avec la troupe, ces néo-Jacobins cherchent à maintenir et à propager l’idéal de l’an II.

Le Directoire* s’effraie de ce renouveau. Il interdit des journaux jacobins, comme le Journal des hommes libres ou le Persévérant, qui sont des organes de liaison entre les cercles. En vain. Aux élections de l’an VI, la majorité est jacobine, et le Directoire, pour se sauver, doit casser les élections (11 mai 1798). Mais, en 1799, les succès des coalisés, le danger qui menace de nouveau la patrie permettent le succès d’une poussée jacobine. De nouveau, les clubs apparaissent. Le plus important, à Paris, la « Société des amis de l’égalité et de la liberté », dit « club du Manège », est le lieu de rencontre des patriotes, qui veulent imposer la mobilisation des hommes et des biens. Drouet, l’homme de Varennes, s’y distingue. La peur du « terroriste », du « partageux », de « l’anarchiste », tenaille de nouveau les propriétaires ; habilement utilisée, elle permet à Bonaparte de prendre le pouvoir, puis, au lendemain de l’attentat royaliste de la rue Saint-Nicaise, de démanteler le néo-jacobinisme*. Sporadiquement, les Jacobins tenteront de lutter contre Napoléon, certains allant même jusqu’à envisager l’alliance avec les royalistes. Ils lèguent aux hommes des siècles suivants, avec leur idéal, un comportement et une méthode d’action.