Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Italie (suite)

La production architecturale contemporaine, habilement commentée, manifeste clairement la tendance actuelle à l’éclectisme. Dès après la guerre, Figini et Pollini soulignent la redondance du matériau (église della Madonna dei Poveri, Milan, 1952-1956), tandis que l’ingénieur P. L. Nervi aboutit à une dramatisation stylistique des structures (palais des Expositions de Turin, 1948-49 ; petit et grand palais des Sports de Rome, 1956-1958 ; Unesco à Paris, 1953-1957).

Plus étrange, plus critiquée, mais aussi plus intéressante est la tentative du groupe BBPR (L. Barbiano di Belgioioso, G. L. Banfi, E. Peressutti et E. Rogers) pour dépasser les limites formelles du « style international » en affirmant franchement la relation avec le passé (torre Velasca, Milan, 1957, souvent comparée à un donjon). Qualifiée de néo-liberty, cette tendance typiquement éclectique doit être rapprochée de l’intérêt d’Ignazio Gardella (né en 1905) pour l’art régional et les traditions populaires (ensemble d’habitation à Castana, 1946 ; Casa alle Zattere à Venise, 1957).

Parallèlement et sous l’impulsion du professeur Bruno Zevi (né en 1918) s’est développée une tendance « organique » qui, partant de F. L. Wright*, a peu à peu tourné vers ce qu’on qualifie de nouveau baroque ou de brutalisme, selon les cas, et qui est surtout une stylistique emphatique de la forme et de la structure. Ce sont Enrico Castiglioni (1914-1970), auteur du projet pour la Madonna delle Lacrime de Syracuse (1957), puis d’un ensemble d’édifices à Busto Arsizio (école professionnelle, 1965), et Vittoriano Vigano (né en 1919), architecte du puissant Istituto Marchiondi de Milan (1958), qui ont dominé l’architecture des années 60, dans des voies étrangement parallèles à celles que pouvaient tracer ailleurs un Eero Saarinen*, un Kenzo Tange* ou un Louis Kahn* — c’est-à-dire dans la double direction d’un éclatement formel et d’une recherche du contact avec des expressions culturelles autres.

F. L.


Peinture et sculpture

L’académisme, qui pesa si lourdement sur l’art occidental dans la seconde moitié du xixe s. et trouva curieusement dans un naturalisme privé de toutes ses vertus subversives un moyen de se régénérer, ne fut nulle part peut-être si bien enraciné qu’en Italie, nation que son prestigieux passé artistique rendait, semble-t-il, moins apte qu’une autre à accueillir des innovations. Pourtant, en partie sous la pression des circonstances politiques, sociales et économiques, c’est là qu’allait se produire, peu de temps avant la Première Guerre mondiale, l’explosion moderniste la plus spectaculaire, le futurisme. Mais l’avènement du fascisme devait correspondre à un retour à la tradition, conduit par la plupart des leaders de l’avant-garde de la veille. Aussi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les jeunes artistes et les moins jeunes apparurent-ils désireux de rattraper le temps perdu ; d’où la multiplication assez frénétique d’expériences menées dans toutes les directions et bientôt appuyées par la curiosité et la sympathie agissantes d’un public averti. Si bien qu’il n’est pas aujourd’hui de tendance artistique où l’Italie ne soit brillamment représentée.

• Les premiers novateurs. La force d’inertie développée par la tradition réussit à annihiler les premiers efforts réellement novateurs apparus dans la dernière décennie du xixe s. : Giovanni Segantini (1858-1899) se fait, plus encore que Gaetano Previati (1852-1920) et Giuseppe Pellizza (1868-1907), le prophète d’un divisionnisme imprégné de symbolisme ; de son côté, le grand sculpteur Medardo Rosso*a pratiquement accompli son œuvre révolutionnaire, dans laquelle la lumière impressionniste gomme les formes, lorsque le siècle s’achève. Un peu plus tard, Alberto Martini (1876-1954) apparaît comme un chaînon original entre le symbolisme et le surréalisme, notamment dans ses gravures pour Edgar Poe. À ces exceptions près, le « stile floreale » a plutôt encouragé un penchant baroque pour l’outrance, dont le Campo Santo de Gênes demeure l’exemple le plus étonnant. Tandis que la sculpture demeure dominée par le très fâcheux exemple d’Ettore Ferrari (1845-1929) et celui, à peine plus tolérable, de Vincenzo Gemito (1852-1929), la première décennie du siècle se caractérise en peinture par l’adoption de la technique divisionniste dans le cadre d’une peinture réaliste volontiers portée aux thèmes sociaux ; ce qui est vrai, par exemple, pour Plinio Nomellini (1866-1943) ou Camillo Innocenti (1871-1963), l’est aussi pour deux jeunes peintres appelés à un tout autre avenir, Giacomo Balla, puis Umberto Boccioni, bientôt les deux têtes de la peinture futuriste.

• Le vacarme futuriste et le silence chiriquien. Le futurisme* fait l’effet d’une bombe et, en effet, il est une : plus jamais l’Italie ne retrouvera sa quiétude d’antan, puisqu’elle a goûté aux poisons de la modernité ! Sur le seul plan pictural, les peintres futuristes commencent par un acte de foi dans le divisionnisme, pour emprunter bientôt au cubisme quelques principes de composition, rapidement pervertis par leur mise au service d’objectifs radicalement étrangers à Picasso et ses disciples. La tentation abstraite, qui se fait jour dès 1912 chez Balla, encourage Alberto Magnelli (1881-1971) à se détacher de la figuration dans ses toiles éclatantes de 1914-15. Dans le même temps, l’exemple de Boccioni pousse Roberto Melli (1885-1958) à ses sculptures les plus inventives. Mais, à l’instant où la peinture futuriste s’emplit d’émeutes, de locomotives, d’automobiles, de planètes en folie et de footballeurs, sa vivante antithèse se constitue, par la grâce de Giorgio De Chirico*, en visions figées dans le sommeil, des « places d’Italie » aux « intérieurs métaphysiques ».

• Le retour à l’ordre. La guerre porte un coup cruel à l’avant-garde italienne. Le futurisme se disloque, seuls parmi les peintres Balla et, à un moindre degré, Enrico Prampolini assurant la survivance d’un « second futurisme ». De son côté, De Chirico succombe dès 1919 aux tentations de la peinture du xvie s. et se retrouve bientôt côte à côte avec les ex-futuristes Carlo Carra, Mario Sironi, Ottone Rosai et Achille Funi, au nombre des leaders du retour à un art « italien, traditionaliste et moderne », qui, en fait, restaure les notions d’académisme, d’imitation et de « métier » (Gino Severini, installé à Paris, connaît la même évolution). C’est le mouvement dit Il Novecento, qui reçoit son acte de baptême de la poétesse fasciste Margherita Sarfatti en 1924 et son aval de Mussolini en 1926, devenant ainsi la « ligne » esthétique officielle du nouveau régime. L’atmosphère délétère de ce groupe de peintres apostats n’empêche cependant pas le développement, à l’intérieur ou aux abords du Novecento, d’artistes originaux, au premier rang desquels Arturo Martini*, qui domine sans peine toute la sculpture de l’entre-deux-guerres, Felice Casorati (1886-1963), chez qui la rigueur du trompe-l’œil engendre un étrange mystère, et Giorgio Morandi*, dont les natures mortes sont des supports de méditation, comme peuvent l’être aussi les archaïsantes « femmes-amphores » de Massimo Campigli (1895-1971).