Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Ispahan (suite)

Celles-ci sont apparues de bonne heure comme point de rassemblement, si l’on peut interpréter la forme Aspadana, donnée par Ptolémée, comme provenant du mot apâdhâna, « lieu de rassemblement des armées », « camp militaire ». Bien que les tendances centrifuges l’aient généralement emporté dans la géographie politique de l’Iran, Ispahan fut ensuite par deux fois capitale de l’Empire, sous les Seldjoukides au xie s., puis sous les Séfévides de 1598 à l’invasion afghane, à une époque où le danger ottoman avait conduit à renoncer à la tradition des capitales nordiques ou nord-occidentales. Marquée à cette époque par un urbanisme grandiose juxtaposé au noyau ancien, la ville doit à sa décadence aux époques ultérieures et à la stagnation de la population jusqu’à l’époque contemporaine d’avoir évité sa dégradation par des constructions parasites. C’est en Orient un cas assez exceptionnel de structure urbaine planifiée qui a pu se maintenir.

La croissance de la ville a repris à l’époque contemporaine. Ispahan est le marché de tout le pays Bakhtiyāri, situé au sud-ouest de la ville dans le Zagros. C’est un centre actif d’artisanat du tapis et également d’industrie textile moderne (filature et tissage de la laine et surtout du coton avec près du tiers des broches du pays).

X. P.


Ispahan ville d’art

L’œuvre de Chāh ‘Abbās* à Ispahan fait souvent oublier ce qui lui fut antérieur. La ville était pourtant une grande capitale médiévale, comme en témoigne le beau minaret (1131-1155), découronné mais encore haut de 48 m, de la mosquée ‘Alī (1521) et surtout la Grande Mosquée, une des œuvres les plus représentatives du génie national.


La Grande Mosquée

Son histoire est controversée, et on ne sait toujours pas si elle a été reconstruite a fundamentis au xie s. ou si alors furent seulement insérées, dans un oratoire « arabe » à nefs, la salle sous coupole seldjoukide servant de maqṣūra et celle qui fut utilisée comme vestibule, l’une et l’autre pleines de noblesse. Quoi qu’il en soit, c’est après l’incendie de 1121-22 qu’elle fut refaite, en brique, en suivant le plan à quatre iwāns, qui deviendra ultérieurement classique en Iran*. Parmi les additions qui lui furent faites par la suite, il faut signaler au moins l’admirable miḥrāb en stuc d’Uldjāytū (1310), les carreaux de revêtement des iwāns, les mosaïques de faïences émaillées du minaret et de la façade sur cour (xve-xviie s.).


La ville de Chāh ‘Abbās

C’est en 1598 que le souverain séfévide transplante sa capitale de Qazvin à Ispahan, où il entreprend aussitôt de grands travaux. Au centre de la ville, il aménage en terrain de polo la Meydān-e Chāh (place Royale), vaste surface rectangulaire de 512 m sur 159, bordée de maisons uniformes à arcatures, où s’ouvrent des boutiques. Au milieu des quatre côtés, il fait ériger quatre ensembles monumentaux, quatre portes de styles différents, conduisant respectivement à la Mosquée royale, à la mosquée du Cheykh Lotfollāh, au bazar et aux palais.

La Mosquée royale (Māsdjid-e Chāh), construite entre 1612 et 1630, et entièrement revêtue de splendides faïences, présente un changement d’axe de 45° par rapport à la place : aussi, l’iwān ouvrant sur la Meydān-e Chāh, flanqué de deux minarets, est-il raccordé à l’iwān donnant sur la cour par un couloir habilement coudé. Sur cette même cour, selon le plan usuel, trois autres iwāns précèdent des salles sous coupoles, dont celle du fond, la principale, est flanquée de quatre nefs prolongées de part et d’autre par deux cours qui ramènent au plan rectangulaire. La mosquée du Cheykh Lotfollāh (1602-03), elle aussi couverte de céramiques, a des ambitions plus modestes, mais d’aussi grandes qualités. Le bazar, contigu à la place (Qeysariyè), est précédé d’un portail portant une tribune pour les musiciens.

La porte conduisant aux palais, connue sous le nom d’‘Alī Qāpu, forme elle-même un petit pavillon royal. Sa grande baie ouverte en façade abrite un vestibule à coupole donnant accès aux jardins ; elle est surmontée d’une vaste tribune à toit plat porté par dix-huit colonnes sveltes et hautes ; derrière elle est aménagée une salle d’audience et, sur les côtés, trois étages d’appartements largement ouverts sur l’extérieur. Son décor est fastueux : en bas, peintures de fleurs et de graciles animaux ; en haut, personnages de cour, couples d’amoureux et de buveurs, partiellement détruits, où l’on perçoit l’influence de la peinture européenne. Dans les jardins, d’autres pavillons complètent les palais. Celui de Tchehel Sutūn (des « Quarante Colonnes ») était la salle du trône de Chāh ‘Abbās, mais, détruit par un incendie, il fut reconstruit au xviiie s. Une longue pièce d’eau le précède, dans laquelle se reflètent les vingt colonnes du vestibule. Le pavillon de Hicht Bīhicht (« Huit Paradis »), très différent, bien qu’également situé sur une terrasse et orné de portiques donnant sur l’extérieur, présente un plan rayonnant avec salle centrale et, autour, deux étages de salons octogonaux et de chambres.

Le Tchahār Bārh, grande voie axiale, traverse la ville sur 3 km. Il franchit le fleuve sur le pont Allāhverdi Khān, à trente-trois arches, avec voie médiane et galeries couvertes pour piétons. Deux autres ponts passent la rivière en aval et en amont.


Le xviiie siècle

Le magnifique ensemble de Chāh Abbās, qui affirme l’amour du luxe, le goût pour la délicatesse et l’harmonie, fut complété en 1708 par la madrasa de Chāh Ḥusayn (ou Mādar-e Chāh), construite sur le Tchahār Bārh et jumelée avec un grand caravansérail. Tout en reproduisant le plan de la madrasa à quatre iwāns, elle utilise aussi la grande salle à coupole de la mosquée. L’élégance de ses proportions et la beauté des faïences sur fond turquoise de son dôme en font la dernière grande œuvre séfévide.

J.-P. R.

 A. Godard, « Isfahan », dans Athar-e Iran, 1937-1 (Téhéran, 1937). / W. J. W. Blunt, Ispahan, Pearl of Persia (Londres, 1966 ; trad. fr. Ispahan, perle de la Perse, A. Michel, 1967).