Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

isotopes (suite)

Propriétés et séparation des isotopes

Tous les noyaux des isotopes d’un élément de numéro atomique Z possèdent la même charge Ze et, à l’état neutre, sont tous entourés de Z électrons.

Sur la couche périphérique, on trouve le même nombre d’électrons ; donc tous ces isotopes ont mêmes propriétés chimiques. Ils se différencient par leurs propriétés physiques, et c’est ce caractère qui est utilisé pour la séparation des isotopes.

Pour cette séparation, de nombreux procédés peuvent être employés.

• Séparation électromagnétique. C’est en utilisant la spectrographie de masse qu’Aston a séparé les isotopes du néon ; les quantités ainsi obtenues sont très faibles. Le même principe a permis à l’Américain E. O. Lawrence*, dans l’appareil nommé calutron, de séparer sur une grande échelle l’uranium 235 et l’uranium 238 en vue de fabriquer la première bombe* nucléaire.

• Électrolyse. On a pu, au moyen d’électrolyses répétées, concentrer l’eau lourde, qui contient l’isotope 2H, ou deutérium, présente en faible quantité (1/6 500) dans l’eau ordinaire ; la même méthode a permis de séparer les isotopes du nickel.

• Diffusion gazeuse à travers une paroi poreuse. La vitesse de diffusion d’un gaz à travers une paroi poreuse est inversement proportionnelle à la racine carrée de sa masse moléculaire. Dans la diffusion à travers les parois successives, l’isotope le plus léger se concentre donc en tête de la chaîne de fabrication. C’est le procédé employé pour séparer l’uranium 235 de l’uranium 238, à l’usine de Pierrelatte notamment. On passe par l’intermédiaire de l’hexafluorure et l’on sépare235UF6 et238UF6 de cette façon. Le rapport des vitesses des molécules de ces deux composés à travers une seule paroi poreuse est

Pour un seul passage, le facteur d’enrichissement est donc théoriquement є = α – 1 = 0,0043, soit 4/1 000 ; il faut plusieurs milliers de parois pour obtenir un enrichissement important, qui peut atteindre plus de 95 p. 100 en uranium 235.

• Ultracentrifugation. On utilise la différence de masse existant entre les noyaux à séparer ; les installations ressemblent à des écrémeuses très perfectionnées. En République fédérale d’Allemagne, ce procédé est employé en phase gazeuse pour séparer235UF6 et238UF6. Il permet d’obtenir facilement de l’uranium enrichi à quelques pour-cent en uranium 235, qui est utilisé comme combustible fissile dans les réacteurs nucléaires.

Ph. R.

 R. Guillien, Physique nucléaire appliquée (Eyrolles, 1960). / C. Rocchiccioli, les Isotopes (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1964 ; 2e éd., 1971). / J. F. Duncan et G. B. Cook, Isotopes in Chemistry (Oxford, 1968). / P. Reine, le Problème atomique, t. VII : Applications civiles de l’énergie nucléaire (Berger-Levrault, 1969).


L’utilisation des isotopes en biologie et en médecine

L’utilisation des isotopes radioactifs est fondée sur les propriétés de leurs rayonnements. C’est ainsi que le noyau de l’iode 131, qui résulte de l’agrégation de 53 protons et de 78 neutrons, est instable et émet deux sortes de rayonnements : rayonnement bêta (β) assez mou, rapidement absorbé par les tissus, et émission gamma (γ), qui, du fait de sa forte pénétration, peut être détectée et mesurée à l’extérieur de l’organisme.


Mesure des rayonnements

• Le compteur de Geiger-Müller. Lorsque ce compteur est placé près d’une source radioactive, les électrons émis par cette dernière ionisent le mélange gazeux qu’il contient, provoquant ainsi le passage d’un courant de courte durée, qui peut être enregistré sous forme de tracé ou sur bande magnétique.

• Le compteur à scintillations. Il est fondé sur la propriété de certains cristaux, tel l’iodure de sodium activé au thallium, d’émettre une fluorescence sous l’effet des radiations. Un canal étroit, servant de collimateur, de préférence focalisé, permet d’explorer un point précis de l’organe irradié en dirigeant les radiations émises vers le compteur à scintillations, dont les courants, fortement amplifiés, sont enregistrés. Ce peut être un tracé par frappe mécanique, la fréquence des frappes étant proportionnelle au nombre des impulsions radioactives : on réalise ainsi des cartographies. L’enregistrement peut être aussi un tracé par flashes sur un film Polaroïd, ou encore, s’il est recueilli sur un écran d’oscillographe cathodique, il peut être retransmis sur une chaîne de télévision et enregistré sur bande magnétique. Il va de soi que ce procédé de détection nécessite un balayage de l’organe étudié (scanner à balayage) ; le collimateur à champ réduit, même s’il comporte de multiples canaux, étudie à chaque instant une seule région de la plage radioactive.

Mais il existe aussi une gamma caméra, sans balayage, qui permet de voir à chaque instant la totalité de la région irradiée. Cette caméra à scintillation présente en outre l’avantage de fournir des documents dynamiques et très rapidement obtenus.


Traceurs radioactifs et utilisations diagnostiques

La recherche médicale et l’étude des diagnostics ont bénéficié de l’utilisation des isotopes en tant qu’indicateurs radioactifs, grâce à la méthode des molécules marquées. Celle-ci consiste à « identifier » une molécule en y introduisant un atome radioactif, qui permettra de suivre cette molécule à travers l’organisme vivant, à étudier ses transformations, sa fixation dans certains tissus, puis son élimination. Cette molécule marquée sert de traceur radioactif. Pour qu’un élément radioactif puisse être utilisé comme traceur, il est nécessaire que sa période biologique (durée après laquelle la moitié de la dose initiale reste fixée dans les tissus) et sa période de radioactivité soient comprises dans certaines limites : c’est ainsi que l’oxygène radioactif d’une période de 2 minutes n’est pas utilisable. Par contre, les corps à très longue période, comme de carbone 14, peuvent être dangereux, car, en se fixant dans l’organisme, ils peuvent créer des lésions radiobiologiques.

La dose traceuse à administrer s’évalue en microcuries : quelques dizaines de microcuries suffisent à la plupart des explorations isotopiques, mais il faut savoir qu’au-delà d’un millicurie les effets biologiques ne sont plus négligeables.

Des investigations biologiques très précieuses ont pu être réalisées grâce aux radio-isotopes.

• L’un des premiers utilisé, l’iode 131, obtenu actuellement par irradiation de tellure stable dans le flux de neutrons d’une pile atomique, possède une période de demi-désintégration voisine de 8 jours, ce qui le rend particulièrement maniable : il a permis de préciser la synthèse de l’hormone thyroïdienne.

• Le phosphore 32, dont la période est de 14 jours, a été utilisé dans l’étude des phospholipides et des nucléoprotéides ainsi que de leur métabolisme au niveau du foie et du tissu nerveux.

• Les échanges entre le plasma et les liquides intra- et extra-cellulaires, la perméabilité des muqueuses, des parois vasculaires et des membranes cellulaires, la vitesse de circulation du sang ont été précisés grâce au radiosodium 24 et au radiochlore 38.

• Le calcium 45 a été utilisé, ainsi que le radiophosphore 32, pour étudier le tissu osseux et mettre en évidence son renouvellement.

• La circulation du sang, l’appréciation de la masse sanguine, la synthèse de l’hémoglobine ont vu beaucoup de leurs problèmes clarifiés par l’application du radiofer 59.

• En injectant dans une veine périphérique des particules radioactives de taille convenable (macro-agrégats d’albumine marquée à l’iode 131), la circulation sanguine des poumons est mise en évidence, de même que l’inhalation d’un gaz ou d’un aérosol marqué à l’or colloïdal permet de délimiter l’espace pulmonaire ventilé.

Qu’il s’agisse d’échanges biologiques, d’études métaboliques, de synthèses hormonales, de circulation dans l’organisme de Bactéries, de toxiques ou d’agents médicamenteux, l’utilisation des traceurs radio-actifs a donné une solution à des problèmes d’une extrême complexité.

Elle a ainsi permis de remarquables investigations diagnostiques. Introduits dans l’organisme malade par divers procédés (ingestion, injection parentérale, inhalation), les radiotraceurs spécifiques pour chaque organe ou chaque tissu fournissent des scintigraphies*, documents indispensables à la pathologie.