Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

isomorphisme (suite)

L’isotypie s’accompagne fréquemment d’une propriété intéressante, importante par des applications industrielles, que l’on désigne par épitaxie et qui est l’orientation mutuelle de cristaux d’espèces chimiques différentes. C’est le cas du silicate de zirconium (ou zircon) SiO2 . ZrO2 et du phosphate d’yttrium (ou xénotime) P2O5 . Y2O3, dont les cristaux sont quadratiques. Les cristaux de zircon sont souvent accompagnés de petits cristaux de xénotime, auxquels ils sont solidement soudés, avec un parallélisme parfait des faces cristallographiques. L’isotypie des deux substances apparaît mieux en exprimant les formules chimiques des motifs cristallins, qui sont respectivement ZrSiO4 et YPO4 ; les tétraèdres SiO4 et PO4 ont la même taille, ainsi que les gros cations Zr4+ et Y3+. Nous avons vu que les grenats X3Y2(SiO4)3 (X élément bivalent, Y trivalent) forment une famille de minéraux isomorphes. Leur maille cubique, dont l’arête est voisine de 12 Å, contient 96 atomes d’oxygène. L’industrie fabrique des composés très intéressants pour leur applications magnétiques, qu’elle désigne par grenats de terres rares parce qu’ils sont isotypes, mais non isomorphes des grenats ; les plus importants ont pour formule Y3Al2(AlO4)3 et Y3Fe2(FeO4)3 ; l’arrangement géométrique des atomes est le même pour tous ces composés (Y est ici l’yttrium ou une terre rare).

Signalons aussi la parenté cristallographique étroite entre les trois formes polymorphiques de la silice SiO2, quartz, tridymite, cristobalite, auxquelles correspondent les trois formes isotypiques du phosphate d’aluminium AlPO4, que l’on désigne par phosphoquartz, phosphotridymite et phosphocristobalite.


Remplacements isomorphiques ou diadochie

V. Goldschmidt a précisé les conditions dans lesquelles deux atomes ou deux ions peuvent se remplacer dans les mêmes positions dans un cristal dit mixte, ou solution solide, qui reste homogène quand on l’examine sous le microscope ou aux rayons X. On dit qu’il y a diadochie et que ces deux atomes sont diadochiques. La diadochie peut être complète ou partielle. Ainsi, dans la nature ou dans les laitiers de haut fourneau, on trouve la série complète de cristaux mixtes de composition (Mg, Fe)2SiO4, dont les termes extrêmes sont la forstérite Mg2SiO4 et la fayalite Fe2SiO4. Dans une grossière approximation, un ion A peut se substituer à un ion B si la différence de leur rayon n’excède pas 15 p. 100. Si les atomes n’ont pas la même valence, il peut y avoir diadochie pour des groupes d’atomes, de sorte que la neutralité électrique se conserve. C’est ainsi que les feld-spaths calcosodiques, qui sont parmi les constituants les plus abondants de l’écorce terrestre, forment une solution solide continue depuis l’albite NaAlSi3O8 et l’anorthite CaAl2Si2O8. Ces deux minéraux tricliniques sont évidemment isotypes ; c’est dire que les six paramètres qui définissent leur maille élémentaire, les trois côtés a, b, c et les trois angles α, β, γ de ces côtés, sont très voisins. Et l’on passe continûment de l’un à l’autre par le remplacement de Na+Si4+ par Ca2+Al3+, qui maintient l’équilibre électrique de l’édifice cristallin. La température agit sur le degré de la diadochie, et les températures élevées favorisent les substitutions isomorphiques. Ainsi, les feldspaths alcalins sont des solutions solides entre KAlSi3O8 et NaAlSi3O8, et le remplacement au complet des ions alcalins n’est stable qu’aux températures élevées ; quand la température s’abaisse, la séparation des feldspaths sodique et potassique se produit avec l’orientation cristallographique mutuelle des deux sortes de cristaux pour former une perthite. Les chlorures alcalins LiCl, NaCl, KCl cubiques, avec la même structure atomique, ont des cations de taille trop différente pour syncristalliser en proportion notable ; les mailles cubiques ont des arêtes qui ont pour valeur 5,17 Å (LiCl), 5,64 Å (NaCl), 6,29 Å (KCl). Cependant, près du point de fusion, on peut obtenir un cristal mixte, transparent, homogène, de formule (Na, K)Cl, qui se sépare brutalement dans les deux phases NaCl et KCl en se refroidissant. Par contre, KCl et KBr, pour lequel a = 6,60 Å, syncristallisent en toute proportion.

Goldschmidt a souligné que la diadochie entre des éléments de même valence et de rayons voisins dans les composés ioniques est plus grande quand les potentiels d’ionisation sont proches. C’est ce qui se produit pour les paires, Si4+ — Ge4+, K+ — Rb+, Fe2+ — Co2+, Al3+ — Ga3+ ; de même, le zirconium et le hafnium, d’une part, l’yttrium et le holmium, d’autre part, s’accompagnent constamment dans les composés naturels. Ces considérations soulignent l’importance des remplacements isomorphiques dans la géochimie des éléments que l’on trouve en traces dans la lithosphère. On explique, par exemple, les faibles quantités de lanthane et de béryllium dans les roches par la substitution dans le feldspath potassique de K+Si4+ par La3+Be2+.

Si les exemples précédents se rapportent à la chimie minérale, dans laquelle prédominent les liaisons ioniques, l’isomorphisme joue aussi un rôle fondamental en métallurgie. Les exemples les plus simples de cristaux mixtes sont fournis par les métaux ; si deux métaux ont des atomes de dimension voisine avec les mêmes structures atomiques, ils peuvent se remplacer au hasard dans le milieu cristallin pour former des alliages. C’est le cas pour l’argent et l’or, pour l’arsenic et l’antimoine, pour le molybdène et le tungstène, pour le nickel et le palladium, qui forment des solutions solides continues. Si les atomes ont des rayons qui diffèrent de plus de 15 p. 100, on ne peut substituer qu’une certaine fraction des atomes de l’un par des atomes de l’autre, et l’on observe deux types de cristaux mixtes.

Il arrive aussi qu’au lieu du remplacement désordonné des atomes les uns par les autres on observe, pour une certaine composition, un arrangement ordonné qui définit une surstructure. C’est ce qui se produit pour l’alliage or-cuivre de composition AuCu3. Si l’on refroidit rapidement l’alliage à partir de la fusion, les cristaux sont formés d’atomes d’or ou de cuivre qui sont disposés indifféremment aux sommets et aux centres des faces d’un réseau de cubes ; si l’on recuit convenablement cet alliage, les atomes prennent un arrangement ordonné dans lequel les atomes d’or occupent tous les sommets des cubes et ceux de cuivre les centres des faces.

Les cristaux mixtes peuvent naître soit à partir de la dissolution de deux composés isomorphes dans un même solvant que l’on fait cristalliser, soit à partir du mélange fondu des deux corps que l’on fait cristalliser par refroidissement, ou enfin, dans de rares cas, par sublimation simultanée des deux corps.

Les propriétés physiques des cristaux mixtes, en particulier les points de fusion, les masses volumiques, les paramètres cristallins, les indices de réfraction, varient linéairement avec leur composition. C’est la loi de Végard.

Ainsi, la mesure précise d’un paramètre cristallin au moyen des rayons X peut fournir la composition d’un alliage de deux métaux. Le pétrographe, par une mesure d’indice de réfraction ou celle de l’angle des axes optiques, peut connaître, en appliquant la loi de Végard, la composition chimique d’un feldspath.

J. W.