Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Irlande (suite)

Sur le plan politique, la population protestante a toujours dominé ; elle possède un parti remarquablement organisé, le parti unioniste. Celui-ci est intimement associé à l’ordre d’Orange, qui désigne le sixième environ des délégués au congrès du parti unioniste. L’ordre d’Orange (la Loyal Institution of Orange), dont le titre même fait référence à Guillaume III d’Orange, vainqueur sur la Boyne, est résolument hostile au catholicisme et représente la tendance du parti orangiste la plus opposée aux concessions. Il faut cependant remarquer qu’il existe une importante fraction modérée au sein du parti et que plusieurs des dirigeants de l’unionisme (Clarence Graham, Brian Maginess) ont multiplié les ouvertures à l’égard des catholiques. Pourtant, la ligne générale du parti a été dans l’ensemble assez dure, surtout pendant la présence au poste de Premier ministre, de 1921 à 1940, de James Craig, vicomte Craigavon, l’un des fondateurs avec Edward Carson du corps des Volontaires de l’Ulster.

Le mécontentement des catholiques, qui avait produit divers incidents, en 1935 et en 1959 notamment, n’a cessé de croître. En 1966 était créée l’Association pour les droits civiques, qui, à partir de 1968, était contrôlée par des groupes d’étudiants révolutionnaires. Dès la fin de 1968, les incidents se multiplient. Le parti unioniste dans l’ensemble veut réagir par la vigueur. Le chef du gouvernement, Terence O’Neill, s’y oppose et, proposant des réformes modérées, il dissout le Parlement de Belfast (Stormont). Les élections de février 1969 ne lui sont pas favorables : il cède la place à James Chichester-Clark, tandis qu’on assiste à une double radicalisation protestante (pasteur Ian Paisley) et catholique (encore que Bernadette Devlin, élue par une circonscription catholique au Parlement de Westminster, déclare s’adresser à tous les « exploités », quelle que soit leur religion). Le cycle des émeutes commence : 4 janvier à Londonderry, 20 avril à Belfast et Londonderry, 12 août à Londonderry, où le quartier catholique du Bogside s’est transformé en un véritable camp retranché.

Dès le 19 août 1969, l’armée britannique prend la responsabilité de l’ordre en Irlande du Nord. La situation ne s’en aggrave pas moins. Malgré la désapprobation du Premier ministre de l’Éire, John Lynch, qui se sépare de ses collègues les plus nationalistes (mai 1970) et condamne publiquement les agissements de l’IRA, allant jusqu’à faire emprisonner plusieurs de ses chefs (mai 1972), l’IRA d’Irlande du Sud intervient en Ulster, multipliant les attentats au moyen en particulier de voitures piégées abandonnées dans les rues de Belfast et de Londonderry. Ces actions ne sont d’ailleurs que celles d’une fraction de l’IRA (l’IRA « provisoire », et non l’IRA « officielle »).

Devant l’aggravation de la situation, le gouvernement de James Chichester-Clark se révèle impuissant. Celui de Brian Faulkner, qui lui succède en mars 1971, ne réussit guère mieux, malgré l’énergie de son leader. Cela amène le gouvernement britannique à proposer au mois de mars 1972 un plan de paix. Le 24 mars 1972, l’autonomie de l’Irlande du Nord prend fin : Brian Faulkner démissionne de son poste de Premier ministre, tandis que toute la population protestante de l’Ulster observe le mot d’ordre de grève lancé par le mouvement orangiste « Vanguard », dirigé par William Craig. C’est au secrétaire d’État chargé par Londres d’administrer la province, William Whitelaw, qu’incombent alors les responsabilités du maintien de l’ordre et de la poursuite du dialogue avec les deux communautés. Mais le nouveau gouvernement travailliste d’Harold Wilson hérite, en 1974, d’une situation difficile.

J.-P. G.

 A. S. Quekett, The Constitution of Northern Ireland (Belfast, 1928-1947 ; 3 vol.). / T. W. Moody et J. C. Beckett (sous la dir. de), Ulster since 1800 (Londres, 1955-1957 ; 2 vol.). / D. P. Barritt et C. F. Carter, The Northern Ireland Problem (Londres, 1962). / C. Castéran, Guerre civile en Irlande (Mercure de France, 1970). / L. De Paor, Divided Ulster (Harmondsworth, 1970).


La littérature irlandaise

De la plus ancienne saga relatant les combats de Conor MacNessa (Conchobar macNessa), roi d’Ulster, avec Medb (Maeve), reine de Connacht, de celles qui chantent le fameux Cú Chulainn aux œuvres contemporaines, l’histoire de la littérature de l’Irlande est constamment soumise à la grande fièvre de tous ses combats. Des passions religieuses et politiques, de la guerre, parfois déclarée, le plus souvent souterraine, mais jamais terminée avec l’Angleterre, renaît sans cesse un grand souffle de violence, de passion et de romantisme. Tout est exaltation dans cette Irish literature, miroir des luttes de générations d’écrivains déchirés entre des tendances contradictoires ; profond attachement à l’héritage du fonds national, qui se heurte à la fois au poids de la langue et de la culture anglaises et au désir de se soustraire à l’esprit rigide et dangereux des nostalgies ossianiques ; effort pour faire accéder le peuple irlandais à une réalité littéraire originale se brisant sur l’esprit de clocher, le provincialisme, la pruderie entretenue par une Église souvent étroite et une censure arbitraire ; besoin enfin de s’évader ailleurs pour se réaliser, incapable toutefois de faire oublier cette sensation angoissante exprimée par Synge* dans Deirdre of the Sorrows (1910) : « Il n’y a aucun pays autre que l’Irlande où le Gaël puisse être jamais en repos. »

« Je réalisais [...] que le plus grand mal spirituel qu’une nation pouvait faire subir à une autre était de l’amputer de l’âme nationale. »

Le caractère passionné du génie irlandais explique sans doute la richesse de son apport à l’art dramatique, où il a pu le mieux s’exprimer. William Congreve, sir Richard Steele, George Farquhar, Goldsmith* et Sheridan* contribuent de cette manière à la gloire du théâtre anglais. Ils ouvrent une longue voie dans laquelle s’engageront à leur tour Wilde* et Shaw*. Mais pour ces derniers se pose déjà le problème de l’identité nationale que va affirmer, autour de Yeats* et de lady Isabella Augusta Gregory (1852-1932), l’achat de ce qui va devenir le célèbre « Abbey Théâtre » de Dublin et la fondation de l’« Irish National Theatre Society ». Désormais, le théâtre irlandais sera écrit « par des auteurs irlandais sur des sujets irlandais ». Le dernier exemple de littérature spécifiquement nationale digne d’être mentionné date du xvie s., avec la poésie d’amour réunie dans Dánta Grádha par T. F. O’Rahilly (1926). Entre le plus ancien manuscrit d’Irlande, œuvre du scribe Mael Muire († 1106), et Description of Ireland (1577), de Richard Stanyhurst (1547-1618), qui appartient déjà à la littérature anglo-irlandaise, à peine cinq cents ans se sont écoulés. Pourtant, des siècles durant, le patrimoine national, transmis de génération en génération par les bardes, s’est nourri de sa propre mythologie, écartant celle de la Grèce ou de Rome. Naturel, simplicité et fraîcheur de la littérature irlandaise éclatent encore dans la poésie religieuse du viiie et du ixe s. Mais avec l’occupation normande, la poésie, professionnelle autant qu’impersonnelle, s’adresse aussi bien aux chefs envahisseurs qu’aux chefs tribaux. Petit à petit s’effondre ainsi la littérature gaélique, bien près de mourir et qui, au xviiie s., pour mal à l’aise qu’elle soit chez les imitateurs paysans comme O’Rahilly, trouvera son ultime refuge dans les chansons et les contes populaires quand, avec leurs protecteurs féodaux, disparaîtront les poètes professionnels. Depuis longtemps à cette époque, la mentalité et la langue anglaises prédominent dans l’Irlande conquise dès le xive s. et ravagée par Cromwell en 1649-50.

Des excès mêmes de cette occupation, contre lesquels s’élève un écrivain aussi typiquement anglais que Jonathan Swift*, naîtra la révolte. De la suprématie sans partage de l’anglais va sortir la prise de conscience d’une littérature particulière et originale irlandaise.