Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

intelligence (suite)

Le syncrétisme est un niveau de pensée où la distinction n’est pas nettement établie entre le sujet qui pense, l’objet de sa pensée et les expressions de celle-ci. Son caractère massif et inorganisé, son déroulement sur un seul plan avec des juxtapositions, confusions et incohérences ressemblent fort, dit Wallon (1945), « à l’exercice encore compact et disparate d’un cerveau aux systèmes d’associations restés frustes, et dont les différents territoires manqueraient de coordination, dont chacun serait une masse uniforme ».

Les attitudes pratiques enfin se développent chez l’enfant en même temps que ses attitudes discursives. Elles subissent l’influence de la représentation et du langage, qui les transforment profondément. Il s’agit des attitudes réalisatrices que l’enfant manifeste dans ses adaptations vitales et surtout dans ses jeux. L’attitude imitative domine. L’imitation des rôles (jouer au docteur, au marchand, etc.) est un développement de l’orientation sociale de l’intelligence pratique, utilisant la représentation et le langage pour des fins d’acquisition. L’imitation des objets (jeux de construction, de manipulation, etc.) est un développement de l’orientation objective de l’intelligence pratique où les représentations guident les réalisations, où le langage sert de consigne et qui permet à l’enfant une reconnaissance de plus en plus précise des formes, des dimensions, des qualités et des propriétés de l’objet ainsi que des rapports de position, de distance, de mouvement, de topographie, etc. Il en résulte pour l’enfant une connaissance pratique des objets, des êtres, des situations et de lui-même.


L’intelligence abstraite (6-11 ans)

L’intelligence abstraite est une intelligence qui opère avec des signes et des symboles abstraits, c’est-à-dire suffisamment épurés des adhérences de l’affectivité et de l’action pour dépasser l’expérience concrète et parvenir à une connaissance objective. Chez l’enfant, elle débute vers 6 ans grâce à un nouveau palier de maturation nerveuse, notamment du cortex frontal et du cortex d’association.

Apparaît alors une attitude générale qui commande l’activité de l’enfant et qui se manifeste par une capacité de suspendre l’activité spontanée des fonctions, de les détacher chacune de ses exigences propres pour les organiser et les subordonner à des motifs qui répondent à des intentions et des buts définis à plus ou moins longue échéance. L’enfant devient capable de poursuivre plus longtemps une même activité et de changer d’activité en fonction d’un programme établi, tel le programme de travail, qui débute au cours préparatoire. À la discontinuité mentale du stade précédent succèdent une plus grande continuité et la réversibilité de l’acte intellectuel.

Cette nouvelle organisation mentale rend possible un certain nombre d’attitudes intellectuelles qui se développent au cours du présent stade pour donner naissance progressivement à des systèmes d’opérations d’où résultent les débuts de la connaissance rationnelle chez l’enfant.

L’attitude d’analyse est l’une des plus importantes, qui permet à l’enfant de dépasser le syncrétisme et de parvenir à une représentation analytique. Elle se manifeste comme une tendance à dissocier les objets et les situations pour en abstraire des qualités, des propriétés et des circonstances qui, par cette abstraction, deviennent progressivement des catégories.

L’analyse abstractive chez l’enfant progresse par degrés et se déploie dans différents domaines, avec de fréquentes oscillations. L’analyse de l’objet tend à détacher de l’objet ses qualités et à isoler celles-ci les unes des autres pour constituer une représentation abstraite et analytique de l’objet, qui devient une structure de catégories. L’objet dont il s’agit ici peut être un objet physique, un être vivant, une personne ou l’enfant lui-même. Les difficultés de l’analyse varient avec la complexité de l’objet et son caractère plus ou moins familier à l’enfant. L’analyse des ensembles tend à dissocier les parties pour reconstituer le tout. Dans ces analyses s’opère le détachement des objets de l’espace qu’ils occupent pour une représentation abstraite de l’espace comme milieu neutre et homogène. L’analyse des situations et des événements tend à dissocier des circonstances, à isoler la cause et l’effet. Le temps a tendance à se détacher de la succession et de la durée vécue pour devenir une échelle d’intervalles et un système chronologique de points de repère.

Ce sont de telles analyses qui interviennent dans les premiers apprentissages scolaires de l’enfant : lecture, écriture, calcul, exercices d’observation. De nombreuses expériences ont montré les difficultés de ces analyses chez le jeune enfant. Quand il tient compte d’une qualité, il en néglige d’autres. Les qualités isolées s’interfèrent et se contaminent mutuellement. La quantité commence par être confondue avec l’espace ou la dimension, le temps avec l’espace parcouru, etc. Les mots dissociés en lettres perdent leur identité ou leur signification. En tout cas, ce sont des progrès de l’analyse qui se trouvent à la base de la formation des concepts indispensables à l’acquisition des techniques intellectuelles et aux opérations de la pensée.

L’attitude de comparaison apparaît chez l’enfant en même temps que l’attitude d’analyse. Mais tandis que l’analyse est un passage du concret à l’abstrait, la comparaison ne peut se déployer que sur le plan abstrait, c’est-à-dire avec des qualités déjà dissociées par l’analyse.

La comparaison la plus primitive part d’un rapprochement par couple et se manifeste au moment où l’enfant devient capable d’intercaler entre les deux termes du couple un moyen terme qui permet de définir leur relation : trois bâtonnets du plus petit au plus grand. Le bâtonnet moyen est à la fois plus grand que le premier et plus petit que le second ; cela n’est possible que si la qualité longueur s’est détachée de lui comme catégorie abstraite pouvant entrer simultanément dans deux relations inverses. C’est le passage du couple à la série, laquelle inaugure la véritable pensée relationnelle (Wallon, 1945).