Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Innocent III (suite)

Le pape entreprend aussi d’imposer sa suprématie aux autres monarchies européennes. Avec la France, les conflits sont nombreux. D’abord au sujet des démêlés matrimoniaux du roi : Philippe Auguste a répudié sa seconde femme, Isambour de Danemark, et fait annuler son mariage par une assemblée de prélats français complaisants ; il a ensuite épousé Agnès de Méran. Isambour fait appel au pape, et celui-ci exige que le roi reprenne sa seconde épouse. Philippe Auguste ne s’étant pas exécuté, Innocent III n’hésite pas, en 1200, à jeter l’interdit sur toute l’étendue du royaume de France. Le mécontentement est tel parmi les populations que le roi doit céder.

Mais le grand sujet de litige entre Innocent III et Philippe Auguste est l’Angleterre. Au début, le pontife prêche la concorde : il ménage la trêve de Vernon (1199) entre les adversaires, mais il tente vainement d’empêcher, trois ans plus tard, la conquête par Philippe Auguste des possessions continentales des Plantagenêts. Ensuite, Jean* sans Terre étant entré en lutte avec la papauté au sujet de la nomination par Rome de Stephen Langton au siège de Canterbury (1207) et d’impositions sur le clergé, Innocent III jette l’interdit sur le royaume et encourage le roi de France à conquérir l’Angleterre.

Philippe Auguste n’attend que cette occasion ; mais à ce moment Jean sans Terre se soumet et se reconnaît vassal du Saint-Siège. Aussitôt, le pape ordonne au roi de France de renoncer à ses projets de débarquement. Philippe Auguste prend sa revanche plus tard, lorsque Jean sans Terre, venu l’attaquer sur le continent, est défait à La Roche-aux-Moines : c’est Innocent III qui le sauve une seconde fois en imposant à son adversaire la paix de Chinon (1214). Furieux, Philippe Auguste fait attaquer le Plantagenêt par son fils, et, de nouveau, le pape s’immisce dans la querelle et excommunie l’héritier du trône.

Avec les autres princes, le pape adopte la même attitude. Le roi de León Alphonse IX est excommunié pour avoir épousé une parente ; l’interdit est lancé sur le royaume, et le roi, comme Philippe Auguste, doit plier. De Pierre II d’Aragon, Innocent III obtient qu’il se reconnaisse, comme Jean sans Terre, vassal de la papauté et, à sa mort, il se déclare tuteur de son jeune fils. Au Portugal, le pape fait revivre les droits jadis conférés au Saint-Siège par la donation d’Alphonse Ier Henriques.

Le pape fait sentir son autorité jusque dans les royaumes de Hongrie et de Bohême, dont les souverains reconnaissent les droits spéciaux de la papauté sur leurs États.


Les croisades d’Innocent III

Dans l’esprit d’Innocent III, l’unité de la chrétienté sous l’égide pontificale n’est que la condition préalable d’une plus grande œuvre, celle de la croisade et du règlement de la question d’Orient.

Le pape essaie patiemment de regagner certains territoires passés aux Orientaux ; ainsi, il réussit à établir l’union avec les Églises d’Arménie, de Bulgarie et de Serbie ; en outre, il rêve d’associer l’empereur de Byzance à une grande croisade* commune contre les infidèles. En fait, sa politique orientale est un échec : les infidèles ne sont pas repoussés, et l’Empire latin de Constantinople, trop faible et bientôt disparu, ne fera qu’aggraver la haine des orthodoxes à l’égard des Occidentaux.

Innocent III engage également la lutte contre l’hérésie cathare. Les cathares*, qui prêchent l’absolue pureté de mœurs, le refus des sacrements et de toute autorité cléricale, constituent un danger pour Rome en menaçant de ruiner de fond en comble l’ordre établi. Ils sont particulièrement nombreux dans le Languedoc, dans les États du comte de Toulouse. Contre eux, le pape prêche une croisade : son triomphe est complet.

C’est l’aboutissement des idées théocratiques d’Innocent III, selon lesquelles les princes relèvent du jugement pontifical à titre privé et public. Le pape a aussi l’habileté de se servir du lien féodal pour tenir en fie de nombreux royaumes. En matière religieuse, il réclame la soumission absolue ; pour le temporel, on lui doit l’hommage lige féodal et le versement d’un tribut (le cens récognitif), qui lui assurent la domination. Ainsi, il proclama qu’« en une seule personne, celle du vicaire du Christ, la royauté et le sacerdoce fussent unis comme le corps et l’âme ».

Devant ces excès de pouvoir, les princes réagissent. On a vu l’attitude de Philippe Auguste à l’égard du pape. En Angleterre, barons et évêques se révoltent contre Jean sans Terre, qui a perdu à leurs yeux tout prestige, et lui imposent en 1215 une « Grande Charte » qui limite son autorité en matière judiciaire et qui l’empêche de lever des impôts sans le consentement de ses sujets. Aussitôt, le pape excommunie les rebelles, mais ses foudres ne peuvent rien empêcher, et, dans le royaume dévasté, le pouvoir de Jean sans Terre s’effondre.

Cependant, malgré l’échec anglais, le quatrième concile œcuménique du Latran (1215) voit l’apothéose d’Innocent III, qu’entourent 1 500 prélats venus de toute l’Europe. Et le pape dicte ses décisions au monde : réorganisation de l’Église, statut des ordres religieux, croisade contre les infidèles, répression de l’hérésie albigeoise, déposition d’Otton IV et de Raimond VI, investiture de Frédéric II et de Simon de Montfort. Innocent III peut mourir l’année suivante avec l’espoir que le monde chrétien tout entier se consacrera à l’œuvre du Christ sous l’égide de la papauté.

P. R.

➙ Croisades / Églises catholique ou romaine / Sacerdoce et de l’Empire (lutte du).

 A. Luchaire, Innocent III (Hachette, 1904-1908 ; 6 vol.). / A. Fliche, C. Thouzellier et Y. Azaïs, la Chrétienté romaine, 1198-1274 (Bloud et Gay, 1950). / H. Tillmann, Papst Innozenz III (Berlin, 1954).