Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

industrialisation (suite)

Mais ces impératifs économiques élémentaires laissent de côté un problème essentiel. Ils n’indiquent pas pourquoi une société percevra (ou non) et sera ou non capable de saisir les facilités qui lui sont offertes, comment peut apparaître l’élite nécessaire à un pays pour le mettre sur la route de l’accumulation et de la croissance. Il faut à cela certaines conditions sociales plus difficiles à isoler.

Tirant la leçon des pays anciennement industrialisés, on s’est plu à dresser l’inventaire des conditions favorables et des obstacles au développement, l’obstacle étant considéré comme ce qui, ayant été levé, a permis le développement de ces pays. A. O. Hirschman a montré les difficultés auxquelles se heurtent de tels inventaires. Ce qui s’est révélé un obstacle important pour un pays peut n’être pour un autre qu’un obstacle aisément surmontable ou dont l’élimination peut être différée sans dommage. On fait couramment, par exemple, de l’institution de la famille élargie un obstacle au développement. Celle-ci peut être au contraire un élément favorable de départ permettant la mise en commun de ressources et une forme de coopération épargnant le recours à des formes de coopération complexes. Certains traits de la société japonaise dont on fait normalement des obstacles au développement (prédominance des relations de type personnel, liens d’allégeance de type paternaliste) se sont révélés être des obstacles mineurs et peut-être même des éléments favorables.

Il est également difficile d’établir une règle quant aux formes de gouvernement les plus favorables à l’industrialisation. La première industrialisation s’est faite à l’écart de toute intervention de l’État, celui-ci se bornant à favoriser le commerce. L’industrialisation de la France et celle des États-Unis se sont réalisées aussi sous un régime de liberté politique et économique. C’est déjà moins vrai pour l’Allemagne. Cela ne l’est plus pour l’Union soviétique et le Japon. Il apparaît clair, en tout cas, qu’aujourd’hui l’État doit jouer dans l’industrialisation un rôle plus grand que celui qu’il a joué dans le passé.

La transposition, auprès des jeunes nations, des leçons du passé se heurte au fait que le système mondial fait peser sur elles une domination qui est souvent l’un des principaux obstacles à leur développement. C’est une des raisons pour lesquelles l’industrialisation se trouve aujourd’hui plus étroitement liée que jamais au nationalisme.

En raison des difficultés évoquées plus haut, l’établissement de séquences, d’étapes dans l’industrialisation reste peut-être — ne serait-ce qu’au niveau de la seule description, et si criticables soient-elles — l’une des manières les plus utiles et pratiques d’organiser l’information relative à l’industrialisation. La formulation la plus connue est celle de W. W. Rostow, qui distingue cinq phases par lesquelles doit passer un pays pour parvenir à son plein essor : la société traditionnelle, définie par sa faible production ; celle où se réalisent les conditions du décollage (take-off), caractérisée par un déplacement du pouvoir économique et politique et par l’apparition de nouvelles attitudes ; le décollage, situé au moment où le taux d’investissement net atteint et dépasse 10 p. 100 du produit national ; la phase de maturité, où se généralise la technique moderne ; enfin celle de la consommation de masse. À chaque étape correspondent un ou plusieurs secteurs industriels prédominants, et les sociétés se trouvent chaque fois confrontées à des choix qui font leur spécificité.

B. M.

➙ Automatisation / Bureaucratie / Capitalisme / Concentration / Croissance économique / Développement économique / Distribution / Entreprise / Industrielle (révolution) / Informatique / Innovation / Machinisme / Travail.

 P. Mantoux, la Révolution industrielle au xviiie siècle (Soc. nouv. de librairie, 1906 ; rééd., Génin, 1959). / L. Mumford, Technics and Civilization (New York, 1934 ; trad. fr. Technique et civilisation, Éd. du Seuil, 1950). / T. S. Ashton, The Industrial Revolution (Oxford, 1935 ; trad. fr. la Révolution industrielle, 1760-1830, Plon, 1955). / F. Perroux, l’Europe sans rivages (P. U. F., 1954) ; la Coexistence pacifique (P. U. F., 1958 ; 3 vol.) ; l’Économie des jeunes nations, t. I : Industrialisation et groupements de nations (P. U. F., 1962). / W. A. Lewis, The Theory of Economic Growth (Londres, 1955 ; trad. fr. la Théorie de la croissance économique, Payot, 1967). / A. O. Hirschman, Strategy of Economic Development (New Haven, 1958 ; trad. fr. Stratégie du développement économique, Éd. ouvrières, 1964). / W. W. Rostow, The Stages of Economic Growth, a Non-Communist Manifesto (Cambridge, Mass., 1960 ; trad. fr. les Étapes de la croissance économique, Éd. du Seuil, 1962). / R. Aron, Dix-huit Leçons sur la société industrielle (Gallimard, 1962). / P. Bairoch, Révolution industrielle et sous-développement (S. E. D. E. S., 1963). / B. F. Hoselitz et W. E. Moore (sous la dir. de), Industrialization and Society (La Haye, 1963). / J. Labasse, l’Organisation de l’espace. Éléments de géographie volontaire (Hermann, 1966). / Blocages et freinages de la croissance et du développement, numéro spécial de Tiers Monde (1966). / J.-J. Servan-Schreiber, le Défi américain (Denoël, 1967). / L. Stoleru, l’Impératif industriel (Éd. du Seuil, 1969). / M. Crozier, la Société bloquée (Éd. du Seuil, 1970). / C. Fohlen, Qu’est-ce que la révolution industrielle ? (Laffont, 1971).

industrielle (révolution)

L’idée de révolution industrielle est généralement attribuée à Arnold Toynbee (1852-1883).



Introduction

Paul Mantoux (1877-1956) l’a reprise dans un ouvrage publié en 1906. L’un et l’autre décrivent le processus qui a bouleversé l’Angleterre de 1760 à 1840. En fait, Marx avait déjà donné dans le premier volume du Capital (1867) la description du phénomène. Ce mode de développement économique est propre à l’Occident européen, seule zone du monde à l’avoir connu. Mais « la véritable universalité de la ligne de développement occidentale est dans sa singularité » (Maurice Godelier). En effet, le développement capitaliste est le seul à avoir permis non seulement la transformation du monde entier, mais l’universalisation de l’histoire.

La révolution industrielle a d’abord touché l’Angleterre au xviiie s., puis le reste du monde dans la période qui suivit. On peut parler d’une deuxième révolution industrielle à la fin du xixe s., et d’une troisième révolution industrielle qui correspond à l’époque contemporaine.