Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

industrialisation (suite)

La difficulté, lorsqu’on cherche à appuyer la politique de croissance par la création d’industries, est de choisir les entreprises susceptibles de créer des effets de polarisation, et de sélectionner, parmi les implantations possibles, celles qui sont les plus efficaces pour attirer des hommes et les fixer. Les échecs enregistrés sont souvent nés du refus d’analyser les problèmes connexes de l’industrialisation. On commence à peine à se rendre compte qu’il ne peut y avoir de création d’établissements industriels sans qu’existent assez d’organisations de services pour satisfaire la population ouvrière et l’entreprise elle-même. Les politiques d’industrialisation sont de plus en plus liées aux politiques d’équipement urbain et de décentralisation des activités tertiaires. Cela condamne le saupoudrage que l’on a pratiqué naguère. À l’exception des zones de très fortes densités, où l’on peut assurer des services de type urbain en dehors des grandes métropoles, une telle pratique ne peut aboutir à la création de milieux réellement vivants.


L’industrialisation des grandes nations

On parle en France, depuis quelques années, de politique d’industrialisation au niveau de la collectivité nationale. On se rend compte des lacunes et des insuffisances qui existent dans le domaine de nos fabrications. On regrette que les industries d’équipement ne tiennent pas une place plus importante dans nos exportations. On constate que les fabrications de pointe sont souvent moins bien représentées que dans les nations voisines, ou aux États-Unis et au Japon.

Les problèmes que l’on traite sont donc d’abord d’ordre technique. Il faut former le personnel apte à conduire les fabrications que l’on envisage, multiplier les laboratoires qui réduiront la dépendance à l’égard de la matière grise étrangère et veiller à ce qu’ils se montrent efficaces ; l’expérience a prouvé que la productivité de la recherche est extraordinairement variable. Cela nécessite une action de type culturel, qui est particulièrement difficile. Il faut transformer la mentalité de ceux qui travaillent dans les laboratoires, et cela ne va pas sans résistance...

La conduite d’une politique d’industrialisation au niveau d’un pays comme la France est au total bien plus une affaire d’« ingénierie » sociale que de technique pure. Si les secteurs de pointe ne sont pas mieux représentés, si les industriels acceptent de dépendre de firmes étrangères, c’est que la société française est par bien des aspects une société bloquée. Elle a réussi à se doter d’entreprises efficaces dans le cadre de la production des biens de consommation, elle est en train de connaître enfin une mutation agricole qui conduit à la multiplication des fermes dynamiques. Elle n’a pas encore connu dans beaucoup de domaines de l’activité de service de mutations sociales et économiques analogues ; beaucoup les redoutent et luttent confusément contre elles. De ce point de vue, le problème essentiel de l’industrialisation, dans les sociétés avancées, est de nature culturelle. Comment faire admettre la disparition des secteurs refuges qui permettaient aux mal adaptés de vivre à côté de la société moderne ? Comment créer une société industrielle à visage humain ? Les pays qui ont réussi sur le plan de la production sont souvent ceux où les tensions sociales et l’agression contre le milieu se manifestent avec le plus de brutalité. Il y a sans doute une profonde sagesse dans la résistance à l’industrialisation, mais le refus est purement négatif. Ce que l’on doit trouver, c’est une formule qui permette l’épanouissement de la personne dans le cadre de la civilisation industrielle.

P. C


Les sociétés industrielles


Introduction

La domestication de l’électricité, forme nouvelle d’énergie venant détrôner la suprématie de la machine à vapeur, a conduit à parler de seconde révolution industrielle. Lewis Mumford pouvait dès lors qualifier la première de « paléotechnique ». Cette seconde révolution, commençant vers 1880, ne connaît son plein développement qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale. Elle est marquée, en outre, par la découverte du pétrole, par l’invention du moteur à explosion, par la multiplication et la diversification des moyens de transport et des moyens de communication à longues distances (téléphone, radio), par le développement des machines-outils à coupe rapide et par l’essor de l’industrie chimique conduisant à la création de produits de synthèse. C’est alors qu’on peut véritablement commencer à parler de production de masse.

Avec la domestication de l’énergie nucléaire, qui rend notamment la localisation des industries encore moins dépendante que par le passé des sources d’énergie et des matières premières, on a parlé, dans le même esprit, de troisième révolution industrielle. Celle-ci est surtout marquée par le développement de l’ordinateur, c’est-à-dire par l’application, aux processus intellectuels et aux décisions, de l’automatisme, qui, depuis les débuts de l’industrialisation, avec le machinisme, s’était presque exclusivement porté sur le travail de fabrication (v. informatique). Ainsi, Alain Touraine, définissant par leur mode de production et d’organisation les sociétés d’un type nouveau qui se forment aujourd’hui, les qualifie de « sociétés programmées ».

Chacune de ces révolutions a eu ses conséquences propres, qui dépassent largement le cadre des formes d’organisation du travail, de la nature des postes de travail et des qualifications qu’elles tendent à instaurer ou à requérir. C’est l’ensemble de l’organisation et de la vie sociale qui s’est trouvé transformé. Les industries ayant joué un rôle moteur ou prédominant dans le développement et l’industrialisation à l’une de ces étapes se trouvent reléguées par la suite à un rôle plus subalterne. Les tissus de synthèse rendent surannée la vieille industrie textile, et ce sont aujourd’hui les industries chimiques et électroniques qui, à certains égards, jouent le rôle tenu précédemment par la sidérurgie. C’est pourquoi l’installation, dans des pays sous-développés, de ces mêmes industries qui avaient assuré autrefois le développement des nations aujourd’hui avancées laisse ces pays dans le même état de subordination à l’égard des nations riches et ne leur suffit pas pour amorcer leur propre développement. Durant la première période, la population active du secteur primaire (agriculture et mines) ne cesse de diminuer au profit, essentiellement, du secondaire (production) ; par la suite, le secondaire diminue au profit du tertiaire (services).