Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indonésie (suite)

Au début du siècle, tous les Indonésiens n’aspiraient pas encore à l’indépendance politique, mais ils rêvaient de sortir du cadre étroit où les enfermait la tradition. Certains d’entre eux partaient en pèlerinage et, s’ils avaient la chance d’aller en Égypte, découvraient, à travers l’arabe, la littérature française. Les plus favorisés pouvaient se rendre en Europe. Un jeune noble javanais, R. M. Noto Suroto (né en 1898) a ainsi rencontre Tagore en Europe et composé plusieurs recueils de vers en néerlandais. Les Boutons de jasmin, poèmes en prose, seront traduits en malais par un jeune Sumatranais, Muhammad Yamin (1903-1962), auteur pour sa part de deux œuvres lyriques célèbres, Patrie (1920) et Indonésie, ma patrie (1928). Le second recueil, le Parfum du chignon de ma mère, contient des sonnets. Il ne sera pas traduit, mais bientôt les jeunes Sumatranais commenceront à publier des sonnets originaux en malais, ainsi Sanusi Pane (né en 1905) et Muhammad Hatta.


Le théâtre

Dans le monde malais, toute représentation théâtrale portait le nom de wayang, en partant du théâtre d’ombres, le wayang kulit, dont le manipulateur (dalang en javanais, pawang en malais) était, en quelque sorte, le prêtre officiant. Son répertoire le plus ancien, le Mahābhārata et le Rāmāyaṇa, avait un caractère sacré et servait à l’occasion des fêtes du clan. Le dalang improvisait, mais une sorte de canevas le tenait pour le déroulement de l’action ; il n’avait le droit d’en modifier un seul détail. L’orchestre de gamelan jouait un rôle important dans la représentation, accompagnant chaque personnage et chaque geste. Après l’introduction du spectacle des masques (topeng), le dalang se tint caché derrière un paravent. Mais une fantaisie princière introduisit au xviiie s. une autre innovation : le wayang orang. Le dalang n’y avait plus de part, et des hommes non masqués jouaient les lakon (pièces) de l’ancien répertoire sacré. Au xixe s., autre innovation : le langendriyan, représentation entièrement féminine, du roman de Damar Wulan, en vers, sans accompagnement musical.

Sur la péninsule malaise, le wayang kulit n’était traditionnel que sur la côte orientale, dans les pays touchés par l’influence de Majapahit ; le Nord était sous l’influence siamoise. Le reste du pays connaissait une sorte d’opérette, la komedi Bangsawan, puisant son répertoire dans les réserves de hikayat ou syair favoris. Les acteurs étaient peu tenus par le texte et s’annonçaient eux-mêmes au public. La représentation pouvait durer plusieurs soirs de suite.

Dans les dernières décennies du xixe s., ce théâtre fut introduit sur la côte occidentale de Sumatra, et c’est de Sumatra que devait venir la renaissance théâtrale. Les premiers à écrire spécialement pour le théâtre furent les trois jeunes poètes Rustam Effendi, Muhammad Yamin et Sanusi Pane. À R. Effendi, nous devons Bebasari (1928), drame symbolique en vers, où l’héroïne représente la liberté tenue prisonnière. Yamin (Kén Arok et Kén Dédés, 1928) et Pane (Kertajaya, Sandhyakala ning Majapahit) écrivirent des drames historiques tirés de l’histoire javanaise.

Dans les années 20, Anyar Asmara modernisa le théâtre Bangsawan, mais c’est sous l’occupation japonaise que le théâtre a réellement pris son essor, avec Abu Hanifah (Tempête sur l’Asie), Usmar Ismail (Tristes et joyeux), Utuy Tatang Sontani (né en 1920), W. S. Rendra (né en 1935).


La Balai Pustaka

La culture occidentale toucha d’abord quelques membres de l’aristocratie javanaise. Ainsi, Radén Ajeng Kartini (1879-1904), fille du régent de Japara, plaida la cause de la femme prisonnière de la coutume et demanda son instruction à l’européenne. Ses lettres, réunies et publiées sous le titre Door duisternis tot licht (1911), furent bientôt traduites en malais par ses quatre frères et inspirèrent le décret royal de 1913 créant les écoles pour jeunes filles « indigènes ».

Dès le xixe s., de nombreux journaux avaient vu le jour, surtout en malais, et publiaient des feuilletons (romans ou histoires). Le gouvernement hollandais sentait la nécessité de tenir l’information sous contrôle, comme il contrôlait les départs des pèlerins. Il décida de fonder un bureau de traduction et d’adaptation d’ouvrages européens. L’organisme s’appela « Commission pour la lecture populaire » et, pour distribuer ces productions, on organisa des bibliothèques de prêt itinérantes. On s’aperçut graduellement des difficultés à faire comprendre la vie européenne aux grandes masses et on transforma ce « bureau » en véritable maison d’édition, la Balai Pustaka, ou « BP ». La BP recruta ses collaborateurs parmi l’élite indonésienne, en grande partie sortie des écoles normales ; pour le malais, ils venaient naturellement de Sumatra. La norme, à l’époque, était le malais des Riau, mais il fut chez la BP très teinté de malais de Minangkabau, car c’est de cette région qu’accoururent également ses premiers écrivains, la « génération des années 20 ».

Leur style était marqué par le terroir, parsemé de dictons et de proverbes, de pantun échangés par les amoureux, et la description de la beauté de l’héroïne pouvait être empruntée aux conteurs traditionnels. Ces romans pionniers montrent le poids de la coutume dans la vie familiale et notamment dans l’ordre du mariage. C’est à la BP que furent publiés les romans de Hamka, comme le Naufrage du Van der Wijk, et ses nouvelles, Sous la protection de la Ka’aba.

Les années 20 furent également l’époque la plus active de Sayid Syaikh bin Ahmad al Hadi. Natif de Malacca, mais d’ascendance arabe, il étudia en Égypte auprès de Muḥammad ‘Abduh. Imbu de ses idées réformistes, il revint en Malaisie, où il se lança dans le journalisme, les travaux historiques et les traductions. Il adapta de l’arabe les exploits de Rocambole, qu’il publia en feuilleton dans l’une de ses revues, Saudara, dont le succès commercial lui permettait de réaliser ses ouvrages sérieux et d’informer le public des grandes réformes d’‘Abduh, du mouvement d’émancipation féminine, etc. Il avait à ses côtés un traducteur, Hayi Rahim Abdul Kayai, qui écrivit aussi des nouvelles à tendance moralisatrice. Le même mouvement animera à Kelantan l’Asassiyyah Press, fondée en 1929.

Le Malay Translation Bureau, à Tanjong Malim, fondé en 1924 par le gouvernement anglais, était chargé, tout comme la BP, de fournir de la lecture distrayante, des contes pour enfants et des romans d’aventures : Jules Verne, Edgar Wallace et Conan Doyle y occupaient une bonne place.

Nur Sutan Iskandar fut un des auteurs les plus brillants et peut-être le plus fécond de la BP. Il a régné sur cette véritable pépinière d’écrivains pendant près de trente ans (1919-1947) en supervisant les manuscrits et corrigeant le malais des autres insulaires.