Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indochine (guerres d’) (suite)

Survint le coup de force du 9 mars 1945, que l’armée japonaise déclencha pour enlever aux Français d’Indochine toute possibilité de prendre les armes. La déportation de l’amiral Decoux à Lôc Ninh, l’arrestation de tous les fonctionnaires et militaires, sauf les quelques troupes (général Sabattier [1892-1966]) qui parvinrent à se replier en Chine, enfin l’internement de tous les ressortissants français, bref l’abolition de la souveraineté de la France laissèrent le champ libre au nationalisme annamite. Dès l’effondrement du Japon, c’est-à-dire le 14 août 1945, le Comité vietnamien de libération sortit de la clandestinité et, le 2 septembre, jour où fut signée la capitulation japonaise, l’indépendance du Viêt-nam fut proclamée par Hô Chi Minh, qui contrôlait le Front de libération (le « Viêt-minh »).

Or, il avait été décidé à la conférence de Potsdam (juill. 1945) que le désarmement des troupes japonaises présentes en Indochine serait confié aux forces chinoises au nord du 16e parallèle et aux forces britanniques au sud, en sorte que les troupes françaises et l’amiral Thierry d’Argenlieu, nommé haut-commissaire le 17 août, ne pouvaient arriver que dans le sillage de troupes étrangères et avec leur assentiment.

Dans le Sud, la compréhension des Britanniques permit au général Leclerc et aux premiers éléments français d’arriver à Saigon le 5 octobre ; trop tard cependant pour éviter le massacre de la cité Héraud, où périrent de nombreux civils français. Le rétablissement de la souveraineté française dans les principaux centres de la Cochinchine et de l’Annam fut obtenu cependant assez vite, mais le Viêt-minh conserva son emprise sur d’importantes fractions de la population rurale.

Au nord du 16e parallèle, la situation fut tout autre : les troupes chinoises se livraient au pillage, et leurs chefs n’entendaient pas se replier. D’autre part, Hô Chi Minh avait installé son gouvernement à Hanoi en bénéficiant de la complicité chinoise, et il fallait donc entamer une double négociation. Le départ des Chinois fut acquis seulement le 28 février 1946 par l’accord signé à Chongqing (Tch’ong-k’ing) avec Tchang Kaï-chek. Avec le Viêt-minh, un compromis fut conclu le 6 mars 1946. Les troupes françaises purent alors atteindre Hanoi, non sans avoir été victimes d’une sévère embuscade, du fait d’éléments chinois, lorsqu’elles débarquèrent à Haiphong.

Rien n’était cependant réglé. La France avait admis que l’Indochine accéderait à l’indépendance, mais Hô Chi Minh exigeait la souveraineté du Viêt-minh sur les trois ky (Tonkin, Annam, Cochinchine) ; de plus, il souhaitait maintenir seulement une association très lâche avec la France. Pour sa part, l’amiral Thierry d’Argenlieu entendait limiter les concessions et voulait de plus que la Cochinchine soit soustraite à l’emprise viêt-minh. Un accord se révélait donc très difficile. Cependant, les négociations continuèrent à Dalat (avr.-mai et août 1946), puis sur le plan gouvernemental à la conférence de Fontainebleau (juill.-sept.). Le Viêt-minh mit à profit ces délais pour se préparer à la guerre, et les incidents d’Haiphong des 19 et 20 novembre, qui eurent pour corollaire le bombardement de la ville dans la journée du 23 novembre, montrèrent l’imminence d’une rupture. Celle-ci eut lieu le 19 décembre 1946, et le Viêt-minh lui donna le caractère d’une Saint-Barthélemy dans les principales villes du Nord, notamment à Hanoi, où la garnison française connut des heures difficiles.


La première guerre d’Indochine (1946-1954)

Le 19 décembre 1946, le Viêt-minh avait mis la main sur plusieurs régions de la Cochinchine et de l’Annam ainsi que sur une importante partie du Tonkin. Il en conserva l’essentiel jusqu’à la fin de la guerre, perdant seulement le contrôle de certaines provinces en Cochinchine, mais conquérant de nouvelles zones au Tonkin. De ce fait, il exista de vastes espaces où le Viêt-minh exerça totalement sa souveraineté, tout en y puisant les effectifs et les moyens nécessaires à la conduite des opérations.

Le commandement français ne parvint jamais à reprendre ces territoires, et les hostilités furent essentiellement localisées aux deux deltas du fleuve Rouge et du Mékong ainsi qu’à une portion du littoral annamite. La « guerre sans fronts » qui s’y livra fut ainsi conditionnée par l’existence de milliers de villages, dont les rizières environnantes faisaient autant d’îles. Il eût fallu mettre une garnison dans chacun de ces villages pour gagner les populations, mais l’implantation de milliers de postes était impossible, et il fallut se contenter d’effectuer périodiquement un contrôle plus ou moins hâtif des nombreuses localités où le Viêt-minh était chez lui. Habituellement, ce dernier se dérobait, puis il ripostait par des embuscades, par l’attaque nocturne des postes français et enfin par toute la gamme des actes terroristes.

Au demeurant, le conflit prit l’aspect d’une escalade des effectifs. Au départ, les forces du Viêt-minh, sous les ordres de Vô Nguyên Giap, étaient inférieures à 100 000 combattants, mais elles atteignirent après quatre ou cinq ans un total de 350 000 hommes, tandis que le corps expéditionnaire français s’enfla lentement, jusqu’au moment où, sur l’incitation du général de Lattre de Tassigny, la création d’armées nationales vietnamienne, cambodgienne et laotienne permit d’égaler l’adversaire. En 1954, le chiffre d’environ 400 000 combattants fut atteint par les forces de l’Union française, mais la marge de supériorité était trop faible pour forcer la décision. Les efforts de pacification associés aux opérations visant la destruction du corps de bataille adverse auraient exigé des effectifs trois ou quatre fois supérieurs.

Or l’année 1949 avait marqué le tournant de la guerre, car les armées de Mao Zedong (Mao Tsö-tong) achevèrent alors la conquête de la Chine, et le contact fut établi entre le communisme chinois et le Viêt-minh. Dès lors, ce dernier bénéficia d’un approvisionnement régulier en armes, en munitions et en ravitaillement divers, tandis que ses unités pouvaient aller s’instruire en territoire chinois.