Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indiens (suite)

J. H. Greenberg a regroupé de façon beaucoup plus poussée les familles linguistiques, en se fondant sur les techniques de lexicostatistique et la reconstruction glottochronologique ; il aboutit à quatre grandes divisions : le macro-chibcha, l’andin-équatorial, le gé-pano-caribe, les enclaves hoka (langues originaires d’Amérique du Nord). Le désavantage d’un classement si compréhensif est que chaque groupe ainsi formé recouvre des régions infiniment dispersées et des cultures infiniment variées ; pour ce qui est de la dimension « temps », il s’agit des époques où les tribus ont été découvertes par les Européens, ce qui va de quatre cents ans (côte brésilienne) à soixante ans (région du haut Xingu).

Les groupes linguistiques sont de tailles extrêmement différentes : les Quechuas représentent environ 6 millions de locuteurs, et les Urus une centaine d’Indiens. Il faut également se souvenir en lisant ces cartes qu’il n’y a pas toujours correspondance entre les groupes linguistiques et les divisions culturelles : un des exemples les plus frappants de cette disparité est le cas de la grande famille linguistique andine-équatoriale ; le seul sous-groupe des langues andines recouvre les hautes terres du Pérou (cultures les plus développées d’Amérique du Sud) aussi bien que les fermiers du Chili ou les ramasseurs de coquillages des archipels méridionaux.

A. M.-B.


Régions culturelles de la forêt tropicale

C’est par commodité, afin de recouper les données écologiques et linguistiques, et au prix d’un compromis entre des critères hétérogènes de classification que l’on présente ici un découpage de l’aire tropicale en neuf régions et un type.
I. Caraïbes (Caribs des îles).
II. Guyanes, où l’on trouve des tribus appartenant aux groupes linguistiques arawak (Arecunas, Atorais, Banivas, Bares, Caberres, Curipacos, Maypures, Palicurs, Piapocos, Tarumas, Wapishanas), caribe (Acawais, Makiritares, Macushis, Oyanas, Panares, Praviyanas, Waiwais, Yabaranas), saliva (Macus, Piaroas), chibcha (Yanomamös).
III. Basses terres de Colombie : arawak (Achaguas, Gayapes, Goajiros, Paraujanos, Saes), caribe (Patangoros), chibcha (Baris), saliva, guahibo.
IV. Ouest amazonien (nord-ouest de l’Amazone et Juruá-Purus) : arawak, caribe (Witotos), yurimangua, tucano (Tucanos, Desanas, Cubeos), tucuna, pano (Catuquinas, Cashinawas), catuquina (Pida-Dyapas, Catuquinas, Catawishis).
V. Région des Tupis amazoniens : tupi (Cawahibs, Cayabis, Cocamas, Manaos, Mundurucus, Omaguas, Parintintins, Teneteharas, Shipayas, Urubus).
VI. Montaña : arawak (Campas, Machigangas, Piros), pano (Cashibos, Conibos, Amahuacas, Mayorunas, Panobos, Setebos, Shipobos), cahuapana, jivaro, zaparo (Gaes, Semigaes, Awishiras, Canelos).
VII. Est bolivien : pano (Sinabos, Chacobos, Caripunas, Pacaguaras), tacana (Tiatinaguas, Araonas), mosetene-chimane (Lecos, Yuracares), arawak (Apolistas), chapacura, chiquito, movima, itonama, canichana. (Tous ces groupes ont disparu après la conquête.)
VIII. Est brésilien : gé (Gés du sud : Caingangs ; du centre : Chavantes, Cherentes, Chacriabas, Acroas ; du nord : Timbiras [Canellas, Apinages], Cayapos, Suyas), tupi (Tapirapes), caraja.
IX. Région des Tupinambas de la côte brésilienne et des Tupis-Guaranis : tupi (Potyguaras, Tupinambas, Caetes, Tupiniquins), tupi-guarani (Guaranis, Chiriguanos).

Les régions qui viennent d’être énumérées forment des unités géographiques à peu près homogènes ; elles ont en commun d’être occupées par des tribus horticoles. À ces neuf « provinces culturelles », il convient d’ajouter le « type culturel » suivant, qui se retrouve du sud au nord de la forêt tropicale.
X. a) les chasseurs-collecteurs :
1o Ciboneys des grandes Antilles ; 2o Guahibos, Chiricos et Cuivas de Colombie ; 3o Macus du río Negro ; 4o Nambicuaras et Bororos du Mato Grosso ; 5o Sirionos de Bolivie (Tupis) : 6o Guayakis du Paraguay (Tupis) ; 7o Guaitacas et Puri-Coroados de la côte sud-est du Brésil ;
b) les pêcheurs-collecteurs : 8o Muras du bas cours du fleuve Madeira (Paez) ; 9o Guatos du haut Paraguay ; 10o Yaruros de Colombie ; 11o Warraus du delta de l’Orénoque (Paez). [Sauf indication contraire, les tribus de ce type parlent des langues indépendantes.]


Variétés de cultures de la forêt tropicale

Il est certain que les tribus réunies dans les régions culturelles énumérées au chapitre précédent possèdent des caractères communs. Cependant, les divergences sont considérables. L’ethnologie ayant perdu tout espoir de reconstituer l’histoire de groupes dont la plupart ont été décimés, ce sont ces divergences ultimes qui retiennent aujourd’hui, par priorité, son attention. C’est pourquoi, au mépris des distances géographiques, nous regrouperons entre elles les caractéristiques culturelles les plus affirmées, en choisissant les ethnies qui les illustrent le mieux.

• Sociétés guerrières pratiquant le cannibalisme. Un ensemble apparaît alors, celui des sociétés guerrières pratiquant le cannibalisme. Tels furent les Caribs des îles (I) et les Tupinambas de la côte brésilienne (IX).

Partis dès le xve s. des côtes de la Guyane et du Venezuela, les Caribs des îles avaient conquis toutes les petites Antilles à l’arrivée des Européens. Peuple navigateur, pratiquant la pèche, ils avaient aussi une horticulture particulièrement riche en fruits. Ils vivaient dans des villages regroupant de 100 à 200 personnes, les maisons des femmes étant disposées autour d’une maison centrale, réservée aux hommes. Cette disposition soulignait la grande inégalité de statut qui existait entre les sexes dans cette société. C’est sans doute dans le sens d’une domination masculine qu’il convient d’interpréter la pratique de la « couvade » chez les Caribs, par laquelle les hommes, se plaignant de douleurs après l’accouchement de leurs femmes et se soumettant à un repos de quarante jours accompagné de restrictions alimentaires, s’attribuaient tout le mérite de la procréation. Comme, le plus souvent, les femmes étaient des captives ramenées d’expéditions guerrières contre les Arawaks, qui avaient précédé les Caribs dans les Antilles, il est résulté de cette discrimination une division linguistique selon les sexes, les femmes transmettant l’arawak à leurs filles, tandis que les hommes parlaient caribe.