Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Indiens (suite)

• Les Quechuas, qui sont au nombre de 6 millions, constituent la plus importante ethnie des Andes. Ils peuplent les cordillères, depuis le nord du Chili (Antofagasta et Tarapacá) et le nord-ouest de l’Argentine (Jujuy, Catamarca, Santiago del Estero) jusqu’aux confins de l’Équateur et de la Colombie. Ils ne définissent pas un ensemble racialement homogène. En dehors de leur taille, qui est généralement petite, et de leur indice céphalique, qui les classe parmi les brachycéphales, les Quechuas présentent des différences d’ordre anthropométrique et génétique plus ou moins marquées d’une région à une autre. Ils comprennent en fait divers groupes indépendants et organisés en chefferies d’inégale importance, que les Incas rassemblèrent au sein de leur État au xve s. et auxquels ils imposèrent l’usage de leur langue. Cette langue, qu’ils parlent actuellement et qui leur donne une fragile unité, se divise d’ailleurs en dialectes, dont les mieux caractérisés sont ceux d’Áncash, d’Ayacucho et de Cuzco. En dépit de l’influence de l’espagnol, que pratique un nombre croissant d’Indiens, l’aire linguistique quechua tend à s’élargir sous l’effet des courants migratoires qui conduisent les habitants des cordillères vers la côte et vers la haute forêt amazonienne. Le quechua s’impose aujourd’hui comme « lingua franca » dans toutes les parties des Andes où des Indiens de langues différentes entrent en contact.

• Les Aymaras, dont la population s’élève à 1,5 million, vivent sur le haut plateau. La région qu’ils occupent actuellement a la forme d’un quadrilatère de 800 km de long et de 250 de large. Elle se situe à une altitude variant entre 3 800 et 4 100 m. Elle est limitée au sud par les étendues salées de Coipasa et d’Uyuni, à l’est et à l’ouest par les deux cordillères, et au nord par la rive septentrionale du lac Titicaca. À la différence des Quechuas, les Aymaras constituent un ensemble racial assez cohérent. Leur taille est moyenne, et leur indice céphalique les situe parmi les mésocéphales. Leur homogénéité génétique, fruit d’une spécialisation plusieurs fois millénaire, est remarquable. Elle leur assure une adaptation parfaite à l’environnement, mais elle limite considérablement aussi leur capacité de survie dans des milieux écologiques différents. Le polymorphisme très réduit des Aymaras explique en grande partie la stagnation et même la régression de cette ethnie, face au dynamisme dont les Quechuas font preuve. Avant l’émergence du pouvoir inca (début du xve s.), auquel ils furent assujettis, les Aymaras formaient plusieurs chefferies, dont la plus connue et sans doute la plus importante est celle des Lupakas, sur la rive occidentale du Titicaca. L’aire linguistique aymara comprenait alors les groupes cana, canchi, colla, caranga et quillaca, aujourd’hui complètement quechuïsés. À la veille de l’invasion européenne, elle s’étendait encore d’Ayacucho, au nord, à Arica, au sud. Aujourd’hui, les habitants du petit village de Tupe, situé dans la province péruvienne de Yauyos, à l’est de Lima, parlent un idiome qui possède de nombreuses affinités avec l’aymara. Certains ethnologues attribuent aux Aymaras l’édification de la culture tiahuanaco, qui connut son apogée entre le vie et le ixe s., et dont l’ensemble monumental, qui se dresse sur la rive sud-ouest du Titicaca, représente le plus beau vestige.

• Quant aux Urus-Chipayas, ils sont sans doute les plus anciens habitants du haut plateau, où certains de leurs établissements se sont maintenus. Leurs propres mythes les présentent comme les survivants d’une protohumanité qui disparut après l’avènement du soleil. En fait, leur forte dolichocéphalie ainsi que certains de leurs caractères anthropométriques et génétiques les distinguent catégoriquement des Quechuas comme des Aymaras et les apparentent aux populations paléo-amérindiennes qui auraient formé la première vague de peuplement des Amériques. Bien avant d’être subjugués par les Incas, les Urus-Chipayas furent soumis aux Aymaras, qui les incorporèrent à leurs chefferies en tant que classe ethnique de statut inférieur. Ils subirent lourdement l’influence de leurs conquérants, dont ils devaient, par la suite, s’assimiler la langue et les mœurs. Au xvie s., ils ne possédaient déjà plus d’assise territoriale continue, et leur langue s’était fractionnée en une multitude de dialectes. Mais ils étaient encore nombreux autour des lacs Titicaca et Poopó, à Azángaro et à Ayavirí, au nord-ouest de ces lacs, dans les environs de Sucre et à l’intérieur de la vallée de Cochabamba, à l’est, au-delà des salines de Coipasa et d’Uyuni, au sud, et jusqu’en territoire argentin. Actuellement, ils se répartissent en deux groupes : les Urus (ou Ourous), qui vivent dans les marais de joncs de la baie de Guaqui et de Desaguadero, et les Chipayas, qui occupent la moyenne vallée du río Lauca, à l’ouest du lac Poopó. Ils ne sont guère plus d’un millier. Bien que pratiquant tous l’aymara, certains d’entre eux parlent encore leur ancienne langue.

Ces trois ensembles ethniques accusent des divergences culturelles significatives. Ils participent cependant d’une tradition en grande partie unifiée d’abord par l’influence inca, ensuite et surtout par l’influence espagnole. Ainsi, la communauté agraire formée à la fin du xvie s. par concentration des groupes de parenté localisés (ayllu en quechua ; hatha en aymara) qui s’éparpillaient sur les hauteurs constitue aujourd’hui la modalité la plus élaborée de l’organisation sociale dans toute la région andine. Chaque communauté possède une assise foncière qui est divisée en soles (laimi en quechua ; aynoca en aymara), sur la base desquelles se fait la rotation des cultures. Les soles sont réparties en parcelles détenues en usufruit ou en propriété par les familles, qui les cultivent à l’aide du bâton à fouir traditionnel (chaquitaclla).

Les cultures s’étagent en fonction de l’altitude. Le maïs croît dans le fond et sur les flancs des vallées, jusqu’à 3 400 m. En revanche, la quinoa (Chenopodium quinoa), la cañihua (Chenopodium pallidicaule) ainsi que les tubercules comme la pomme de terre, l’oca (Oxalis tuberosa), l’olluco (Ullucus tuberosus) et la mashua (Tropœolum tuberosum) poussent jusqu’à 3 800 et même 4 000 m, c’est-à-dire jusqu’à la limite de la haute steppe. Ces tubercules sont parfois soumis à un procédé de déshydratation qui assure leur conservation indéfinie sous forme de chuño.