Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Comme le bouddhisme, le jinisme a édifié des stūpa et creusé des fondations rupestres. Grâce à la richesse et à la libéralité des adeptes, les grands ensembles se développeront surtout à partir du xie s. Tendant à se grouper en véritables cités religieuses (Girnār, mont Ābū...), les temples s’associent étroitement aux paysages ; leur architecture, souvent inspirée par la cosmologie, accorde une grande importance aux coupoles (toujours encorbellées), refouillées de sculptures à l’intrados.


La sculpture

Qu’il s’agisse de reliefs ou d’images en ronde bosse, de thèmes décoratifs ou de scènes figurées, la sculpture a toujours une signification religieuse et une destination précises. Il s’ensuit que rien ne saurait être laissé au hasard de l’inspiration et que l’œuvre doit obéir à un ensemble de lois qui en régissent tous les aspects : images soumises aux règles impératives de l’iconographie et de l’iconométrie, « figures décoratives » définies en fonction de leur caractère didactique, de leur valeur symbolique, du rôle tutélaire et bénéfique qu’elles doivent éventuellement assumer... La stabilité des thèmes n’exclut pas une certaine évolution de l’interprétation : détail des parures, stylisation des éléments végétaux, conceptions esthétiques se transforment, fournissant souvent de précieux indices chronologiques.

Si l’on réserve la civilisation de l’Indus, cas particulier, et l’aniconisme de la période védique, attesté par l’archéologie, voire par l’unanimité des textes, il semble que l’Inde n’a pratiqué une authentique sculpture qu’à partir du iiie s. av. J.-C. (art maurya). Quoique la ronde-bosse révèle alors une parfaite maîtrise technique (piliers élevés par Aśoka ; torse masculin nu et yakṣīṇī du musée de Paṭnā...), l’originalité des périodes śuṅga et kāṇva se manifestera surtout dans le bas-relief, d’inspiration bouddhique, tout à la fois naturaliste, narratif et symbolique (Bhārhut, Sāñcī). En raison de quelque interdit mal défini, les images du Bouddha, des divinités brahmaniques, des Tīrthaṅkara apparaîtront seulement vers les ier-iie s. dans l’Inde du Nord et du Nord-Ouest. Rapidement généralisée, l’adoption des images donnera à l’art une dimension nouvelle en offrant la possibilité de figurer, en bas relief comme en ronde bosse, tout ce qui, jusqu’alors, n’avait pu être représenté que par des symboles. Quelle que soit la religion concernée, l’image de culte imposera peu à peu l’élaboration de règles canoniques permettant de figurer des êtres de caractère supramondain. L’image, apparence visible d’une divinité, du Bouddha, d’un Jina..., devra, pour recevoir l’indispensable consécration, avoir été exécutée dans le respect de règles affirmant sa conformité à une définition idéale. D’où ces textes précisant, dans le plus petit détail, les canons d’une beauté surnaturelle, tous les gestes et les attitudes possibles, les compagnons et les montures requis, les attributs, les parures convenant à telle ou telle divinité, à tel ou tel aspect d’une même divinité... Placés bien au-dessus du domaine terrestre, les dieux peuvent revêtir des formes inspirées par une tératologie à leur mesure : têtes et bras multiples, voire apparences animales, en relation avec les manifestations de leur puissance ou avec quelque trait de leur légende. Le rôle de ces idoles s’est considérablement accru dans les cultes tantriques, où les aspects violents, féroces ou frénétiques de certaines divinités ou de certains génies d’un panthéon considérablement élargi ne correspondent pas à un rôle démoniaque, mais illustrent, tout ensemble, la dualité foncière du pouvoir des dieux et une possibilité de placer toute leur potentialité à la disposition des adeptes.

Étroitement associé à l’architecture, à laquelle il apporte bien moins un décor qu’une justification et une protection, le bas-relief bénéficie de l’adoption des images. Si le symbole voit son importance primitive diminuer, le bas-relief connaît un progrès décisif dans le domaine de la plastique : c’est autour de l’image de la divinité que s’ordonne la composition, et c’est l’action dans laquelle elle est engagée qui fournit à la scène son schéma directeur. Au classicisme des compositions de l’art āndhra et de l’art gupta succédera une certaine tendance à la surcharge, à la préciosité, qui, s’imposant peu à peu, aboutira parfois, à l’époque médiévale, à un véritable foisonnement. Dans le même temps, avec la différenciation des écoles, se concrétisent tantôt une froide stylisation des formes et des mouvements (mont Ābū), tantôt un érotisme dont les manifestations, étendues du raffinement intellectuel à la bestialité en passant par une spontanéité dénuée de tout artifice, ont donné naissance à des œuvres qui atteignent quelquefois le très grand art (Khajurāho*...). Cet art érotique, qui reste très limité dans le temps et dans l’espace, puise sans doute ses racines dans les mythes de fécondité, dans le caractère bénéfique attaché, de tout temps, aux couples enlacés (mithuna). Mais il semble qu’il se soit développé à partir de spéculations sublimant l’union sexuelle, symbole de réalisation parfaite, ou prolongeant certains aspects de la légende des dieux...

La sculpture indienne a utilisé très tôt les matériaux les plus divers et pratiqué les techniques du modelage, de la taille directe et de la tonte dès la civilisation de l’Indus. Si aucune image de bois remontant à une époque aussi haute n’a été retrouvée, l’archéologie et la tradition prouvent l’importance du bois pour la fabrication des idoles aussi bien qu’en architecture ; les traités précisent le choix des essences et les rites qui doivent présider à l’abattage. Matière abondante et facile d’emploi, l’argile a joué en permanence un rôle considérable pour la confection d’images populaires et d’ex-voto, d’un art très primitif ou d’un caractère raffiné, exécutés par pastillage, par modelage ou par moulage. Apparemment non utilisée pour les images de culte, l’argile a fourni un appoint important au décor architectural : panneaux de terre cuite des temples en brique de la période classique, ornements de toiture des temples tardifs du sud de l’Inde... À la réserve de figurines sculptées appartenant à la civilisation de l’Indus, la pierre sculptée semble n’apparaître qu’au cours de la période maurya, mais, dès ce moment, elle fournit l’essentiel de l’œuvre sculpté parvenu jusqu’à nous. En dépit de la maîtrise dont témoigne la ronde-bosse dès les premiers siècles, c’est vers une technique du haut-relief que s’orientent le plus volontiers les sculpteurs dès la fin de la période classique (art pāla-sena, par exemple), le bas-relief devenant de plus en plus profondément refouillé, tandis que les idoles s’adossent à une stèle d’appui. Quoique les métaux aient été utilisés dès le début du IIIe millénaire, le nombre des œuvres conservées est relativement restreint. Les textes attestent l’usage de divers alliages à forte teneur de cuivre ; les idoles, quelles que soient leurs dimensions, étaient réalisées par le procédé de la fonte « à cire perdue ». C’est l’art du bronze du sud de l’Inde, d’inspiration surtout brahmanique, qui nous est le mieux connu, avec des œuvres d’une excellente qualité technique et d’un remarquable équilibre (Śiva dansant...).