Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Les sectes

Concrètement, l’histoire de l’hindouisme est celle de sectes qui se forment autour d’un maître spirituel et groupent des fidèles qui se recrutent généralement dans des castes déterminées. L’appartenance à une secte est aussi héréditaire que la caste elle-même, quoique, en droit, chacun puisse recevoir l’initiation dans une secte de son choix. Ce rattachement à une secte, qui se fait par l’intermédiaire d’un guru (« maître spirituel ») de cette secte, marque l’omniprésence de l’idéal du renonçant dans la vie de l’hindou. Pour un brahmane, par exemple, l’initiation dans la secte ne se confond pas avec l’initiation védique, qui lui donne accès aux pratiques orthodoxes.

Les sectes ne sont pas simplement la frange hétérodoxe d’un hindouisme plus universel. Elles se sont développées normalement, comme le brahmanisme orthodoxe, sur ce fond de croyances et de pratiques communes où le maître spirituel a toujours joué un grand rôle. Mais elles se différencient — au point de s’opposer violemment ou afin de se distinguer plus sûrement — par le choix de la divinité suprême — Viṣṇu, Śiva, Kriṣṇa, Rāma, śakti, etc. —, par l’idée que l’on s’en fait, par les moyens de l’adorer, par un yoga particulier. Telle secte se recrute exclusivement parmi les brahmanes, telle autre se proclame antibrahmane (par exemple les liṅgāyat du Karnatak) ou plus généralement universelle et opposée à la distinction des castes. L’une a une vaste extension géographique, une autre restera limitée à un groupe local. Chez toutes, cependant, même chez les plus tantriques, on retrouve les croyances fondamentales de l’hindouisme de base : renaissance et délivrance, pur et impur, yoga d’une forme ou d’une autre comme technique spirituelle, référence plus ou moins vague à l’Absolu brahmanique, le Brahmaṇ. C’est pourquoi l’on peut, par exemple, conjuguer l’appartenance à une secte et la pratique des grands pèlerinages hindous, ce qui suppose un fond commun de croyances. Tel temple desservi par les membres d’une secte reçoit la visite de fidèles hindous qui n’appartiennent pas à cette secte et qui se retrouvent chez eux à l’intérieur de chaque temple.

L’hindouisme est bien une religion, quoi qu’on en ait dit parfois.

M. B.


Le jinisme

Par jinisme (ou jaïnisme), on entend tout ce qui a trait à la personne, aux enseignements, à la communauté entière de celui que la tradition donne pour le vingt-quatrième Jina (le conquérant « victorieux »). En notre âge, celui-ci est le dernier des Tīrthaṅkara (« constructeurs du gué ») qui mène à la délivrance. Il est connu aussi sous divers autres noms, dont celui de Mahāvīra (« Grand Héros »). Il est, dit-on, né, comme le Bouddha éponyme du bouddhisme, au vie s. av. J.-C., dans une famille princière de l’Inde gangétique orientale, et il a, dans ces mêmes contrées, mené la vie de religieux errant. Mais, au contraire du Bouddha, qui recommandait de trouver vers le salut une « voie moyenne », lui et les jaina, ses sectateurs, ont cru nécessaire la pratique de rigoureuses austérités. Dans l’histoire du jinisme, Mahāvīra, penseur éminent, est présenté comme un réformateur de l’Église précédemment instituée par Pārśva, le vingt-troisième, et, semble-t-il, le plus ardemment vénéré des Tīrthankara.

Prédicateur et organisateur de génie, il avait rassemblé une communauté nombreuse, dont il avait confié la charge à onze disciples. L’un d’entre eux, qui transmit à son propre élève les paroles du Maître, est à l’origine de la tradition scripturaire, qu’un premier concile aurait tenté de fixer dès le ive-iiie s. av. J.-C. Mais l’histoire du jinisme à ses débuts nous est assez mal connue.

Les jaina font état de hautes protections, de patronages royaux : sans doute les exagèrent-ils. Néanmoins, l’expansion de la communauté vers l’ouest et le sud de l’Inde, son épanouissement au Moyen Âge — qu’attestent une abondante littérature et de nombreux monuments, ainsi que la réunion d’importants conciles à Mathurā et à Valabhī à la fin du ve s. — n’ont été possibles que grâce à la tolérance et même à la bienveillance des souverains d’alors. Il est établi que plusieurs monarques des dynasties du Deccan furent des fidèles convaincus et que, au xie-xiie s., un ministre et un roi jaina gouvernèrent le Gujerat. Au reste, la propagande jaina, qui, sur le sol de l’Inde, a suivi à peu près les mêmes voies que les missions bouddhistes, ne s’est jamais diffusée, semble-t-il, hors du sous-continent.

Depuis le Moyen Âge, la communauté, persécutée par les hindous au sud, par les musulmans au nord, s’est peu à peu amenuisée. Elle compte aujourd’hui environ 1 500 000 fidèles, répartis en deux sectes, celle des « nus » (digambara) et celle des « blancs » (śvetāmbara), dont la séparation date de l’an 79 av. J.-C. Ceux-là sont, pour la plupart, installés comme cultivateurs en Carnatic, au Deccan ; ceux-ci se rencontrent surtout à l’ouest, au Rājasthān et au Gujerat, où ils sont souvent à la tête d’importants négoces. En outre, des hommes d’affaires jaina, qui, pour beaucoup, sont tout à la fois actifs et dévots, ont leurs établissements dans les principaux centres industriels et commerciaux de l’Inde. Les religieux, cependant, sillonnent les chemins à pied, reconnaissablés à divers insignes : couleur et drapé du vêtement, sortes de plumeaux en fils de laine ou en plumes de paon et parfois pièce de mousseline sur la bouche ; ne sont nus, chez les digambara, que certains maîtres particulièrement accomplis, en nombre infime. L’équipement des moines est conçu de telle sorte qu’ils mendient leur nourriture et enfreignent le moins possible la règle d’ahiṃsā : tenue pour l’un des préceptes fondamentaux du jinisme, celle-ci interdit la violence, recommande innocuité et charité ; les fidèles affirment leur souci de la respecter, si bien que, pratiquement, tout jaina est végétarien.

La doctrine nous est connue par une masse considérable d’Écritures : canon des śvetāmbara, codifié à Valabhī (fin du ve s.) ; Écritures « procanoniques » des digambara, lesquels nient l’authenticité de tout canon. Les principes essentiels sont identiques dans l’une et l’autre secte. De même que Mahāvīra et le Bouddha paraissent avoir prêché en langue « vulgaire », les Écritures jaina les plus anciennes sont rédigées en prākrits, idiomes linguistiquement plus récents et moins nobles que le sanskrit, auquel les docteurs auront ensuite recours. Les livres anciens ont fait l’objet de plusieurs séries de commentaires extrêmement utiles malgré leurs défauts.