Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

anarchisme (suite)

Milieux libres

Le retour à la vie communautaire, qui fut celle des premiers âges de l’humanité, a souvent tenté les hommes. Certains anarchistes, en divers pays et à toutes époques, ont essayé de créer ainsi des « milieux libres », où, sans attendre, il leur serait possible de vivre en communauté, chacun conservant toute initiative et toute liberté. Des militants comme Kropotkine et Élisée Reclus montrèrent les dangers de ces « colonies », de ces « îlots libertaires » voués, selon eux, à l’échec, car, dans la société actuelle, « tout s’enchaîne » et « il est impossible à toute tentative, si isolée soit-elle, de se soustraire complètement à sa funeste action » (la Révolte, 4 mars 1893).

Extrait d’un rapport fait à un plénum C. N. T. relatif aux problèmes agraires :

1o Procéder à l’établissement de la collectivisation de la terre, de manière à ce que les petits propriétaires n’aient à aucun moment à souffrir de notre action émancipatrice et de ses conséquences. Afin qu’ils ne se convertissent pas en ennemis ou saboteurs de notre œuvre, on respectera, en principe, la culture privée des terres qu’ils peuvent travailler de leurs propres bras ;
2o toutes les terres expropriées seront contrôlées et administrées par le syndicat, et seront cultivées collectivement au bénéfice direct des syndiqués, par conséquent de tous les travailleurs en général ;
3o c’est également le syndicat qui exercera le contrôle de la production, ainsi que de l’acquisition des produits nécessaires aux petits propriétaires qui, provisoirement, continueront à cultiver directement comme il est dit ci-dessus [...].
(D’après le Libertaire, 18 septembre 1936.)

La colonie « Cecilia », au Brésil

Loin d’être un cas isolé, la colonie « Cecilia », qui fournit le thème d’une célèbre chanson anarchiste, a longtemps retenu l’attention des contemporains. Parti de Gênes le 20 février 1890, un noyau de huit anarchistes italiens, auxquels se joint, à Gibraltar, une famille de paysans espagnols, s’installe en avril 1890 près de Palmeira (Paraná) pour tenter d’y réaliser le communisme absolu, ou, selon l’inspirateur, Giovanni Rossi, « une colonie anarchiste, laquelle puisse donner à la propagande une démonstration pratique que nos idées sont justes et réalisables, et à l’agitation révolutionnaire en Europe des secours financiers ». En 1891, la colonie compte près de deux cents personnes. Mais les difficultés sont grandes : « Les premiers colons de la Cecilia, aussitôt arrivés, au lieu de trouver des jolies petites maisons, eurent à constater que les cultures avaient été détruites par les bestiaux. » C’est souvent la famine. La plupart prennent le chemin de Curitiba, laissant une quarantaine de personnes installées dans quelques maisonnettes en bois qui constituent le village « Anarchie ». Et, tandis que l’un emporte la caisse, d’autres s’approprient des lopins de terre. Sans parler d’autres difficultés, plus inattendues : « Nous menons une vie entièrement libre, sans aucune loi, sans aucun règlement, et nous nous trouvons parfaitement bien, sauf quelques petites chicanes entres les femmes, pas encore convaincues des principes anarchistes, mais on passe outre [...]. Ce qui nous tourmente le plus, c’est que le libre amour n’a pas encore pénétré dans le cœur de nos compagnes, ce qui produit beaucoup d’ennui à ceux qui sont seuls, et malgré cela personne n’a manqué de respect aux femmes. Nous serions bien aises que quelques femmes convaincues viennent nous rejoindre bientôt. »

En dépit de la venue de nouveaux compagnons, l’expérience prend fin dans le courant de l’année 1894.

J. M. et R. P.


Figures d’anarchistes


Mikhail Aleksandrovitch Bakounine.

V. l’article.


Camillo Berneri,

anarchiste italien (Lodi 1897 - Barcelone 1937). Collaborateur d’Umanità nova et de La Rivolta, Camillo Berneri est exilé par le fascisme. Pendant la guerre civile espagnole, il assure les émissions italiennes de Radio-Barcelone et tombe sous les balles de la police politique soviétique.


Carlo Cafiero,

anarchiste italien (Barletta 1846 - Nocera Inferiore 1892). De noble et riche famille, ami et admirateur de Marx, Cafiero vend tous ses biens pour aider Bakounine. En prison, il rédige un résumé du Capital de Marx.


Buenaventura Durruti,

anarchiste espagnol (León 1896 - Madrid 1936). Fils d’un cheminot, ouvrier mécanicien dans les chemins de fer et bientôt révoqué en raison de son action militante, Buenaventura Durruti est un révolutionnaire professionnel en maint pays d’Europe et jusqu’en Amérique du Sud. Il vit ses derniers exploits d’agitateur et d’organisateur à Barcelone en juillet 1936, puis en Aragon, que libère la colonne qu’il dirige. Appelé devant Madrid menacé, il est mortellement blessé le 19 novembre à la tête de ses hommes ; il expire le 20.


Sébastien Faure,

anarchiste français (Saint-Étienne 1858 - Royan 1942). Candidat du parti ouvrier dans la Gironde en octobre 1885, Sébastien Faure fait sa première déclaration anarchiste en 1888. Journaliste, chansonnier, il est avant tout orateur de grand talent.


Ricardo Flores Magón,

anarchiste mexicain (San Antonio Eloxochitlán, Oaxaca, 1873 - prison de Leavenworth, Kansas, 1922). L’« apôtre de la révolution sociale mexicaine » (Diego Abad de Santillan) en est aussi le précurseur. Son journal Regeneración (1900), organe du parti libéral mexicain, annonce la tempête qui emportera le régime de Porfirio Díaz en 1911. Son programme du parti libéral (1906) préfigure les grandes revendications sociales de la révolution. Ennemi de tout « jacobisme » et de toute autorité, il évolue ouvertement à partir de 1908 vers le communisme anarchiste. Son mot d’ordre, « Terre et liberté », animera les armées de Zapata et continuera de secouer le continent sud-américain.


Manuel González Prada,

anarchiste péruvien (Lima 1848 - id. 1918). Aristocrate péruvien, marié à une Française, ce disciple de Renan, poète aussi remarquable que raffiné, se révèle le critique le plus aigu de la société de son temps et le plus prestigieux propagandiste du communisme libertaire au Pérou.


Pietro Gori,