Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

illuminisme (suite)

Tout autre est le titre d’illuminés ou d’illuminati donné aux rosicruciens, ou frères illuminés, dont un écrit paraît en 1537. Il s’applique alors à des êtres ayant atteint un certain degré de conscience, appelé « conscience cosmique ». Les membres de cette société secrète font des recherches sur les mystères de l’alchimie et les principes ésotériques de la religion et de la philosophie. En 1754, ce titre est également donné aux martinistes français par Martinez Pasqualis (1727-1779). À la fois kabbalistes et allégoristes, ils semblent imbibés des idées de Jakob Böhme (1575-1624) et d’Emanuel Swedenborg (1668-1772).

Enfin, le terme d’illuminés a été utilisé pour un mouvement politique apparu en 1776. Un professeur de droit de l’université d’Ingolstadt, Adam Weishaupt (1748-1830), ancien élève des Jésuites, tente alors de cristalliser divers courants en fondant la secte des illuminés de Bavière.

Dans l’Empire, en effet, la maçonnerie, dirigée par Ferdinand de Brunswick, prêche le loyalisme envers les princes et la patience en matière politique. En Bavière, restée un des fiefs de la Contre-Réforme, beaucoup condamnent cette attitude et le peu de vigueur critique des francs-maçons envers les institutions établies, et particulièrement envers l’Église.

L’organisation que Weishaupt met sur pied est fortement hiérarchisée. Les adeptes se partagent en trois classes : dans la première, appelée « pépinière », on trouve les novices ; dans la seconde, dite « franc-maçonnerie », les compagnons plus avancés : enfin, dans celle des « mystères », les « prêtres » et les « princes ». Ces trois classes sont gouvernées par le conseil de l’ordre, composé de douze membres, dont le chef suprême est Weishaupt. Tout un ensemble de rites, d’appellations, de coutumes a pour objet de protéger l’enseignement secret de la secte et la tranquillité de ses membres. Ainsi, Weishaupt est Spartacus, et Zwack — son disciple favori — Caton. La Bavière est l’Achaïe, et l’Autriche, l’Égypte ! Quant à Ingolstadt, c’est tantôt Éphèse, tantôt Éleusis.

Le but recherché est, selon Adolf von Knigge, autre disciple de Weishaupt, « de rendre le monde meilleur et plus sage, de détruire les obstacles qui s’opposent au bien, d’employer à cette fin les moyens les plus efficaces pour récompenser la vertu et combattre le vice dans ce monde même, de ruiner le préjugé avec vigueur et prudence ». Weishaupt désire, en outre, que l’homme devienne intellectuellement autonome et que la religion soit remplacée par la raison. Cette doctrine est résolument hostile aux croyances religieuses, et l’athéisme militant semble bien avoir été le couronnement de l’enseignement initiatique.

Envers la société établie, la position des chefs de l’illuminisme est plus nuancée. Il ne semble pas qu’ils songent à la renverser par la force comme on les en a accusés. L’action envisagée consiste plutôt à s’infiltrer dans les postes importants pour s’emparer des différents gouvernements et les gagner ainsi de l’intérieur aux idées rationalistes et réformatrices de Weishaupt.

C’est en 1776 que Weishaupt fonde son ordre à Ingolstadt, en Bavière. Son disciple Zwack l’implante à Munich. En 1779, le mouvement compte déjà de nombreux affiliés ; la Souabe, la Franconie, le Tyrol sont touchés.

Très tôt, Weishaupt essaie de noyauter les loges maçonniques. Pour ce faire, il se sert de son lieutenant le baron Knigge, l’objectif étant d’intégrer les différentes loges dans l’ordre bavarois. Le succès sera douteux ; néanmoins, de nombreux maçons soutiendront les illuminés.

Huit ans après leur fondation, les illuminés ont essaimé dans toute l’Allemagne, et une bonne organisation unit étroitement les disciples de Weishaupt entre eux et avec le conseil de l’ordre. Toutefois, leur succès même porte ombrage aux tenants de l’ordre traditionnel. Les difficultés commencent en Bavière en 1784, lorsque l’Électeur Charles Théodore décide d’interdire toutes les sociétés secrètes qui ne sont pas approuvées par les lois. Cette même année, un polémiste attaque les illuminés dans un ouvrage intitulé Premier Avertissement sur les francs-maçons. Il dénonce en eux des impies et des révolutionnaires.

L’année suivante, Weishaupt lui-même perd sa chaire à l’université d’Ingolstadt. En 1786, la police ayant saisi des lettres compromettantes, il publie de nombreuses brochures pour justifier les illuminés. En effet, installé dans les États du duc de Saxe-Golha, un illuminé. Weishaupt ne risque plus d’être arrêté. Mais, en Bavière, l’Électeur exile ou incarcère de nombreux adeptes. Alors Weishaupt abandonne la lutte et compose des traités de philosophie. Il mourra en 1830.

Quelques disciples tenteront de sauver le mouvement, comme J. J. C. Bode en Saxe ou Carl Friedrich Bahrdt en Prusse, où le roi Frédéric-Guillaume II s’opposera à son action, qu’il jugeait antichrétienne. En Allemagne, l’ordre des illuminés disparaîtra.

Cependant, dès 1782, les illuminés ont essayé de s’introduire en France. Ils se servent, comme ils l’ont fait dans l’Empire, des loges maçonniques françaises pour recruter des prosélytes. Cela contribue à renforcer la croyance accordant aux sectes maçonniques, comme aux illuminés de Bavière, une influence importante sur les prodromes de la Révolution française. Bien que l’on ait fort exagéré celle-ci, l’on ne peut nier que leurs idées ont orienté bien souvent l’action des Jacobins.

Dans le sud de l’Allemagne, les partisans des Jésuites triomphent, mais les idées des illuminés persistent, et quelques anciens représentants de la secte se chargent de les répandre. Il s’agit surtout d’universitaires et de professeurs ecclésiastiques gagnés aux idées nouvelles. Ainsi, après l’extinction de l’ordre, de nombreux illuminés, grâce à leur position dans l’enseignement et le clergé, conservent une grande influence sur les jeunes générations. L’illuminisme gardera longtemps des adeptes et non des moindres. L’archevêque de Cologne Ferdinand Spiegel, qui mourut en 1835, était un illuminé.

Il serait intéressant d’étudier ce que les grands courants philosophiques et politiques allemands du xixe s. doivent aux idées propagées par l’illuminisme. L’importance du rôle des universitaires et des étudiants dans ces domaines durant la première partie du siècle justifierait à elle seule cette investigation.

D. W.

➙ Franc-maçonnerie.

 R. Le Forestier, les Illuminés de Bavière et la franc-maçonnerie allemande (Nicod, 1915).