Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

analyse (suite)

Les séries entières

Dans la seconde moitié du xviie s., l’école anglaise s’épanouit, avec tout d’abord John Wallis, qui, par son Arithmetica infinitorum (1656), dégage la méthode des indivisibles de la géométrie pure, mais en n’utilisant dans ses preuves qu’une insuffisante induction incomplète. James Gregory crée, en 1667, le terme de séries convergentes dans sa remarquable Vera circuli et hyperbolœ quadratura, où il tente d’établir la transcendance de π. Dans sa Logarithmotechnia (1668), Mercator indique l’aire de l’hyperbole en développant en série entière. Mais surtout, Newton, dès ses travaux de jeunesse, fait un usage constant de ces séries, en particulier pour le développement de (1 + x)α pour toute valeur de α rationnelle (binôme de Newton, 1665). Avant 1670, il a trouvé les développements de Arc tgx, Arc sinx, sinx, cosx, etc., et des séries analogues pour exprimer les arcs d’ellipse et même les segments et les arcs de la quadratrice de Dinostrate (ive s. av. J.-C.), courbe transcendante imaginée par les Grecs pour la quadrature du cercle.


Fluentes et fluxions de Newton

Isaac Barrow (1630-1677), professeur à Cambridge lorsque Newton y était étudiant, avait rassemblé dans ses Lectiones opticae et geometricae, publiées en 1674 mais professées les années précédentes, l’essentiel des méthodes et des acquis des générations antérieures dans le calcul infinitésimal. Il améliore la technique de Fermat. Si, dans l’équation P(xy) = 0, on donne à x un accroissement a, à y un accroissement e, on peut écrire P(x + ay + e) = 0, d’où le rapport des deux accroissements lorsqu’ils sont infiniment petits. Cela lui permet de tracer par exemple la tangente à la courbe P(xy) = 0. Newton avait collaboré à ce travail de son maître Barrow, mais dès 1670 ses conceptions sont plus larges. Il considère les grandeurs variables comme étant liées au temps, variable indépendante, durant lequel elles s’écoulent. Ce sont les fluentes. Les vitesses d’écoulement sont les fluxions. Si la fluente x a pour fluxion m, elle devient après l’instant infiniment petit 0, x + m0.

Dans son De methodis serierum et fluxionum, écrit en 1670 et en 1671, mais qui ne fut édité que bien plus tard, Newton développe grâce à ses techniques un très bel ensemble de recherches sur les maximums et les minimums, le tracé des tangentes, la courbure des lignes planes, les aires, les longueurs des courbes, les centres de gravité, la résolution approchée des équations algébriques, etc.


Le calcul différentiel et intégral de Leibniz

Influencé comme Newton par l’œuvre algébrique de Descartes, Leibniz trouve en 1672, à Paris, un maître remarquable en la personne de Christiaan Huygens, qui publiait alors son Horologium oscillatorium (1673). Celui-ci y traitait, en particulier, des développées et des développantes des courbes. Reconnaissant à la fois les dons remarquables du jeune attaché d’ambassade et son ignorance des dernières acquisitions des mathématiques, Huygens lui fait lire les bons auteurs, comme Grégoire de Saint-Vincent (1584-1667) et Biaise Pascal (1623-1662). En 1684, Leibniz rend publics ses procédés et ses notations dans un article de sa revue Acta Eruditorum. Notant dx l’accroissement infiniment petit de la variable x, accroissement qu’il appelle la différence de x (plus tard différentielle), il donne les règles élémentaires de différentiation des sommes, produits et quotients de variables.

Il introduit aussi le signe d’intégration ∫, et obtient des résultats analogues à ceux de Newton. Il aura le bonheur de compter parmi ses disciples les deux frères Bernoulli, Jacques (1654-1705) et Jean (1667-1748), qui donneront à ses conceptions des développements considérables. Jean initiera aux nouveaux calculs, lors d’un séjour en France, Guillaume de L’Hospital (1661-1704). L’Analyse des infiniment petits (1696), de ce dernier, est un manuel très clair, qui contribua beaucoup à la vulgarisation des méthodes nouvelles.


La notion de fonction

Si l’idée de fonction est déjà nette chez James Gregory et chez Newton (fluentes) entre autres, le mot lui-même n’apparaît qu’avec Leibniz, en 1694. Mais il n’a qu’un sens purement géométrique : l’abscisse, l’ordonnée, le rayon de courbure... sont des fonctions d’un point d’une courbe. En août 1698, Jean Bernoulli propose de noter X ou ξ une fonction de x, et Leibniz, en réponse à la lettre où est faite cette proposition, suggère les notations pour deux fonctions différentes formées à partir de x. Si elles sont formées à partir de deux variables, on notera une fonction rationnelle sera signalée par une fonction rationnelle entière par etc. Mais c’est en 1718 que Jean Bernoulli donne une définition dégagée de toute considération géométrique : On appelle fonction d’une grandeur variable une quantité composée de quelque manière que ce soit de cette grandeur variable et de constantes. Il représente par X et par Φx une fonction de x. La notation fx remonte à Leonhard Euler (1707-1783), qui l’utilise pour la première fois en 1734. Dans son Introductio in analysin infinitorum (1748), celui-ci classe les fonctions en algébriques et transcendantes, « abondantes dans le calcul intégral ».

En 1810, Sylvestre-François Lacroix (1765-1843) précise la définition de Jean Bernoulli : Toute quantité dont la valeur dépend d’une ou de plusieurs autres quantités est dite fonction de ces dernières, soit qu’on sache ou qu’on ignore par quelles opérations il faut passer pour remonter de celles-ci à la première. On appelle alors « fonctions continues » celles dont toutes les valeurs sont liées par une même loi, ou dépendent de la même équation. Cette sorte de continuité est appelée continuité eulérienne, pour la distinguer de la notion qui porte aujourd’hui le même nom.

Les discussions sur le problème des cordes vibrantes, abordé par Brook Taylor (1685-1731), Daniel Bernoulli (1700-1782), Jean Le Rond d’Alembert (1717-1783), Leonhard Euler et Louis de Lagrange (1736-1813), ont d’ailleurs amené l’élargissement de la notion de fonction, et Euler écrit en 1759 : ...tout le monde doit à présent reconnaître l’usage des fonctions irrégulières et discontinues... Les fonctions continues étaient pour le moins développables en séries de Taylor, et, sur ses vieux jours, Lagrange les appelle analytiques. Cependant, Gaspard Monge (1746-1818) fait un usage fréquent de fonctions discontinues, que Joseph Fourier (1768-1830), dans ses travaux sur la propagation de la chaleur, développe en séries trigonométriques, ou séries de Fourier. Gustav Lejeune-Dirichlet (1805-1859), étudiant les conditions que doivent satisfaire les fonctions de la variable réelle pour être développables en de telles séries, donne, en 1837, la définition moderne des fonctions uniformes : à chaque valeur de x du domaine de définition correspond une valeur de y, que l’on sache ou non la calculer effectivement. C’est même de nos jours le sens attaché au mot fonction, sans qualificatif. Précisé et complété ultérieurement par Bernhard Riemann (1826-1866), le travail de Dirichlet sera, dans les mains de Georg Cantor (1845-1918), une des sources de la théorie des ensembles. C’est avec Augustin Cauchy (1789-1857) que la notion de continuité perd le sens eulérien pour prendre le sens actuel : une fonction d’une variable est continue entre des limites données lorsque, entre ces limites, chaque valeur de la variable produit une valeur unique et finie de la fonction, et que celle-ci varie par degrés insensibles avec la variable elle-même (1821).