icône (suite)
Il existe donc une coupure dans l’histoire de l’art byzantin. Non seulement les images représentatives antérieures au viiie s. ont à peu près totalement disparu du monde grec, mais la réaction des iconophiles a entraîné la destruction de la plupart des décors profanes, symboliques ou abstraits qui avaient constitué pendant cent ans la seule parure des édifices de culte : ce n’est guère qu’en Cappadoce* qu’on en a retrouvé des exemples. Le triomphe des icônes fut éclatant et définitif. On lui doit la floraison somptueuse des églises byzantines depuis le ixe s. jusqu’aux Comnènes et aux Paléologues. Avec la conversion des peuples slaves, c’est l’iconographie byzantine qui envahit les églises des Serbes, des Bulgares, des Russes. Et les tableaux sur bois, fabriqués à Constantinople ou dans les couvents grecs, furent exportés et reproduits dans tout le monde oriental. On cite toujours l’exemple caractéristique de la Vierge de Vladimir, une icône où s’exprime une rare tendresse entre la Mère et l’Enfant (V. Marie). Peintre à Constantinople, arrivée en 1135 à Vladimir, cette Vierge devait servir de modèle à tant de Vierges de l’art russe. Il en est de même pour les visages des saints : portraits imaginaires des Apôtres ou des premiers Pères de l’Église, ou portraits réels des saints évêques d’époque plus récente. Saint Nicolas a les mêmes traits et la même expression de bonté souriante sur toutes les icônes de Macédoine.
À coup sûr, cette fidélité au modèle, qui est une des caractéristiques majeures de l’art byzantin, a de hautes justifications religieuses. L’image doit sa valeur à l’original, souvent miraculeux, qu’elle reproduit. Mais, au-delà de cette recherche de fidélité, le talent de l’artiste s’exprime néanmoins, et des écoles locales se forment à partir de traditions particulières. L’exemple le plus fameux est celui du célèbre peintre russe Andreï Roublev (v. 1360-1430), qui a produit une série d’icônes admirables. La puissance de son art intervient dans l’interprétation des compositions, par la recherche d’une expression contenue et pourtant contagieuse de la spiritualité.
Il ne reste que quelques icônes des premiers siècles ; elles proviennent en général d’Égypte, où les portraits funéraires, trouvés sur les momies du Fayoum*, semblent en préfigurer le style et l’expression. Il y a de même une influence des images impériales et des portraits officiels. À certaines époques, on enrichit des icônes en les surchargeant d’un décor d’argent ou d’or cernant l’image, parfois même grâce à la technique du repoussé, se substituant aux vêtements peints. On fit des icônes en matériaux précieux, en argent bien sûr, mais aussi en ivoire, en mosaïque, en émail. En même temps s’imposait la fabrication d’images populaires puisque s’était répandu l’usage de placer dans chaque maison une icône éclairée par la flamme d’une petite lampe. Maxime Gorki, dans un de ses livres de souvenirs, En gagnant mon pain, a décrit la vie à l’atelier, où une équipe de peintres, dont il faisait partie, fabriquait des icônes. Il s’agit d’un travail où se succèdent les spécialistes : celui qui prépare les planches, celui qui apprête le bois, celui qui dessine le croquis d’après le modèle, celui qui peint les fonds et les teintes de base des vêtements, celui qui met en place dans les draperies les ombres et les lumières, celui enfin, qui peint le visage. Et Gorki montre bien à la fois le poids de la contrainte, que le respect du modèle, le plus souvent une image miraculeuse et célèbre, inspire à chacun, et le souci du maître d’aller au-delà, de donner à l’icône une beauté propre, une expression vivante de sa piété personnelle. On peut, en regardant ces tableaux somptueux ou modestes, entrer en contact avec la piété, avec la théologie du christianisme oriental et s’en imprégner.
J. L.
➙ Byzantin (Empire) [art byzantin] / Isauriens.
V. N. Lazarev, Byzantine Icons of the XIVth and XVth Centuries (Moscou, 1937). / V. N. Lasareff et O. Demus, Icônes anciennes de Russie (Flammarion, 1958). / D. T. Rice, Byzantine Icons (Londres, 1959). / K. Weitzmann, M. Chatzidakis. K. Mijatev et S. Radojčić, Frühe Ikonen, Sinaï, Griechland, Bulgarien, Jugoslavien (Vienne, 1965). / P. Evdokimov, l’Art de l’icône, théologie de la beauté (Desclée De Brouwer, 1970).