Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Humboldt (Wilhelm von) (suite)

Bilan provisoire

Lorsqu’il meurt en 1835, Humboldt laisse une œuvre qui a valeur de modèle par son exigence de totalité et par sa technicité radicale. Sans doute l’évolution de la linguistique a-t-elle eu tendance à disjoindre ces deux intentions ; la recherche contemporaine est ainsi amenée à renoncer au moins à deux des composantes essentielles de la synthèse de Humboldt : le langage comme processus de symbolisation invincible, érigeant face au monde une dynamique de significations qui vaut pour le monde ; l’entrelacement étroit du temps à la parole, qui, face au temps du monde, sécrète sa propre pulsation temporelle. Peut-on pour autant les mettre hors circuit en opposant sans appel la technicité à la totalité ? Ce serait sans doute oublier que, si une mauvaise totalité contredit la technicité, une bonne technicité, comme le rappelle Chomsky*, ne répugne pas, au contraire, à se faire tester par la totalité.

P. C.

 J. Gaudefroy-Demombynes, l’Œuvre linguistique de Humboldt (Maisonneuve, 1931). / R. Leroux, Guillaume de Humboldt : la formation de sa pensée jusqu’en 1794 (Les Belles Lettres, 1935) ; l’Anthropologie comparée de G. de Humboldt (Les Belles Lettres, 1958). / R. L. Brown, Wilhelm von Humboldt’s Conception of Linguistic Relativity (La Haye, 1967). / G. Mounin, Histoire de la linguistique, t. I : Des origines au xxe siècle (P. U. F., 1967 ; 2e éd., 1970). / O. Hansen Love, la Révolution copernicienne du langage dans l’œuvre de Wilhelm von Humboldt (Vrin, 1972).

Humboldt (Alexander von)

Naturaliste et voyageur allemand (Berlin 1769 - Potsdam 1859).


Né en plein Siècle des lumières, Humboldt a le privilège d’être l’un de ces derniers grands savants au savoir vraiment encyclopédique : de son temps, les diverses sciences se laissaient encore pénétrer avec assez de profondeur pour que des esprits puissants ne se contentent pas d’être d’admirables vulgarisateurs, mais soient aussi les artisans du progrès de la connaissance dans des directions très variées.

Pour les sciences naturelles comme pour la géologie, pour la physique du globe comme pour la climatologie, pour l’histoire de l’Amérique latine enfin, l’apport du savant allemand reste considérable. Mais il a joué un rôle de pionnier dans plusieurs spécialisations nouvelles, comme la biogéographie, l’étude du magnétisme terrestre et le volcanisme.

Fils d’un noble prussien, Alexander von Humboldt est élevé au château familial de Tegel, près de Berlin, où d’éminents précepteurs lui enseignent les rudiments d’un savoir qu’il complète à Berlin, à Francfort-sur-Oder et, à partir de 1789, à l’université réputée de Göttingen, où il commence à s’intéresser à la géologie. Après un voyage en Europe occidentale, avec un compagnon de Cook, Georg Forster (1790), il fréquente l’école des mines de Freiberg, où il écrit un ouvrage très original sur la flore souterraine de l’Erzgebirge. Directeur des mines de Franconie en 1792, il continue ses recherches dans le domaine des sciences naturelles et reprend les expériences électriques de Galvani, mais sur son propre corps, douloureusement. Par ailleurs, ses projets de grands voyages s’élaborent, même si l’objectif est incertain : il vend plusieurs propriétés et part pour Paris acheter du matériel scientifique (1797). Avec le naturaliste Aimé Bonpland (1773-1858), il cherche, en vain, à se joindre à une expédition projetée autour du monde sous la direction de Nicolas Baudin. Les deux hommes tentent, sans succès également, de se joindre à l’expédition d’Égypte, puis de visiter l’Afrique du Nord ; ils doivent se contenter de passer l’hiver 1798-99 en Espagne. À Madrid, un ministre leur offre le rare privilège d’un passeport pour les possessions espagnoles d’Amérique : ils sont au Venezuela en juillet 1799.

Humboldt et Bonpland visitent d’abord les régions littorales, puis entreprennent (févr. 1800) une grande expédition dans l’intérieur : après la traversée des « llanos », ils atteignent le río Apure, descendent cette rivière jusqu’à son confluent avec l’Orénoque et remontent la partie nord-sud du grand fleuve. Par ses affluents et un portage, ils gagnent le río Negro, un affluent de l’Amazone. En s’engageant sur un chenal qui rejoint ce río Negro, le Cassiquiare, ils démontrent l’existence, niée alors par les géographes, d’une étonnante « transfluence ». En effet, leur embarcation les conduit à l’Orénoque sans franchir de « ligne de partage des eaux » : une liaison continue entre les bassins de l’Amazone et de l’Orénoque est ainsi trouvée. Après une difficile navigation sur l’Orénoque, les deux explorateurs atteignent Angostura (auj. Ciudad Bolívar) en juin 1800.

À la fin de l’année, Humboldt et son compagnon visitent la Jamaïque et Cuba. Ils sont en Colombie en 1801, remontent le río Magdalena et parviennent à Quito en janvier 1802. En juin, les deux voyageurs s’illustrent par un exploit tout aussi sportif que scientifique en entreprenant l’ascension du Chimborazo (6 272 m) : à l’extrême limite de la résistance physique, ils doivent s’arrêter à 400 m du sommet ; mais ils sont à une altitude que nul homme n’a encore atteinte. Après une incursion dans le bassin de la haute Amazone, au Pérou, la fin du grand voyage est marquée, notamment, par des recherches au Callao sur le grand courant marin auquel a été donné le nom de Humboldt. Le retour vers l’Europe passe par le Mexique (1803) et les États-Unis (1804).

L’exploitation de toutes les observations qui ont été faites va prendre désormais à Humboldt plus de vingt années : fixé à Paris en 1807, il classe, rédige et fait compléter par d’éminents collaborateurs son grand ouvrage en 30 volumes, désigné souvent sous le titre de la première partie : Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent fait en 1799-1804.

Tout en participant à l’activité scientifique, en particulier avec le physicien et chimiste L. J. Gay-Lussac*, le savant mène désormais une brillante vie mondaine : son humour froid, ses récits toujours renouvelés sont fort prisés des salons à la mode, qui se disputent l’un des hommes les plus fameux de l’époque.

Revenu enfin à Berlin en 1827, couvert d’honneurs, nommé chambellan du roi, Humboldt ne tarde guère à repartir : invité par le tsar, il entreprend une grande expédition dans l’Asie russe en 1829, atteint la Djoungarie et l’Altaï, complète notamment la connaissance climatique de ces régions.

Par la suite, devenu l’un des principaux conseillers du roi de Prusse, Humboldt multiplie les missions diplomatiques, en particulier auprès de Louis-Philippe.

Il s’attaque enfin à une sorte de synthèse de tous ses travaux scientifiques, Kosmos, dont le premier volume paraît en 1845 et dont il donnera les dernières pages manuscrites peu de temps avant sa mort.

S. L.

 H. Beck, Alexander von Humboldt (Wiesbaden, 1959-1961 ; 2 vol.). / C. Minguet, Alexandre de Humboldt, historien et géographe de l’Amérique espagnole, 1799-1804 (Maspéro, 1969).