Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

humanisme (suite)

L’humanisme inspire également les attitudes de l’homme dans la cité. Pour les esprits du xve ou du xvie s., l’organisation de l’État revêt une telle importance qu’on ne saurait mieux la comparer qu’à celle de l’Univers, la « court et l’estat d’ung prince terrien » pouvant être « apparagés [assimilés] », comme l’écrit Antoine Du Saix (1505 ?-1579), « à la ronde concavité et forme sphérique du firmament ». De ce cosmos politique, le prince est le soleil, par la sagesse de qui passe obligatoirement le bonheur du peuple. D’où ces multiples « institutions du prince », où la leçon antique renforce les instructions de la Bible pour prôner l’exercice d’une pieuse sagesse fondée sur les vertus cardinales, pour mettre le prince en garde contre les flatteurs et les médisants, pour lui rappeler sans cesse ses devoirs envers Dieu, envers son peuple, envers lui-même. D’où aussi ces appels à une active participation des citoyens aux affaires publiques, comme nous en entendons dans l’Exhortation à la vie civile de G. du Vair, comme Montaigne les entend lorsqu’il accepte, sur les ordres du roi, la mairie de Bordeaux. Exhortation à la vie civile qui s’accompagne souvent d’une incitation à la fierté nationale. Par nature, l’humanisme se colorait volontiers de cosmopolitisme, mais les œuvres antiques abondaient, par ailleurs, en exemples prestigieux d’amour pour la patrie. S’autorisant de ces vénérables précédents, les humanistes affirment avec force l’originalité de la pensée nationale. En France, où se développe le mythe nationaliste des Celtes et des Gaulois, des historiens érudits, comme Étienne Pasquier (1529-1615) dans ses Recherches de la France et Claude Fauchet (1530-1602) tout au long des Antiquités gauloises et françaises, étudient les origines de leur pays, que chante aussi Ronsard dans l’Hymne de France, que célébreront tous ceux qui, comme Marot ou du Bellay, sont sensibles aux charmes de leurs petites provinces natales.

Parallèlement, l’humanisme suscite un véritable renouvellement dans l’inspiration amoureuse : avec le néo-platonisme, l’amour que le courant courtois du Moyen Âge avait déjà spiritualisé prend une teinte nettement mystique. Y seront sensibles beaucoup d’hommes et surtout de femmes que ne tente pas l’impérialisme féminin du pétrarquisme, qui répugnent également aux platitudes et aux grossièretés de l’amour vulgaire.

L’humanisme, enfin, apporte ses secours dans de multiples circonstances ; ainsi, dans les problèmes de l’éducation, qui préoccupent, d’Érasme à Montaigne, tant d’auteurs d’« institutions puériles », soucieux d’assurer aux enfants, dès leur plus jeune âge, les rudiments du savoir et du savoir-vivre afin de les humaniser progressivement. Et aussi dans la question, sans cesse reprise, des rapports entre l’amour et le mariage, réalités que Montaigne (Essais, III, 5) trouve sinon conciliables, du moins orientées de façon tout à fait différente, mais que tout un mouvement, qui va du platonisme chrétien de Marguerite de Navarre à l’humanisme dévot de saint François de Sales, veut absolument associer pour le plus grand bonheur de l’homme et de la femme, sur terre et dans le ciel. Enfin, dans les diverses difficultés que soulèvent à chaque instant les nécessités de la vie en société. Dans ces domaines si variés, les Œuvres morales de Plutarque, synthèse complète de l’acquis d’une civilisation prestigieuse, apportaient à chacun réponse à sa mesure. Traduites par Amyot en 1572, elles connurent, dans plusieurs éditions authentiques parues chez les imprimeurs humanistes Michel de Vascosan, Frédéric et Claude Morel ainsi que dans de nombreuses contrefaçons, le plus vif des succès. Présentées dans l’habit seyant que leur avait taillé Amyot, les Œuvres morales ne parurent plus une œuvre traduite de l’Antiquité. Plutarque devint rapidement « familier par l’air françois qu’on lui avoit donné, si perfect et si plaisant » notait Montaigne (Essais, II, 7), qui ajoutait : « C’est nostre bréviaire. » De fait, les lecteurs pouvaient y apprendre comment distinguer l’ami du flatteur, quels remèdes trouver contre l’irascibilité, sur quels principes fonder l’éducation des enfants. Les jeunes mariés y recevaient d’utiles conseils pour la vie conjugale ; les citoyens, de sages indications sur l’administration des affaires publiques. Au dossier de la « querelle des amies », Plutarque apportait le témoignage des vertueux faits de tant de femmes héroïques de l’Antiquité : parmi elles, la Gauloise Camma, dont la fidélité conjugale devait longtemps inspirer dramaturges et moralistes. Par là se trouvait fournie la solution au problème fondamental de l’humanisme, celui de savoir comment l’apport de l’Antiquité pouvait servir à l’éducation d’une pensée qui se savait chrétienne et se voulait moderne. Ainsi, loin d’être un alexandrinisme, l’humanisme fut, en même temps que passion de connaître et culte de beauté, une attitude expérimentale et psychologique de l’homme, une « épreuve » de toutes ses forces, une véritable école de vie.

Sur le plan littéraire, son importance n’est pas moindre. Il donna leur pleine ampleur à des thèmes essentiels de notre littérature : nature, vertu, gloire, amour. Il favorisa le développement du genre du dialogue, dans lequel on voyait comme une manière d’« humaniser » un traité, et c’est sous l’influence de la littérature antique que naquit la tragédie française régulière, avec, notamment, la Cléopâtre captive de Jodelle (1532-1573). Il fut enfin l’occasion d’un enrichissement remarquable du vocabulaire et, s’agissant du style, il constitua une étape décisive dans la conquête de la précision et de l’harmonie.

R. A.

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