Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

humanisme (suite)

Ainsi, le platonisme christianisé contribue, pour une large part, à ce mouvement de pensée humaniste qui, dans les quelque quarante premières années du xvie s., semblait, avec la consolidation du pouvoir royal, la prospérité économique du pays, l’élargissement de l’horizon intellectuel par la découverte du Nouveau Monde et la redécouverte du monde antique, promettre la réalisation d’un nouvel âge d’or. De cette confiance dans l’homme et dans son avenir, l’humanisme érasmien de Rabelais* fournit, sous les inventions bouffonnes du Pantagruel (1532) et du Gargantua (1534), la plus géniale et la plus optimiste des preuves. Avec Marguerite de Navarre (1492-1549), bien plus mystique que le curé de Meudon (de qui la foi chrétienne peut, toutefois, être difficilement niée, du moins dans ses deux premiers livres), s’achève cette période religieuse de l’humanisme en France. Pour l’ondoyante Marguerite, le problème n’est plus tant de concilier, comme avait cherché à le faire son maître spirituel, Lefèvre d’Étaples, l’aristotélisme et le platonisme ficinien, désormais ouvert à un vaste public, mais bien d’insérer l’idéalisme platonicien dans une perspective authentiquement chrétienne, de réaliser la synthèse (devenue de plus en plus difficile par suite du durcissement des positions religieuses face à la Réforme) entre la philosophie antique et l’humanisme biblique, contesté lui-même par tout un courant naturaliste ou sceptique, d’inspiration le plus souvent padouane. Sans doute Marguerite y parvient-elle en donnant à ce spiritualisme platonicien, qui la séduisait tant, le couronnement d’une mystique chrétienne du salut dans le ravissement. Mais en fait, vers le milieu du siècle, devant les antagonismes violents où s’opposent Rome et la Réforme, devant les tentations paganisantes de la Renaissance et malgré l’influence persistante du platonisme sur les esprits et sur les âmes, s’assombrit, dans la tristesse des espoirs déçus, le visage d’un humanisme naguère encore éclatant, passionné, vigoureux comme Hercule qui le symbolisait si bien, avide des curiosités les plus diverses, ivre de tous ces pouvoirs merveilleux qu’il trouvait ou retrouvait à l’homme, saisi dans sa continuité à travers la variété des temps et la multiplicité des espaces. En 1547, au bilan de victoire que croit encore pouvoir dresser l’antiaristotélicien Pierre de La Ramée, dit Ramus (1515-1572), répondent déjà les inquiétudes du Tiers Livre, où Rabelais ne peut plus proposer à la question du libre arbitre et de la volonté que la réponse provisoire d’une espérance prudente.


L’humanisme esthétique du milieu du xvie s. (1547-1560)

Au moment où, un peu avant 1550, la recherche religieuse qui avait animé l’humanisme de la période précédente se trouve engagée dans une impasse, alors que grandit dans la plupart des esprits, avec la montée sur le trône de Henri II, souverain, pensait-on, plus favorable aux nourrissons de Mars qu’à ceux des Muses, la tentation du repli sur soi, du silence, voire de l’abandon, l’humanisme va s’épanouir de façon magnifique.

D’une part, l’érudition s’affirme plus vivante que jamais dans la fidélité à la vocation première de l’humanisme. Succédant aux réimpressions de l’Anthologie grecque et du Florilège de Stobée, l’édition d’Anacréon, d’Henri II Estienne (1531-1598), apporte aux Français, en 1554, des trésors inconnus. À la même époque, Adrien Turnèbe (1512-1565) commente Cicéron, fournit les premières éditions de Philon, traduit Plutarque en latin ; Ramus multiplie les commentaires sur Aristote, Cicéron, Virgile, César, fait imprimer trois livres de mathématiques avant d’éditer bientôt deux grammaires du grec ou du latin, et Denis Lambin (1516-1572), autre lecteur royal, interprète, en ardent défenseur, les dix livres de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote.

D’autre part, l’humanisme reçoit son expression la plus belle grâce à « cette grande flotte (foule) de poètes que produisit, comme l’écrit Étienne Pasquier (1529-1615), le règne du roi Henri deuxième » et, plus spécialement, à ce groupe poétique, jeune, audacieux et fécond que nous continuerons d’appeler « Pléiade », même si le mot ne représente qu’un mythe, une invention purement verbale de Ronsard, une simple entité utile aux seuls manuels d’histoire littéraire.

En 1547, quand meurt François Ier, l’humanisme spiritualiste reste marqué de l’empreinte qu’y ont mise ses pionniers : des clercs, des érudits, presque tous des bourgeois. Humanisme d’élévation morale, c’était essentiellement un humanisme en prose, auprès duquel l’humanisme d’un poète, fût-il des meilleurs, comme Clément Marot, ne pouvait guère mériter considération. Mais la même année 1547, les premières œuvres originales de Jacques Peletier du Mans (1517-1582) — qu’accompagnaient une ode de Ronsard et un dizain de Du Bellay, tous deux à leurs débuts — font entendre à plein la voix de la poésie, d’une poésie écrite souvent par des plumes nobles, soucieuses de faire, à l’imitation de Maurice de Scève (1501-1560) et des poètes lyonnais, œuvre de beauté et mues par l’impérieux désir de l’aristocratique exercice de la création poétique. Humanistes, les poètes de la Pléiade, entre autres Ronsard, du Bellay, Jean Antoine de Baïf (1532-1589), Rémy Belleau (1528-1577), communient dans le même culte admiratif de l’Antiquité que les écrivains de la période précédente, mais, chez eux, la réflexion savante et religieuse inspirée par les pensées des Anciens fait place à la sensibilité et à l’imagination fondées sur l’« innutrition », assimilation personnelle des plus exquises vertus artistiques des poètes grecs et latins. Loin de rêver à quelque synthèse intellectuelle, tenue désormais pour quasi impossible, malgré la vivace survie du néo-platonisme conciliateur, ils proclament, dans le cadre de cette imitation intelligente, le dogme du génie individuel, mettant ainsi un accent nouveau sur l’une des caractéristiques majeures d’un humanisme bien compris : le développement de la personnalité. Leur but, c’est de réaliser en vers, pour leur propre gloire et pour l’illustration de leur pays, cette adaptation française des lettres antiques déjà assurée pour la prose, mais à laquelle, dans le domaine poétique, ne pouvaient évidemment pas contribuer — quel que fût leur talent — des écrivains néo-latins comme Marc-Antoine Muret (1526-1585) et les héritiers de Macrin ou de Jean Visagier († 1542), et qu’avaient manquée nécessairement en français les marotiques, disciples indignes d’un maître lui-même trop facile. À l’Antiquité gréco-latine, les poètes de la Pléiade empruntent d’abord une conception nouvelle de la poésie, tirée de la théorie platonicienne de l’enthousiasme, des ornements de style, des motifs artistiques, et un certain nombre de formes poétiques comme ces odes (horaciennes ou pindariques) par lesquelles s’effectue dans nos lettres la résurrection intégrale de l’art lyrique antique. Puis, une fois dépassées les mignardises des sonnets pétrarquisants, les « folies » de « l’œuvre bas », retrouvant les exigences du savoir humaniste, renouant avec la tradition encyclopédique et les théories philosophiques de Ficin et de La Mirandole, ils vont chanter le poème de l’homme situé dans cet univers dont leur poésie cosmologique vient précisément de révéler les secrets, de l’homme appréhendé dans son aventure et confronté avec le destin du monde : ainsi, Peletier dans son Uranie (1555), Ronsard à travers ses Hymnes (1555-56) et, à un moindre degré, du Bellay dans ses Antiquités de Rome (1558).