Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hongrie (suite)

Le pays est peu habité. Depuis le xve s., la population n’a augmenté que d’un demi-million d’habitants ; dans la Grande Plaine, récemment évacuée par les Turcs, la densité n’atteint souvent que celle du ixe s. Ce sont les Hongrois qui ont subi les pertes les plus graves ; les nationalités habitant les régions périphériques (Slovaques, Ruthènes, Allemands et Roumains) ont progressé en chiffres absolus et forment de 30 à 40 p. 100 de la population totale. Le repeuplement poursuivi entre 1720 et 1780 accentue cette tendance en favorisant non seulement l’établissement des paysans du Nord et de l’Ouest et des Slaves du Sud fuyant l’Empire ottoman, mais, dans le cadre d’une colonisation étatique, l’implantation de colonies venant des différentes régions de l’empire des Habsbourg, voire de Belgique et d’Italie.

Marie-Thérèse* (de 1740 à 1780), après avoir recouru aux nobles pour défendre sa succession, essaie de les faire participer aux lourdes charges financières de ses guerres. Les ordres refusent non seulement les impôts des nobles, mais même l’augmentation de ceux des serfs. Vienne instaure alors un système douanier (1754) qui coupe la route des exportations hongroises au-delà de l’Autriche et impose ses propres produits manufacturés, créant et maintenant jusqu’en 1848 une situation coloniale.

Joseph II* (de 1780 à 1790), en tentant de moderniser et de centraliser son empire, se heurte à une opposition grandissante de la Hongrie. Certes, l’édit de tolérance de 1781, l’amélioration du sort des paysans, la promesse de suppression du carcan douanier ainsi que de l’interdiction de fonder des manufactures lui gagnent la sympathie et l’appui d’une couche intellectuelle d’origine terrienne ou plébéienne favorable aux idées de la philosophie des lumières ; mais l’influence de ces intellectuels ne suffit pas à fléchir l’opposition nobiliaire. Lorsque Joseph II supprime l’autonomie des comitats, impose la langue allemande comme langue officielle à la place du latin, procède à un recensement sans distinction de classes, à l’établissement d’un cadastre des terres nobiliaires et paysannes et à l’évaluation des revenus de chacun, l’opposition se raidit dans une résistance passive. La défaite de la guerre turque de 1788 et les développements de la Révolution française contraignent Joseph II à annuler presque toutes ses réformes.

Léopold II (de 1790 à 1792) parvient à isoler la noblesse hongroise en attisant contre elle la colère des paysans et des citadins et en appuyant les revendications nationales des Serbes établis dans le sud de la Grande Plaine. La diète de 1790-91 se contente de proclamer le droit de la Hongrie d’être gouvernée selon ses propres lois et coutumes et non selon celles des provinces héréditaires.

La peur de la Révolution française pousse la noblesse à appuyer pleinement, avec argent et soldats, les interventions de François Ier, roi de Hongrie de 1792 à 1835 (empereur François II). Par contre, les intellectuels, qui ont vu disparaître toute réforme, se rassemblent dans des clubs et les loges des francs-maçons et examinent les possibilités d’une transformation sociale. Plusieurs centaines d’entre eux conspirent, se regroupant en associations constituées sur le modèle jacobin. Ces associations, organisées par l’abbé Ignác Martinovics (1755-1795), ont pour premier objectif l’indépendance à l’égard de Vienne et la création d’une société de type bourgeois. Découverts en 1794, des conjurés sont inculpés ; sept sont exécutés, les autres sont incarcérés. Le mouvement, isolé, ne peut avoir d’écho immédiat, d’autant moins que les guerres napoléoniennes créent une conjoncture très favorable aux productions issues des propriétés de la noblesse. C’est la fin de cette prospérité qui détruit l’alliance de la Cour et de la noblesse. Vienne, endettée, doit émettre des billets de banque, puis les dévaluer à deux reprises et, lorsque les comitats, lésés, refusent les 35 000 nouveaux soldats nécessaires pour combattre les révolutions de Piémont et de Naples (1820-21), elle procède au recrutement par la force. Les crises des années 20 conduisent la noblesse à découvrir qu’un assouplissement de la dépendance autrichienne ne résout pas les problèmes, car les propriétés seigneuriales fondées sur le travail des serfs sont incapables de produire des marchandises exportables. Tout le système féodal est mis en accusation dans le Crédit (1830), livre du comte István Széchenyi (1791-1860), qui a longuement voyagé en Europe occidentale.

La diète de 1832-1836 connaît déjà une opposition importante de la noblesse libérale et réformiste, qui, sous la direction de Miklós Wesselényi (1796-1850), Ferenc Kölcsey (1790-1838) et Ferenc Deák (1803-1876), unit la lutte contre l’Autriche au combat contre le féodalisme. Au cours des années 40, c’est Lajos Kossuth* qui formule cette aspiration d’une manière plus radicale, exigeant l’égalité devant la loi et devant l’impôt ainsi que la suppression des privilèges. Ses projets de réforme échoueront toutefois jusqu’en 1847 devant la résistance conjuguée de la Cour et de l’aristocratie conservative.


De 1848 à 1918

La révolution de février 1848 en France donne l’exemple. Le peuple de Pest, dirigé par de jeunes intellectuels radicaux, libère les prisonniers politiques le 15 mars, fait imprimer son programme en ignorant la censure et exige la réalisation immédiate de celui-ci. La Cour cède dès le lendemain ; le chef de l’opposition, Lajos Batthyány (1806-1849), est nommé Premier ministre, le Parlement vote des lois antiféodales ainsi que l’union avec la Transylvanie (administrée depuis 1691 directement par Vienne), et ramène les affaires communes avec l’Autriche à la seule politique extérieure.

Tous les problèmes ne sont pas pour autant résolus. La Cour interprète les lois à son avantage, les paysans s’opposent au maintien de quelques privilèges mineurs et occupent des terres discutées, obligeant le gouvernement à intervenir par la force. Enfin, les nationalités exigent des droits culturels et politiques que le gouvernement hongrois refuse, et la Cour de Vienne en profite pour diriger les mouvements nationaux au profit du conservatisme. Ainsi, elle nomme à la tête de la Croatie, dont l’autonomie linguistique et politique n’a jamais été mise en question par Pest, son fidèle général J. Jelačić (Jellacic), qui organise une armée contre les Hongrois.