Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Honegger (Arthur) (suite)

« Mon rêve aurait été de ne composer que des opéras. » Comme pour Händel, dont les préférences allaient aussi au drame, les circonstances auront voulu que Honegger laisse le meilleur de lui-même dans l’oratorio. Il renoue avec cette forme, assez délaissée de ses contemporains, et la rénove. Avec elle, il satisfait le « biblique » qu’il est (le Roi David, Judith) et son goût pour la fresque monumentale (Jeanne d’Arc au bûcher).

Le premier grand oratorio qu’il signe, le Roi David, marque le genre d’un certain nombre de règles dont il ne se départira plus, tous ses oratorios présentant les mêmes caractères. À la manière de Händel, le chœur demeure le personnage important, soit qu’il commente ou résume l’action, soit qu’il représente la foule en un style vivant et coloré qui n’est pas sans rappeler certains chœurs des Passions de Bach. Les chœurs de Jeanne d’Arc au bûcher sont typiques sur ce point : à bouche fermée, cris, psalmodies, vociférations chantées ou parlées, l’effet saisit. Presque toujours homorythmique, le chœur se voit souvent confier des chansons populaires. Honegger sait l’utiliser avec beaucoup de science : dans la Danse des morts, un petit chœur psalmodié de rythme ternaire se superpose à un grand chœur binaire qui chante une ronde reprenant l’air de « Sur le pont d’Avignon ». Le récit parlé remplace le récitatif chanté de l’ancien oratorio. Son rôle se révèle capital ; souvent, le rôle principal n’est pas chanté, mais confié à un récitant (Jeanne d’Arc, Nicolas de Flue).

La tragédie musicale d’Antigone reste l’une de ses meilleures réalisations. Le compositeur apporte une solution au problème de la déclamation, qui l’a beaucoup préoccupé. Lui-même s’en explique dans la préface de l’ouvrage : « Remplacer le récitatif par une écriture vocale mélodique ne consistant pas en tenues sur les notes élevées (ce qui rend toujours le texte incompréhensible) ou en lignes purement instrumentales ; mais au contraire en cherchant une ligne mélodique créée par le mot lui-même, par sa plastique propre, destinée à en accuser les contours et en augmenter le relief. Chercher l’accentuation juste principalement dans les consonnes d’attaque en opposition à la prosodie conventionnelle qui les traite en anacrouses. » La durée du texte chanté n’excède pas celle du texte récité, d’où une mélodie syllabique évoluant dans une tessiture moyenne. L’accent tonique se voit souvent déplacé afin de mieux projeter le mot et d’intensifier sa signification.

Les diverses influences subies par le jeune musicien se fondront très tôt en un style empreint d’une personnalité forte, indépendante et ennemie de tout système. Son langage âpre s’exprime à la fois par l’atonalité, la polytonalité, le chromatisme, mais ne rejette pas la tonalité. Honegger attache plus d’importance à la pensée qu’au vocabulaire choisi pour l’exprimer. Il n’érige jamais en système l’emploi du leitmotiv ou du thème cyclique, dont il se sert parfois. Ceux-ci confèrent seulement plus de cohésion à l’ensemble. La rythmique joue un rôle de premier plan, souvent heurtée, obstinée ou superposant des rythmes qui se contrarient. Dans Pacific 231, le musicien donne l’impression d’accélération par la diminution progressive des valeurs rythmiques (de la ronde à la double croche), puis il use du système inverse pour le ralentissement. L’écriture contrapuntique, très savante, se meut en une polyphonie complexe, mais aérée, dans laquelle les thèmes se renversent, s’inversent ou se superposent.

Honegger n’attend pas d’écrire des symphonies pour montrer ses qualités d’orchestrateur. La forme concertante l’attire. Il recherche les effets de contraste en utilisant l’ensemble de la masse sonore ou, le plus souvent, en détaillant les vents. Il fait un bel usage des cuivres et emploie presque toujours les instruments par groupes.

« Il me paraît indispensable, pour aller de l’avant, d’être solidement rattaché à tout ce qui précède. Il ne faut pas rompre le lien de la tradition musicale. » On a beaucoup parlé du néo-classicisme et du néo-romantisme de Honegger. Peut-être serait-il plus exact d’évoquer un traditionalisme que le compositeur juge essentiel et qu’il modernise par le langage harmonique ainsi que par les préoccupations qui fécondent son œuvre : la machine (Pacific 231), le sport (Rugby) et surtout la condition de l’homme. Le « pessimisme » du musicien a également été souvent souligné. Il semble plutôt qu’il ait énuméré quelques vérités concernant la condition du compositeur et, en jugeant avec le recul, qu’il ait eu la prémonition des dangers qui menaçaient notre civilisation. Si plusieurs de ses œuvres reflètent ses pensées amères, il ne faut cependant pas oublier la jeunesse d’autres : le Concertino pour piano, le Concerto de violoncelle, le Chant de joie, la Pastorale d’été, le Concerto da camera, Une cantate de Noël.

Les œuvres de Honegger

• Piano : Toccata et variations (1916) ; Trois Pièces : prélude, hommage à Ravel, danse (1919) ; Sept Pièces brèves (1920) ; le Cahier romand (1923) ; Hommage à Albert Roussel (1928) ; Prélude, arioso et fughette sur le nom de Bach (1932).

• Orgue : Fugue, Choral (1917).

• Musique de chambre : rhapsodie pour 2 flûtes [ou violons], clavecin [ou alto] et piano (1917) ; Danse de la chèvre pour flûte seule (1919) ; Trois Contrepoints pour petite flûte, hautbois [ou cor anglais], violon, violoncelle (1922) ; 2 sonatines : pour 2 violons (1920) et pour violon et violoncelle (1932) ; 6 sonates : 2 pour 2 violons et piano (1917, 1919) ; 1 pour alto et piano (1920) ; 1 pour violoncelle et piano (1920) ; 1 pour clavecin [ou violoncelle] et piano (1922) ; 1 pour violon seul (1940) ; 3 quatuors à cordes (1917, 1936, 1937).

• Musique symphonique : le Chant de Nigamon (1917) ; Pastorale d’été (1920) ; Horace victorieux (1921) ; Chant de joie (1923) ; 3 poèmes symphoniques : Pacific 231 (1923), Rugby (1928), Mouvement symphonique no 3 (1933) ; 5 symphonies : première symphonie (1930), Symphonie pour cordes (1941), symphonies « liturgique » (1946), Deliciae basilienses (1946), Di tre re (1950) ; Suite archaïque (1951) ; Monopartita (1951). Plusieurs suites d’orchestre tirées de ses ballets et musiques de film.

• Concertos : Concertino pour piano et orchestre (1924) ; Concerto pour violoncelle et orchestre (1929) ; Concerto da camera pour flûte, cor anglais et orchestre à cordes (1948).

• Mélodies : Six Poèmes (extraits d’Alcools d’Apollinaire, 1917) ; Six Poésies de Jean Cocteau (1923) ; Trois Poèmes de Claudel (1940) ; Trois Psaumes (1941) ; Petit Cours de morale (1941) ; Mimaamaquim (1946).