Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

histoire (suite)

Ancien collaborateur de la Revue de synthèse historique, cet historien fonde en 1929 avec son ami et collègue Marc Bloch* les Annales d’histoire économique et sociale, afin de lutter contre l’histoire événementielle, accusée de scléroser la recherche et l’enseignement de l’histoire. Les fondateurs de la nouvelle revue condamnent la soumission totale de l’historien au texte pour lui restituer le droit à l’hypothèse, c’est-à-dire le droit à la liberté dans le respect strict des règles du métier ; ils jettent ainsi les fondements d’une histoire qui a pour objet non plus le « fait », mais, pour reprendre l’expression de Marc Bloch « l’homme. Disons mieux les hommes ». « Derrière les traits sensibles du paysage, les outils et les machines, derrière les écrits en apparence les plus glacés, derrière les institutions, ce sont les hommes que l’histoire veut saisir. Qui n’y parvient pas ne sera jamais, au mieux, qu’un manœuvre de l’érudition. » (Apologie pour l’histoire.)

Convaincus que le dessin d’un champ, la forme d’un outil, la qualité d’un acier ont une valeur documentaire au moins égale à celle d’un écrit et peuvent, tout aussi bien, sinon mieux que lui, éclairer l’historien sur le mode de vie d’un peuple, sur le degré d’acculturation de ses membres, les chefs de l’école des Annales exigent une diversification des sources de l’histoire ainsi que le renforcement des liens l’unissant aux autres sciences de l’homme, renforcement déjà réclamé avant eux par Henri Berr et par les fondateurs de l’Année sociologique en 1897. Mais, alors que, pour ces derniers, ce renforcement était conçu comme devant entraîner la subordination de l’histoire à la sociologie, considérée par Durkheim* comme seule capable d’expliquer le comportement des personnages historiques, Lucien Febvre et Marc Bloch, définitivement relayés en 1956 par Fernand Braudel (né en 1902), envisagent de la réaliser au profit de leur science de dilection.

L’histoire des Annales est d’abord et avant tout une histoire économique et sociale qui, renonçant à polariser l’attention du chercheur sur le « temps bref de l’histoire, celui des biographies et des événements », recherche dans la « longue durée » des phénomènes économiques et sociaux les causes profondes de l’évolution des sociétés et des civilisations, « dont la réalité nous dépasse, précise avec force Fernand Braudel, parce que la durée de leur vie est bien plus longue que la nôtre ».

Structurale, une telle histoire recourt à la méthode statistique, à laquelle l’initie un économiste sociologue, François Simiand (1873-1935), afin de déterminer dans la longue durée l’alternance des phases « A » d’expansion et des phases « B » de restriction, qui conditionnent l’évolution économique des sociétés humaines, dont les conditions de vie sont de plus en plus liées à l’évolution respective des prix et des salaires ainsi qu’à celle du pouvoir d’achat de la monnaie, dont la mesure est devenue l’un des soucis de l’historien au lendemain de la crise économique de 1929.

En même temps, ce recours à la formulation mathématique comme moyen de mieux appréhender l’histoire économique aboutit à la constitution d’une histoire de type conjonctural qualifiée de quantitative par Jean Marczewski, qui veut faire de cette science une « économétrie rétrospective » (Pierre Vilar), c’est-à-dire remplir, selon François Furet, pour les siècles antérieurs aux nôtres et sur le modèle de nos comptabilités nationales actuelles, toutes les colonnes d’un tableau imaginaire d’input-out-put. En fait, l’impossibilité où se trouve presque toujours l’historien d’atteindre des quantités absolues quand il s’agit de périodes antérieures à 1780 incite Pierre Chaunu, fort de l’expérience acquise lors de la rédaction de sa thèse Séville et l’Atlantique (1550-1650), à qualifier d’histoire sérielle une histoire « qui s’intéresse moins au fait individuel [...] qu’à l’élément intégrable dans une série homogène, susceptible de porter ensuite les procédés mathématiques classiques d’analyse des séries, susceptibles, surtout, d’être raccordées aux séries qu’utilisent couramment les autres sciences de l’homme [...] » et qui installent l’historien dans la diachronie, finalement plus facile à saisir par l’historien que la synchronie, qui supposerait, selon Fernand Braudel, « un arrêt instantané, suspendant toutes les durées ; [arrêt] presque absurde en soi ou [...] très factice ».

L’histoire ne cesse, dès lors, de déborder hors de son domaine primitif, empruntant à la géographie, annexant la nature, se subordonnant la démographie pour constituer dans son orbite de nouvelles branches du savoir. Tenant compte des possibilités d’action qu’offre à l’action des hommes le milieu naturel, c’est-à-dire les sols, le climat, la végétation, Marc Bloch jette les bases de l’histoire rurale en rédigeant les Caractères originaux de l’histoire rurale française. Jouant avec habileté de la dialectique terre-mer, Fernand Braudel donne ses lettres de noblesse à la « géohistoire » en éditant en 1949 sa thèse la Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, qui intègre à l’histoire à la fois l’espace et la longue durée. Enfin, en 1967, Emmanuel Le Roy Ladurie annexe la nature à l’histoire en procédant à l’étude sérielle du climat, rendue possible par l’essor de la dendrochronologie aux États-Unis et par celui de la phénologie, qui révèlent l’existence de variations pluridécennales, voire séculaires des phénomènes purement météorologiques (températures, pluies notamment) pouvant influencer finalement le comportement de l’homme en société, et cela d’autant plus facilement que celui-ci est nombreux.

Encore faut-il connaître quel est ce nombre, quelle est la dimension numérique de l’homme, « matière privilégiée » de l’histoire et plus précisément de ce type d’histoire sérielle qu’est l’histoire démographique.