Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hispano-américaines (littératures) (suite)

La poésie féminine va se tailler une place de choix dans les lettres hispano-américaines du xxe s. Quatre grands noms l’illustrent : l’Uruguayenne Delmira Agustini (1886-1914), qui chante en des vers tourmentés le désir et les insatisfactions de la chair, avant de mourir assassinée par son mari ; sa compatriote Juana de Ibarbourou (née en 1895), épouse et mère comblée, qui, à l’opposé, célèbre le plaisir d’aimer et la joie de vivre ; l’Argentine d’origine suisse Alfonsina Storni (1892-1938), qui, souffrant de la « pauvreté spirituelle du siècle », confie à ses vers les contradictions de son âme inquiète ; enfin et surtout, la Chilienne Gabriela Mistral*, qui, pour la noblesse de son inspiration et son humanisme profond, recevra en 1945 le premier prix Nobel décerné à un écrivain hispano-américain. La poésie féminine continuera d’être riche et brillante, notamment en Uruguay (Sara de Ibáñez, née en 1910), et au Mexique (Rosario Castellanos, née en 1925).

L’entre-deux-guerres va voir s’illustrer de nombreux talents : Jorge Luis Borges*, chef de l’ultraïsme argentin, mouvement proche du dadaïsme, auquel se rallieront à leurs débuts le grand poète catholique Francisco Luis Bernárdez (né en 1900), Leopoldo Marechal (1900-1970) et bien d’autres ; le Chilien Vicente Huidobro (1893-1948), père du créationnisme (« Le premier devoir du poète est de créer, le second est de créer, le troisième est de créer » ; « il faut faire un poème comme la nature fait un arbre »). Auteur de poèmes en français (Horizon carré, 1917), il est l’introducteur dans son pays des techniques d’avant-garde inspirées d’Apollinaire, des surréalistes, de Reverdy et de Cocteau, qu’il a connus à Paris. À la même génération appartiennent les Mexicains José Gorostiza (né en 1901), le plus pur et le plus subtil (Muerte sin fin, 1939), Carlos Pellicer (né en 1899), coloriste éblouissant, Jaime Torres Bodet (né en 1902), connaisseur fervent de la littérature française, et Xavier Villaurrutia (1903-1950), obsédé par la mort et le thème du dédoublement de la conscience (Nostalgia de la muerte, 1939-1946). En Equateur, Joge Carrera Andrade (né en 1903), influencé à ses débuts par Francis Jammes, cherche à traduire la poésie des choses de la terre (Registro del mundo, 1940). À Cuba, Eugenio Florit (né en 1903), disciple de Juan Ramón Jiménez, est d’inspiration purement hispanique. Dominant toute l’époque, deux poètes auront une ascendance considérable sur leurs contemporains : ce sont le Péruvien César Vallejo*, chantre de toute souffrance, et le Chilien Pablo Neruda*, second lauréat chilien du prix Nobel (1971), auprès desquels on peut placer le Mexicain Octavio Paz*.


La poésie noire

Un des chapitres les plus intéressants de la poésie hispano-américaine de ce siècle est celui de la poésie noire, dite encore « afro-antillaise », qui est une création originale de la zone des Caraïbes et dont l’essor correspond à la vogue du « négrisme » dans le monde occidental (Anthologie nègre de Cendrars, Voyage au Congo de Gide, Magie noire de Paul Morand, etc.). Empruntant ses thèmes et ses rythmes au folklore des Noirs et des mulâtres, nombreux aux Antilles, cette poésie est puissamment sensuelle, et les mouvements syncopés des phrases reproduisent ceux des danses africaines :
Calabó y bambú
Bambú y calabó.
El Gran Cocoroco dice : tu-cu-tú.
La Gran Cocoroca dice : to-co-tó
chante le Portoricain Luis Palés Matos (1899-1959), l’un des meilleurs représentants de cette veine et l’un des premiers à en avoir exploité les ressources vers 1925, époque de la Revue nègre et de Joséphine Baker. À la même inspiration appartiennent le Cubain Emilio Ballagas (1908-1954), auteur d’une célèbre Cuaderno de poesía negra (1934), et le Dominicain Manuel del Cabral (né en 1907) ; mais l’un comme l’autre évolueront ensuite, au-delà du folklore, vers une poésie plus classique. De plus en plus engagé dans le lyrisme militant, Nicolás Guillén* demeure la figure la plus représentative de cette poésie pleine de chaleur.


La prose : le réalisme

Si le xxe s. est le siècle du roman et du cuento (nouvelle, conte), genre exigeant qui jouit d’une extraordinaire faveur en Amérique latine, il est aussi le siècle du réalisme. Cependant, certains prosateurs, encore sous l’influence du modernisme, vont tourner leurs regards vers l’étranger, notamment vers l’Espagne. C’est le cas de l’Argentin Enrique Rodríguez Larreta (1875-1961), qui recrée l’époque de Philippe II dans La gloria de don Ramiro (1908), et de Carlos Reyles (1868-1938), le premier grand romancier uruguayen, avec El embrujo de Sevilla (1922). D’autres romanciers s’intéressent plus particulièrement à la psychologie de leurs personnages, comme les Chiliens Pedro Prado (1886-1952) dans Alsino (1920) et Eduardo Barrios (1884-1963) dans El hermano asno (1922), qui met en scène un moine tourmenté dans sa chair, et l’Argentin Eduardo Mallea (né en 1903), soucieux du destin de l’homme (Chaves, 1953). Plus intellectuels, plus raffinés, plus cosmopolites, d’autres romanciers encore opteront pour le fantastique, comme les deux Argentins Adolfo Bioy Casares (né en 1914), créateur de mondes imaginaires (La invención de Morel, 1940), et Jorge Luis Borges.

Mais, dans leur grande majorité, les romanciers de l’entre-deux-guerres choisiront les voies du réalisme pour se faire les interprètes des problèmes de leur temps et notamment pour illustrer la double lutte de l’homme contre la nature et de l’homme contre son semblable. Un précurseur en ce domaine est le Colombien José Eustasio Rivera (1889-1928), qui, dans son roman La vorágine (1924), allie ces deux thèmes : la vorágine, c’est le tourbillon végétal meurtrier, la forêt vierge titanesque et « sadique », l’« enfer vert » ; c’est aussi l’exploitation des péons collecteurs de latex par les caucheros, les cupides « hommes du caoutchouc ». De nombreux romans seront écrits sous l’influence de La vorágine. Ainsi, la forêt sera encore une ennemie impitoyable dans les récits de l’Uruguayen Horacio Quiroga (1879-1937) [Cuentos de la selva, 1918] et du Vénézuélien Rómulo Gallegos* (Canaima, 1935). D’autres romanciers, se réclamant aussi de l’esthétique réaliste, trouveront leur vocation dans le régionalisme (Mariano Latorre [1886-1955], Salvador Reyes [1899-1970], Chiliens) ou dans la peinture de la vie rurale (Enrique Amorim [1900-1960], Uruguayen).