Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hispano-américaines (littératures) (suite)

Ce sont les mêmes luttes qu’allait chanter le Chilien Pedro de Oña (1570 - v. 1643), fils d’un capitaine espagnol, dans son Arauco domado (1596). Doué d’un moins grand souffle épique que son maître Ercilla, Oña a, en revanche, plus de fantaisie, de sensibilité : son poème, aux accents moins guerriers, renferme des scènes bucoliques. Mais tout est malheureusement gâché par un excès d’emprunts faits à la mythologie gréco-latine et le recours aux clichés et aux images de convention. Versificateur accompli, Oña occupe cependant toujours une place de choix parmi les poètes épiques du Nouveau Monde.

Outre Oña, la muse épique d’Ercilla allait avoir en Amérique de nombreux fervents. Dans le premier quart du xviie s., Bernardo de Balbuena (1568-1627), né en Espagne, éduqué au Mexique, évêque de Porto Rico de 1620 à sa mort, va illustrer cette veine de façon particulièrement brillante dans les quelque 40 000 vers de son Bernardo o la victoria de Roncesvalles (1624) — dont le héros est ce légendaire Bernardo del Carpio qui aurait tué Roland —, où il se révèle un « Arioste tropical », et dans son beau poème intitulé Grandeza mexicana (1604), brillant tableau de Mexico, de ses rues grouillantes de monde, de ses places, de ses jardins, de ses marchés, peints avec un souci très grand du détail pittoresque et de la couleur locale.

Dans ce même courant épique, mais occupant une place un peu à part, figure La Cristíada (1611) de frère Diego de Hojeda (v. 1570-1615), considérée par beaucoup comme le chef-d’œuvre de l’épopée sacrée en langue espagnole et où se trouvent relatés les événements saillants de la vie du Christ.


L’époque coloniale : l’âge baroque

Une fois apaisé le tumulte héroïque de la Conquête et dissipée la fumée des mousquets, la vie coloniale s’organise en cette Amérique désormais « latine ». Dans le sillage des conquistadores sont arrivés les missionnaires, franciscains, augustins, dominicains, un peu plus tard jésuites, qui ont aussitôt entrepris la conquête spirituelle des territoires soumis. Leur première tâche a été de construire églises et couvents, puis des collèges pour y éduquer les fils d’Espagnols et les Indiens, et inculquer à ces derniers les rudiments de la foi. Le 28 octobre 1538, une bulle pontificale érige en université un de ces collèges récemment fondé à Saint-Domingue par les dominicains : cette université, qui reçoit le nom de Saint-Thomas-d’Aquin, est la première d’Amérique. Dès lors, Saint-Domingue, « Athènes du Nouveau Monde », va devenir un foyer de culture extrêmement actif et, trois siècles durant, rayonner sur les Antilles, au Venezuela et en Colombie. Mais les deux grands centres de la vie intellectuelle au xviie s. seront les capitales des vice-royaumes de Nouvelle-Espagne et du Pérou, Mexico et Lima, dotées chacune d’une université depuis 1551 et d’une imprimerie depuis 1537 et 1583 respectivement. Si les fêtes et les divertissements sont à l’honneur à la cour des vice-rois, où l’aristocratie blanche mène une vie brillante et raffinée, dans tout le corps social, jusqu’au plus bas de l’échelle, on retrouve ce même goût pour les réjouissances, les fêtes, religieuses ou profanes, pour toutes les formes de spectacles. Dès la seconde moitié du xvie s., les missionnaires faisaient représenter des scènes religieuses, des allégories, des mystères, accompagnés de danses, pour la catéchisation des indigènes. Au xviie s., dans leurs « réductions » du Paraguay, les Jésuites favoriseront les représentations scéniques sur des sujets religieux, également entremêlées de chorégraphie, dans un but édifiant. Il y aura même un embryon de théâtre créole, mais celui-ci sera vite concurrencé par la production péninsulaire de Lope de Vega* ou de Calderón*, qui trouveront bon accueil outre-Atlantique. Quel que soit le genre de spectacle, il témoignera toujours de cette prédilection pour le luxe, la surcharge qui caractérise le xviie s. américain. L’Amérique latine est, en effet, entrée dans son âge baroque*. C’est l’époque des grands retables polychromes ruisselant d’or et grouillant d’angelots replets, des christs enjuponnés de l’école de Cuzco, l’époque où les inspirations ibérique et autochtone se confondent en un curieux mélange : Vierges vêtues à l’indienne, anges jouant des maracas sur les portails sculptés des églises. De son côté, la vie littéraire est marquée par la vogue extraordinaire de la poésie. Dans la bonne société créole, tout est devenu prétexte à poèmes : fêtes, félicitations pour un baptême, un mariage, etc. À la fin du xvie s., on dénombre à Mexico trois cents participants à un concours poétique et, toujours à Mexico, paraît en 1689 un recueil au titre significatif de ce prurit lyrique, Inundación castálida, de sœur Juana, que nous allons retrouver bientôt. En vérité, ce qu’on goûte alors dans la poésie, c’est le plus souvent l’aspect formel, la virtuosité technique, qui va généralement jusqu’à l’artifice et à l’acrobatie pure. Poésie et arts plastiques procèdent de la même inspiration. On comprend que Luis de Góngora* ait été accueilli comme un dieu sur les rivages américains. Certes, de nombreux versificateurs besogneux ne retiendront de lui que les procédés de style. L’« Apollon andalou », le « Prince de l’obscurité » trouvera en revanche un admirateur de grand talent en la personne d’un Indien né dans un village perdu des Andes du Pérou, Juan de Espinosa Medrano, dit el Lunarejo (v. 1632 - v. 1688). Dans son Apologético en favor de don Luis de Góngora (1662), cet orateur de premier ordre fait montre, outre d’une maîtrise parfaite de la langue écrite, d’une connaissance profonde de l’œuvre de celui qu’il nomme le « divin Dédale », sur qui il apportera des vues tout à fait nouvelles. Ce texte remarquable lui vaut d’être considéré comme le premier critique hispano-américain. Pedro de Peralta Barnuevo (1663-1743), son compatriote, est aussi un champion du gongorisme dans son poème épique Lima fundada (1732). Erudit au savoir encyclopédique, il ne dédaignera pas non plus de sacrifier à la mode versificatrice : on lui doit un poème dédié au vice-roi où il emploie exclusivement la voyelle a ! L’influence du gongorisme se fera également sentir chez un autre érudit, le polygraphe mexicain Carlos de Sigüenza y Góngora (1645-1700), neveu du poète cordouan et auteur du Triunfo parténico (1683) ; elle se prolongera jusqu’au milieu du xviiie s. Mais ce siècle de raffinement et de préciosité va aussi produire un écrivain d’une tout autre race, Juan del Valle Caviedes (v. 1652 - v. 1695), le grand poète populaire de Lima. Modeste boutiquier qui sombrera dans l’alcoolisme, celui-ci est, à l’instar de Quevedo*, le peintre impitoyable de la société de son temps. Dédiant son Diente del Parnaso « à la Mort, impératrice des médecins », ce contemporain de Molière s’en prend particulièrement à la gent médicale : la satire, l’ironie, la caricature, si rares dans les lettres hispano-américaines, se donnent ici libre cours.