Herriot (Édouard)
Homme politique français (Troyes 1872 - Saint-Genis-Laval, Rhône, 1957).
Ce n’est certes pas l’exercice du pouvoir qui a rendu célèbre Édouard Herriot : il ne passa que peu de temps au gouvernement. En revanche, son nom s’attache à trois postes qu’il marqua de sa forte personnalité : la mairie de Lyon, qu’il occupa un demi-siècle et où il se rendait régulièrement chaque semaine, la présidence de la Chambre et celle du parti radical, groupement dont il fit entre les deux guerres le pivot de la République.
Édouard Herriot fut avant tout « le président » ; c’est par centaines que l’on peut compter les sociétés, les banquets, les congrès qu’il présida. Présider était pour lui un plaisir et il exprimait ce plaisir au cours d’une intervention impatiemment attendue de l’assistance, que la magie du verbe de l’orateur charmait et enthousiasmait tour à tour ; ménageant savamment ses effets, pointant du doigt, écartant tel argument d’un ample mouvement du bras, accompagnant son propos de mimiques appropriées du visage, Herriot traitait avec brio de tous les sujets, faisant jaillir opportunément de sa prodigieuse mémoire le fait précis ou la citation indispensable.
Physiquement, Édouard Herriot était une force de la nature, mais sa massivité n’allait pas sans grâce : une tête puissante couronnée de cheveux drus, le regard pénétrant sous des sourcils épais, la moustache courte soulignant la bouche charnue.
Le peuple français se reconnaissait en lui : d’un appétit gargantuesque, mais fin gourmet, il appréciait la bonne cuisine et les bons vins. Peu soucieux de protocole, la tenue vestimentaire négligée, la pipe à la bouche, il écoutait avec une humeur égale les requêtes des humbles et les hommages des notables. Herriot se sentait « peuple » : monté aux honneurs par le travail et non par la fortune, il méprisait l’argent, qui corrompt, et pratiquait l’honnêteté en politique. Pour ne pas renier la signature de la France à l’égard des États-Unis, il quitta le pouvoir en 1932, et ce geste frappa l’imagination populaire. Il pensait que la culture ne peut être l’apanage d’une élite : ouvrir les arcanes du savoir à tous (école unique), démocratiser l’enseignement secondaire (gratuité, 1927), développer l’enseignement technique afin de créer un humanisme moderne fondé sur la culture scientifique, et finalement attacher la jeunesse à la République, tels sont ses soucis au ministère de l’Instruction publique (1926-1928).
Herriot s’assimile le « Français moyen » qui vote radical, le petit propriétaire, l’artisan, le commerçant soucieux d’égalitarisme et méfiant à l’égard des puissances d’argent. Entre les deux guerres, il apparaît véritablement comme l’oracle de la République.
Pour lui, la démocratie est le gouvernement idéal, qui protège les libertés du citoyen définies dans la déclaration de 1789. À cet idéal de liberté s’accroche un idéal de progrès : la démocratie se doit d’être sociale (mais non socialiste et dirigiste). Enfin, vertu républicaine à laquelle il tient par-dessus tout, la laïcité assure le respect des consciences ; Herriot est laïque avec une pointe de sectarisme (affaire de l’ambassade du Vatican, politique antireligieuse du Cartel), ce qui ne l’empêche pas d’admirer Pascal et l’humanisme chrétien et d’entretenir d’excellentes relations avec l’Église de Lyon.
Il est méfiant à l’égard de tout bonapartisme. Il s’oppose à Millerand en 1923, aux décrets-lois de Caillaux en 1926, aux projets autoritaires de Doumergue en 1934.
À l’instar des Jacobins de 1793, Herriot allie l’amour de la liberté à l’amour de la patrie : la patrie, il la sent dans les paysages chers à son cœur, son village champenois, Lyon, sa ville d’adoption. Sa patrie, il veut la protéger du danger allemand, et pour cela il se fait, à la S. D. N., le porte-parole de la sécurité collective, en vain. Alors il rallie l’U. R. S. S. à la France (1925) et s’efforce de maintenir l’amitié américaine (1932). La Seconde Guerre mondiale sera pour lui une épreuve dont il sortira marqué physiquement et moralement.
Redevenu président de la Chambre (1947), il incarne de nouveau la tradition démocratique, et l’on se tourne vers lui comme vers les augures. En 1954, il intervient vigoureusement contre la C. E. D. (Communauté européenne de défense), et le projet est repoussé. Cependant, il connaît peu les nouvelles générations de parlementaires, et les conditions politiques ne sont plus les mêmes qu’autrefois. De plus, sa santé s’altère gravement.
En 1946, son élection à l’Académie française lui apporte une immense satisfaction. Son œuvre littéraire, son universelle culture justifiaient pleinement cette distinction, couronnement d’une carrière déjà bien remplie.
P. M.
➙ Cartel des gauches / Radicalisme / République (IIIe) / République (IVe).
J. Louis-Antériou et J.-J. Baron, Édouard Herriot au service de la République (Éd. du Dauphin, 1957). / H. Besseige, Herriot parmi nous (Magnard, 1960). / M. Soulié, la Vie politique d’Édouard Herriot (A. Colin, 1962). / P. O. Lapie, Herriot (Fayard, 1967).
La carrière d’Édouard Herriot
1891-1893Élève à l’École normale supérieure.
1893Agrégé des lettres.
1896Professeur au lycée Ampère. Il sera chargé d’un cours à la faculté des lettres de Lyon.
1904Docteur ès lettres (thèse sur Madame Récamier et ses amis).
1905-1955Maire de Lyon (avec interruption de déc. 1940 à 1945).
1910Conseiller général du Rhône.
1912-1919Sénateur du Rhône.
décembre 1916 - mars 1917Ministre des Travaux publics, des transports et du ravitaillement (6e cabinet Briand).
1919-1957Président du parti radical (avec interruptions de 1926 à 1931 et de 1936 à 1945).
1919-1940Député du Rhône.
1923Herriot contre Alexandre Millerand (affaire du discours d’Évreux, oct. 1923).
11 mai 1924Triomphe du Cartel des gauches aux élections législatives.
14 juin 1924Premier cabinet Herriot.
21 juin 1924Conférence des Chequers (Londres).
16 juillet - 16 août 1924Conférence de Londres sur la sécurité collective.
septembre 1924Herriot propose la sécurité collective à la S. D. N. (protocole de Genève).
octobre 1924Reconnaissance de l’U. R. S. S. par la France.
10 avril 1925Chute du cabinet Herriot (le « Mur d’argent »). Édition de Dans la forêt normande.
1925-1928Herriot président de la Chambre des députés.
17 juillet 1926Herriot contre le projet Caillaux des décrets-lois.
19-21 juillet 1926Deuxième cabinet Herriot, qui n’obtient pas la majorité lors de sa présentation à la Chambre.
juillet 1926 - novembre 1928Ministre de l’Instruction publique et des beaux-arts (4e cabinet Poincaré). Il propose le « tronc commun » et la gratuité de l’enseignement secondaire.
3 juin - 14 décembre 1932Troisième cabinet Herriot. Conférence de Lausanne. Affaire des dettes américaines.
1934-1936Herriot est ministre d’État des cabinets G. Doumergue, P. E. Flandin, F. Bouisson, P. Laval. Il s’oppose aux projets « autoritaires » de Doumergue et conseille Laval dans sa politique éthiopienne.
4 juin 1936 - 9 juillet 1940Président de la Chambre des députés. Le 10 juillet 1940, à Vichy, il s’abstient dans le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Édition de Lyon n’est plus.
novembre 1942 - août 1944Herriot est interné en France.
septembre 1944 - avril 1945Herriot est déporté à Babelsberg (près de Potsdam). Il est libéré par l’armée rouge.
1946Herriot élu à l’Académie française au fauteuil de Mgr Baudrillart.
1947-1955Président de l’Assemblée nationale.
30 août 1954Herriot intervient dans le débat de la C. E. D., pour faire repousser le projet.
