Henri le Navigateur (suite)
Faut-il faire de ce prince le candidat d’une noblesse qui voulait se tailler des fiefs outre-mer ? La colonisation de Madère et des Açores semblerait confirmer ces vues. Mais l’infant apparaît aussi comme un entrepreneur habile qui s’était réservé une part des prodigieux bénéfices offerts par le commerce africain. Son frère Pierre le Voyageur (dom Pedro, duc de Coimbra) aurait été plutôt le candidat de la bourgeoisie, favorable à une colonisation pacifique et au commerce. Il est significatif que les expéditions les plus nombreuses coïncident avec la régence de Pierre (1438-1448). Le rôle que celui-ci a joué dans ce domaine est quelque peu oublié ; il est vrai que ses activités ont été fort dispersées. Voyageur, Pierre a parcouru le monde méditerranéen ; deuxième fils, il a dû assumer un rôle politique que le rang du prince Henri ne lui permettait pas de jouer. Aussi ce dernier a-t-il pu se consacrer entièrement à l’épopée marine, et le surnom qui lui a été donné est la juste récompense du rôle joué.
Pourtant, le prince Henri reste plus un homme de guerre qu’un marin : on le trouve en 1437 aux côtés de dom Fernando (1402-1443) lors de la tentative malheureuse sur Tanger ; en 1458, il conseille son neveu Alphonse V l’Africain lors de l’expédition contre Alcazarquivir.
Mais c’est aux expéditions maritimes que son nom reste attaché, car il a su réunir, préparer, lancer les flottes qui firent du Portugal la première puissance impériale. Quels étaient ses buts ? Religieux et mystiques ? Il a peut-être voulu suppléer une chrétienté méditerranéenne défaillante et une papauté incapable de mener la croisade contre l’islām. On rejoint là des mobiles politiques : pendant longtemps, ses capitaines ont eu pour mission de retrouver le Prêtre-Jean, ce monarque chrétien légendaire qui aurait permis de prendre en tenaille l’islam occidental.
Les mobiles économiques ont sûrement joué aussi ; peut-être aussi la curiosité scientifique. Quels que soient le ou, plutôt, les buts poursuivis, cet homme d’action a su devenir l’initiateur et le coordinateur d’une politique d’expansion de grande envergure. Dans sa résidence de Sagres, Henri réunit une véritable académie d’astronomes, de cartographes et de marins expérimentés. Les renseignements recueillis sont exploités, et de nouvelles expéditions soigneusement préparées. L’infant met au service de cette politique ses immenses revenus : les ressources de l’ordre du Christ — les successeurs des Templiers au Portugal —, dont il est l’administrateur, puis les bénéfices, directs ou indirects (vente de licences, quint), tirés du commerce avec l’Afrique noire.
On pourra objecter que les deux tiers des expéditions-ont été faites en dehors de lui, par des particuliers ou par son frère Pedro. Mais il faut noter que l’esprit de ces expéditions est totalement différent : dans ce dernier cas, on recherche les possibilités commerciales de zones déjà reconnues ; mais c’est aux flottes du prince Henri qu’incombe la rude tâche de découvrir des mondes nouveaux. Ses capitaines, portugais comme Gil Eanes, Nuno Tristão ou Diogo Gomes, italiens comme Alvise Ca’ da Mósto, explorent méthodiquement les côtes africaines. En 1460, quand meurt le prince Henri, ils ont déjà atteint la Sierra Leone, près de l’actuelle Freetown.
Certes, beaucoup d’efforts ont été perdus, voire gaspillés, malgré la grande prudence de l’infant ; mais celui-ci a l’excuse d’avoir tenté l’aventure, alors que nombre de ses compatriotes se sont contentés de suivre ses traces. Trois ans après sa mort, la factorerie qu’il a créée à Lagos est transférée à Lisbonne, en attendant que la royauté elle-même prenne l’affaire en main. Même si l’homme peut prêter à la critique, l’ampleur de la tâche accomplie justifie la place que tient dans l’histoire portugaise ce personnage de légende.
J. M.
➙ Aviz (dynastie d’) / Empire colonial portugais / Portugal.
Comemorações do 5 centenário da morte do Infante Dom Henrique (Lisbonne, 1961-1963 ; 4 vol.).