Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Henri le Navigateur (suite)

Faut-il faire de ce prince le candidat d’une noblesse qui voulait se tailler des fiefs outre-mer ? La colonisation de Madère et des Açores semblerait confirmer ces vues. Mais l’infant apparaît aussi comme un entrepreneur habile qui s’était réservé une part des prodigieux bénéfices offerts par le commerce africain. Son frère Pierre le Voyageur (dom Pedro, duc de Coimbra) aurait été plutôt le candidat de la bourgeoisie, favorable à une colonisation pacifique et au commerce. Il est significatif que les expéditions les plus nombreuses coïncident avec la régence de Pierre (1438-1448). Le rôle que celui-ci a joué dans ce domaine est quelque peu oublié ; il est vrai que ses activités ont été fort dispersées. Voyageur, Pierre a parcouru le monde méditerranéen ; deuxième fils, il a dû assumer un rôle politique que le rang du prince Henri ne lui permettait pas de jouer. Aussi ce dernier a-t-il pu se consacrer entièrement à l’épopée marine, et le surnom qui lui a été donné est la juste récompense du rôle joué.

Pourtant, le prince Henri reste plus un homme de guerre qu’un marin : on le trouve en 1437 aux côtés de dom Fernando (1402-1443) lors de la tentative malheureuse sur Tanger ; en 1458, il conseille son neveu Alphonse V l’Africain lors de l’expédition contre Alcazarquivir.

Mais c’est aux expéditions maritimes que son nom reste attaché, car il a su réunir, préparer, lancer les flottes qui firent du Portugal la première puissance impériale. Quels étaient ses buts ? Religieux et mystiques ? Il a peut-être voulu suppléer une chrétienté méditerranéenne défaillante et une papauté incapable de mener la croisade contre l’islām. On rejoint là des mobiles politiques : pendant longtemps, ses capitaines ont eu pour mission de retrouver le Prêtre-Jean, ce monarque chrétien légendaire qui aurait permis de prendre en tenaille l’islam occidental.

Les mobiles économiques ont sûrement joué aussi ; peut-être aussi la curiosité scientifique. Quels que soient le ou, plutôt, les buts poursuivis, cet homme d’action a su devenir l’initiateur et le coordinateur d’une politique d’expansion de grande envergure. Dans sa résidence de Sagres, Henri réunit une véritable académie d’astronomes, de cartographes et de marins expérimentés. Les renseignements recueillis sont exploités, et de nouvelles expéditions soigneusement préparées. L’infant met au service de cette politique ses immenses revenus : les ressources de l’ordre du Christ — les successeurs des Templiers au Portugal —, dont il est l’administrateur, puis les bénéfices, directs ou indirects (vente de licences, quint), tirés du commerce avec l’Afrique noire.

On pourra objecter que les deux tiers des expéditions-ont été faites en dehors de lui, par des particuliers ou par son frère Pedro. Mais il faut noter que l’esprit de ces expéditions est totalement différent : dans ce dernier cas, on recherche les possibilités commerciales de zones déjà reconnues ; mais c’est aux flottes du prince Henri qu’incombe la rude tâche de découvrir des mondes nouveaux. Ses capitaines, portugais comme Gil Eanes, Nuno Tristão ou Diogo Gomes, italiens comme Alvise Ca’ da Mósto, explorent méthodiquement les côtes africaines. En 1460, quand meurt le prince Henri, ils ont déjà atteint la Sierra Leone, près de l’actuelle Freetown.

Certes, beaucoup d’efforts ont été perdus, voire gaspillés, malgré la grande prudence de l’infant ; mais celui-ci a l’excuse d’avoir tenté l’aventure, alors que nombre de ses compatriotes se sont contentés de suivre ses traces. Trois ans après sa mort, la factorerie qu’il a créée à Lagos est transférée à Lisbonne, en attendant que la royauté elle-même prenne l’affaire en main. Même si l’homme peut prêter à la critique, l’ampleur de la tâche accomplie justifie la place que tient dans l’histoire portugaise ce personnage de légende.

J. M.

➙ Aviz (dynastie d’) / Empire colonial portugais / Portugal.

 Comemorações do 5 centenário da morte do Infante Dom Henrique (Lisbonne, 1961-1963 ; 4 vol.).

Henze (Hans Werner)

Compositeur allemand (Gütersloh 1926).


Après avoir, dès son jeune âge, travaillé la musique en autodidacte, il est en 1946 l’élève de Wolfgang Fortner à Heidelberg et subit la double influence de P. Hindemith et de I. Stravinski. La connaissance qu’il fait ensuite des œuvres de l’école de Vienne l’incline vers les méthodes dodécaphoniques, ainsi qu’en témoigne en 1947 son concerto de violon. L’année suivante, il s’initie auprès de René Leibowitz à la technique sérielle. Directeur du ballet au théâtre de Constance (1948-49), il est ensuite appelé à la tête du théâtre de Wiesbaden (1950-1953). En 1953, il se fixe à Ischia, en Italie.

Sa production embrasse tous les genres, mais ses ouvrages les plus importants et les plus personnels sont ses œuvres scéniques : Boulevard Solitude (1951), opéra où un texte parlé d’esprit surréaliste accompagné d’un montage de bruits ainsi qu’une musique de jazz voisinant avec des mélodies inspirées de Puccini et de Massenet composent, au travers d’une trame dodécaphonique, un ensemble volontairement morbide. L’Idiot (1952), ballet d’après Dostoïevski, relève également de cette manière composite et expressionniste ; il en est de même de l’Interminable Chemin dans la demeure de Natascha Ungeheuer, créé à Rome en mai 1971 et accueilli à Berlin par une tempête de protestations. Cet opéra, écrit pour dix-sept instrumentistes sur un poème de l’écrivain chilien Gaston Salvatore, se présente comme un manifeste politique qui stigmatise une certaine bourgeoisie se targuant d’idées révolutionnaires.

Dans Élégie pour de jeunes amants (1961), un orchestre très aéré (piano, harpe, mandolines et percussion) laisse pleine liberté à la voix de s’épanouir en luxuriantes vocalises. Là encore, l’esprit surréaliste exploite, non sans charme, l’indécision entre le sérieux et l’ironie, entre la fiction et la réalité.

En dépit d’une production assez inégale, le talent de mélodiste et de coloriste de Henze fait de ce musicien l’un des compositeurs actuels les plus joués en Allemagne.