Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

hellénistique (monde) (suite)

Si, durant la guerre antiochique, Philippe V s’était montré fidèle aux traités, son fils Persée (roi de 179 à 168), dès son avènement, s’attacha à rendre à la Macédoine son prestige et sa puissance. Le sénat ne pouvait l’accepter : en juin 168 av. J.-C., Paul Émile, à Pydna, força la victoire ; en un peu plus d’une heure, il détruisit l’armée royale, qui laissait 25 000 morts sur le terrain et 10 000 prisonniers. La monarchie antigonide fut abolie, et le royaume macédonien, démembré en quatre républiques, fut contraint à la « liberté » romaine. En cette année 168, Antiochos IV fut arrêté par C. Popilius Laenas dans son invasion de l’Égypte (alors qu’il tenait la victoire, il a suffi au légat arrivé devant Alexandrie d’énoncer le désir de Rome de protéger l’Égypte pour qu’Antiochos fût stoppé dans son élan).

Mais Rome n’était pas encore une puissance qui attirait la sympathie. Partout en Grèce, depuis qu’après Pydna s’était tenue une commission sénatoriale chargée de réorganiser le pays, sévissait le gouvernement des riches. Il en était de même dans les républiques macédoniennes, où l’on s’était décidé à rouvrir les mines d’argent (dont Rome avait, en 167, interdit l’exploitation pour que le pays ne fût pas livré aux ambitions des financiers italiens).

En 149-148, Andriscos, un aventurier qui se disait fils de Persée, réussit à s’emparer de la Macédoine en s’appuyant sur le petit peuple, à la grande inquiétude des possédants, qui virent avec plaisir ses défaites devant Rome, garante d’une certaine paix sociale : la Macédoine devint une province romaine (148) liée à l’Illyrie ; Rome était désormais directement responsable du destin d’une partie du monde grec.

Dans le Péloponnèse, certains Achéens aspiraient à rejeter la tutelle où Rome les maintenait, quelque profit que pût en tirer la confédération. En 146, Critolaos et Diaios, s’appuyant sur le remuant peuple de Corinthe, firent décider la guerre ; Rome n’était pas fâchée, d’ailleurs, d’en finir avec la puissance achéenne, trop fière de ses traditions et source de perpétuelles complications. Lucius Mummius n’eut aucun mal à l’écraser. Corinthe paya le prix de ce dernier sursaut d’indépendance de la Grèce ; elle fut détruite comme venait de l’être Carthage ; cet exemple assurait la paix en Grèce, devenue de fait, sinon en droit, une possession de Rome.

En Asie, la politique de Rome n’était guère plus séduisante. Rhodes fut punie pour avoir voulu s’entremettre entre Rome et Persée, et fut ruinée par la concurrence de Délos, devenue en 166 un port franc. C’est de la bienveillance romaine que les rois de Pergame tenaient leur pouvoir ; le dernier d’entre eux, Attalos III (138-133 av. J.-C.), choisit de lui léguer son royaume, pensant que la force seule des légions pourrait y garantir le statu quo social. La révolution qu’il craignait éclata à sa mort, en 133 ; Aristonicos, qui aurait dû lui succéder, souleva le peuple, les habitants des campagnes surtout, leur faisant espérer le bonheur en la « cité du soleil », mais sa défaite fut rapide. Le royaume de Pergame devint la province romaine d’Asie. C. Gracchus régla la façon dont on y percevrait l’impôt : la dîme fut affermée à des publicains, dont les agents mirent vite la province en coupe réglée. Ce fut Mithridate* VI Eupator, roi du Pont* (111-63 av. J.-C.), le dernier grand souverain d’Asie, qui se chargea de rappeler aux Romains que les Grecs n’étaient pas prêts à tous les esclavages. En 88, il conquit la province d’Asie sans coup férir ; les Grecs avaient, à l’annonce de son arrivée, chassé ou exécuté les Italiens résidant chez eux. Sur sa lancée, il envahit même l’Attique. Lucius Cornelius Sulla réussit à reprendre Athènes et la Grèce ; la légion continuait d’être invincible. En 85, passé en Asie, ce dernier put signer une paix qui renvoyait le roi dans son pays. L’exploitation de la province continua, déshonorant la République romaine.

La conquête de l’Orient tout entier n’était plus qu’une question de temps ; les royaumes étaient si ébranlés qu’il suffisait souvent d’attendre qu’ils s’effondrent d’eux-mêmes.

Licinius Lucullus et Pompée vinrent d’abord à bout de Mithridate, ce qui permit de régler définitivement le problème anatolien. La Syrie tomba aux mains de Pompée et devint une province romaine en 64-63 av. J.-C. Les Séleucides n’y régnaient plus en fait que dans leur capitale ; le reste de ce qui avait été le noyau de leur immense royaume était déchiré entre les ambitions des cités, des dynasties indigènes. Les uns et les autres avaient beaucoup plus de respect pour le roi arsacide (voisin puissant) que pour leur suzerain. Il convenait donc que le Romain s’installât pour qu’un pouvoir trop fort ne le fît avant lui.

Rome, désormais, possédait comme provinces la Cilicie, la Bithynie, le Pont, la Syrie, mais Pompée avait entouré ces territoires sujets d’une foule d’États vassaux, ce qui permettait d’économiser les forces romaines, car ces États pouvaient jouer un rôle dans la défense des territoires de l’Empire. Surtout, cela donnait à Pompée une situation peu commune : patron de tant de rois qui lui devaient leur trône, quelle n’était sa grandeur ! L’Égypte* de Cléopâtre* tomba à la bataille d’Actium (31 av. J.-C.).

Le monde hellénistique était désormais tout entier aux mains de Rome, qui n’eut guère de peine à y imposer son autorité et à l’y maintenir. Cette soumission ne fut pourtant pas une rupture avec le passé, car Rome assuma en fait le pouvoir que les rois exerçaient sans bouleverser les structures et apporta la paix.

J.-M. B.

➙ Alexandre le Grand / Antigonides / Babylone / Égypte / Lagides / Pergame / Séleucides.

 M. Holleaux, Rome, la Grèce et les monarchies hellénistiques au iiie si av. J.-C., 273-205 (De Boccard, 1921) ; Études d’épigraphie et d’histoire grecque (De Boccard, 1938-1957 ; 6 vol.). / W. W. Tarn, Hellenistic Civilization (Londres, 1930 ; trad. fr. la Civilisation hellénistique, Payot, 1936). / T. Frank et coll., An Economic Survey of Ancient Rome (Baltimore, 1933 ; 4 vol.). / C. Préaux, l’Économie royale des Lagides (Office de publicité, Bruxelles, 1939) ; les Grecs en Égypte d’après les archives de Zénon (Office de publicité, Bruxelles, 1953). / A. H. M. Jones, The Greek City from Alexander to Justinian (Oxford, 1940). / M. Rostovtzeff, The Social and Economic History of the Hellenistic World (Oxford, 1941 ; 3 vol.). / E. Kornemann, Weltgeschichte des Mittelmeer-Raumes von Philipp II bis Muhammed, t. I (Munich, 1948 ; rééd., 1967). / D. Magie, Roman Rule in Asia Minor (Princeton, 1950 ; 2 vol.). / E. Badian, Foreign Clientelae, 264-70 B. C. (Oxford, 1958) ; Roman Imperialism in the Late Republic (Oxford, 1958 ; 2e éd., 1968). / V. Ehrenberg, The Greek State (Londres, 1960 ; nouv. éd., 1969). / P. Petit, la Civilisation hellénistique (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1962 ; 3e éd., 1967). / E. Will, Histoire politique du monde hellénistique, 323-30 av. J.-C. (Berger-Levrault, 1966). / T. Liebmann-Frankfort, la Frontière orientale dans la politique extérieure de la République romaine (Palais des académies, Bruxelles, 1969). / P. Lévêque, le Monde hellénistique (A. Colin, coll. « U 2 », 1969). / J. Charbonneaux, R. Martin et F. Villard, Grèce hellénistique (Gallimard, 1970). / P. Grimal et coll., la Civilisation hellénistique et la montée de Rome (Bordas, 1971).