Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Hegel (Georg Wilhelm Friedrich) (suite)

Mais l’inconscient est exclusion, et bientôt Hegel va pousser sa recherche de la totalité jusqu’au point où il devra se séparer de Schelling. En ce point, qu’il baptise notion, s’opère, réalisant l’universel concret, l’union du concept et de la vie. En lui la raison, unie à l’amour, saura enfin accueillir ce que les Aufklärer lui avaient fait rejeter : le cœur, la diversité, les mystères religieux.

Si la tentative kantienne puis fichtéenne d’échapper au dualisme du sujet et de l’objet était louable, elle avorte parce qu’elle consent à le faire au prix de l’abandon d’un de ses termes, l’objet. Mais le dépassement de la philosophie de la subjectivité en une philosophie de l’identité n’est pas suffisant : Schelling n’échappe au dualisme que par la confusion de ses termes. Le véritable monisme exige au contraire que soient conservés les termes antinomiques qui, au lieu d’en constituer les impasses, sont maintenant les ressorts de la raison. Ce mouvement où apparaît le geste dialectique hégélien de l’Aufhebung (qui dépasse en conservant) va rendre de nouveau possible la philosophie, en tant que science de cet absolu auquel l’Aufklärung (relativiste et sceptique) avait renoncé. Cette philosophie, animée par les antinomies, pourra opérer la réconciliation de la culture et de la vie, du constat de séparation desquelles elle était sortie.


Les livres

• La Phénoménologie de l’esprit (Phänomenologie des Geistes). Ce premier livre, à la rédaction duquel Hegel s’est mis si brusquement qu’il en donnera les chapitres à l’imprimeur, morceau par morceau, au fur et à mesure de leur rédaction, pose plusieurs problèmes à ses commentateurs, comme il n’a d’ailleurs pas cessé de le faire à son auteur lui-même. Quand celui-ci s’est mis au travail, il pensait écrire une « introduction », qui s’est déjà transformée, à la publication, en « première partie du système de la science ». Or, la seconde édition, préparée par Hegel à la veille de sa mort, supprime cette précision. Entre-temps, en effet, la Phénoménologie de l’esprit était devenue une simple rubrique du système (3.1.2.). Mais, dans ce déplacement de l’extérieur, puis du seuil à l’intérieur du système, elle sera amputée de trois chapitres qu’elle développait initialement : rattachée à l’esprit subjectif, elle abandonnera ceux qui traitaient de l’esprit, de la religion et du savoir absolu, qui seront alors répartis entre l’esprit objectif et l’esprit absolu. Ces difficultés que rencontre la localisation de la phénoménologie dans l’ensemble de la pensée hégélienne situent ce qui est sans doute la difficulté majeure de cette dernière : la conciliation de l’exigence de dépassement continu impliquée par une philosophie qui identifie la vie de l’esprit au devenir historique avec l’exigence de clôture, dont on ne voit pas comment ce qui se présente comme système achevé du savoir absolu pourrait l’éviter.

La Phénoménologie est le récit de ce que l’on pourrait appeler la « vocation philosophique » de la conscience ; elle retrace les différentes étapes d’une éducation qui la fait passer de l’état initial de conscience empirique limitée à la pure sensation à l’état final de détentrice du savoir absolu. Éducation qui permettra à la conscience individuelle de devenir, en tant que conscience de soi, conscience de l’esprit de son temps grâce à la médiation des moments de l’histoire universelle et du monde culturel au sein desquels elle se développe. Éducation qui de surcroît aura été celle-là même de Hegel, qui, depuis son enfance, est passé par les déchirements de la conscience malheureuse, ceux de la belle âme, etc., avant la réconciliation finale que son propre système réalise en tant qu’il serait le savoir absolu. Le livre se développe ainsi sur un triple plan : (a) itinéraire « autobiographique » de son auteur lui-même, il se propose (au lecteur) comme (b) un itinéraire type permettant l’accession d’une conscience empirique au savoir absolu, dans la mesure où (c) il est l’itinéraire de l’esprit objectif lui-même dans le cours historique du monde.

Toutefois, ce dernier plan est encore estompé : la Phénoménologie décrit le devenir de la conscience individuelle et ne peut en aucun cas être confondue avec une philosophie de l’histoire.

La conscience est le premier moment. Successivement conscience sensible, puis perceptive, entendement enfin, elle se caractérise par une passivité devant l’objet de qui elle attend la vérité : elle croit connaître autre chose qu’elle-même, mais ne rencontre en fait jamais qu’elle-même. Cette identité de l’objet et du sujet constitue le second moment, la conscience de soi, qui toutefois ne la pose plus sur le mode théorique mais la vit activement dans la dialectique du désir (le besoin qui conduit à l’assimilation de l’objet par le sujet qui s’en nourrit), puis passe à la lutte pour la reconnaissance des consciences de soi individuelles en tant que libres, laquelle aboutit aux rapports de domination et de servitude, et au désir d’une conscience de soi universelle. La raison est cet élément où se réconcilient singulier et universel. D’abord, avec la raison observante, la conscience découvre la raison comme réalité objective dans le monde, comme chose. Avec la raison active, elle veut comme sujet se retrouver elle-même dans l’être, et conduit au donquichottisme qui espère réaliser les désirs de son cœur malgré l’ordre du monde. L’individualité réelle en soi et pour soi, au contraire, ne place pas son but hors du monde (il est bien plutôt de s’y réaliser en utilisant ses lois au lieu de les détruire). Cette réconciliation de la conscience individuelle et de son Autre inaugure la seconde partie de la Phénoménologie ; la seule, remarque J. Hyppolite, à porter effectivement sur « l’esprit » au sens hégélien du terme, puisque jusqu’ici il n’a encore été question que de la conscience. L’esprit sera d’abord esprit vrai (objectif) dans la cité antique, travaillée par le conflit de deux lois : la loi humaine, ou civile, et la loi divine, ou familiale (cf. Antigone). Conflit qui, accentué avec le christianisme, aboutira à l’opposition de deux mondes (celui de la foi et celui de la science) jusqu’à ce que la Révolution française fasse régner de nouveau une loi unique : « Le ciel est descendu sur la terre. » Mais l’opposition se déplace et, au lieu d’être celle de deux lois, devient opposition à l’objectivité de la loi elle-même avec le moralisme de la « belle âme ». Pour elle, l’esprit n’est pas objet, mais sujet, il ne s’incarne donc pas dans l’État mais dans la religion, en attendant que la Philosophie réalise avec l’esprit absolu la synthèse de l’esprit objectif et de l’esprit subjectif (v. plus loin : Cours, 3 et 4).

• La Science de la logique (Wissenschaft der Logik). La Phénoménologie est la science pédagogique qui trace à la conscience le chemin du savoir absolu, science des moments nécessaires à la production de la vérité. La Logique est la science du vrai lui-même : non plus genèse, mais développement du savoir absolu.