Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Han Yu (suite)

La forme préférée de Han Yu est celle des courts essais : biographies, épitaphes, épîtres, rapports, requêtes, préfaces... Cette prose néo-classique, dont Han Yu restera avec son ami Liu Zongyuan (Lieou Tsong-yuan) le plus brillant représentant, sera considérée jusqu’à la fin des Qing (Ts’ing) comme parfaite. Pendant dix siècles, servant d’exemple à tous les lettrés, ce style littéraire est un des piliers de la continuité de la littérature savante chinoise. Même la poésie de Han Yu se ressent de son amour pour la prose. Malgré une grande recherche de termes rares, Han Yu transpose dans ses poèmes l’expression logique et didactique de ses essais littéraires. Il est avec Bo Juyi (Po Kiu-yi) le poète le plus renommé de l’ère yuanhe (yuan-ho). Par les sujets de ses poèmes, il annonce la poésie sociale et engagée des Song.

Pour lui, le mouvement de la prose antique n’est qu’un moyen d’exprimer une réforme profonde de la pensée. Han Yu réfute les théories de l’art pour l’art qui avaient cours jusqu’alors et prêche qu’il n’y a de vraie littérature qu’engagée : pas de littérature sans pensée, pas de bonne littérature sans pensée orthodoxe, pas d’orthodoxie en dehors du confucianisme. Il s’élève contre la culture aristocratique, toute vouée à la recherche du plaisir individuel. Pour lui, l’homme n’a de valeur qu’en tant qu’être social et se définit par sa position dans la hiérarchie de l’État, réplique de la hiérarchie familiale. Les relations par couple, empereur-sujet, père-fils, époux-épouse, doivent être scrupuleusement respectées. C’est pourquoi Han Yu lutte avec passion contre les philosophies taoïques et bouddhiques, qui, prêchant le statut individuel, détruisent l’ordre social et nient la cellule familiale.

Fervent partisan de la théorie confucéenne selon laquelle la littérature est un instrument au service du bon gouvernement, un moyen pour « enseigner » le Dao (Tao), ses œuvres ont un aspect didactique très prononcé. Ses essais les plus célèbres, Sur le vrai Dao, Discours sur les maîtres, À propos d’une relique de Bouddha, Sacrifice au crocodile, Origine de la concussion, sont des apologies du confucianisme. Dans son discours Sur la vraie Voie, il fait la distinction entre la Voie (Dao [Tao]) des confucéens, c’est-à-dire celle des anciens rois et sages qui pratiquaient les vertus d’humanité et de justice, et la Voie des taoïstes et des bouddhistes, qui mène à l’inaction et à l’anarchie. Mais son acharnement à dévoiler ce qu’il considère comme des superstitions lui fait parfois perdre le sens des nuances dans l’argumentation.

D. B.-W.

 Kouo Mojo, K’iu Yuan (Gallimard, 1957). / Ch’u Tz’u, The Songs of the South. An Ancient Chinese Anthology (Londres, 1959). / F. Tökei, Naissance de l’élégie chinoise (trad. du hongrois, Gallimard, 1967).

Haoussas ou Hausas

Ethnie qui occupe le nord du Nigeria et le sud du Niger (plus de 6 millions de personnes).


Cette ethnie occupe un pays de savanes peu boisées vers le nord, mais parcourues par des rivières forestières dans le sud. C’est une région au climat sec de novembre à mai, auquel succède une saison humide. Les migrations et l’activité économique et militaire des Haoussas ont provoqué des contacts étroits avec les Peuls* qui parcourent la même zone : un certain métissage des populations en est la conséquence. L’histoire des Haoussas est aussi liée à une pénétration profonde de l’islām. Ce phénomène a suscité une culture originale, qui connaît depuis longtemps une urbanisation importante et une vie commerciale particulièrement intense. Les capitales des émirats, comme Sokoto, Zaria, Kano, avaient, il y a plus d’un siècle, une population de plusieurs dizaines de milliers d’habitants.

L’ethnie haoussa est en effet organisée en un certain nombre d’États dirigés par une aristocratie peule qui a pris le pouvoir au début du xixe s. L’appareil politique central est monopolisé par les lignages nobles, dont les différentes branches sont souvent en compétition. La référence à la religion musulmane va de pair avec l’existence d’esclaves royaux. Mais l’essentiel de l’appareil politique est fondé sur des liens d’allégeance personnelle justifiés par des rapports de parenté ou de clientèle. Ces États sont découpés en un certain nombre d’unités territoriales dont le centre est une ville fortifiée. Ces villes sont le symbole à la fois du pouvoir politique, de l’organisation économique et sociale et de la religion officielle. C’est là que se tiennent les grands marchés, où s’écoule la production d’un artisanat très élaboré et très spécialisé. C’est là que sont érigées les grandes mosquées. L’administration des différentes régions de l’État est assurée par des chefs d’enclos, qui lèvent les impôts, exercent le pouvoir judiciaire et maintiennent l’ordre. Leurs fonctions ne sont pas automatiquement héréditaires.

Mais l’originalité de la société haoussa réside dans sa stratification sociale complexe et relativement rigide. Cette stratification est fondée sur des groupes fonctionnels et professionnels à la spécialisation très précise. Cette production artisanale s’intègre dans une économie internationale où prédominent les échanges commerciaux avec les pays du nord du Sahara. Par ailleurs, les Haoussas ont connu et pratiqué jusqu’à la fin du xixe s. un esclavage dans le cadre de la production agricole. Les cultures essentielles sont celles du mil, du maïs, de l’arachide, du riz et de certains légumes (pois). Le surplus de cette production est échangé avec les Peuls, qui fournissent viande, lait et engrais grâce à leurs bovins. En effet, les Haoussas pratiquent plutôt l’élevage des moutons, des chèvres et des ânes. Le cheval a une fonction militaire et de prestige. La chasse est peu répandue.

L’organisation familiale a été plus ou moins perturbée par l’intrusion de l’islām. La structure clanique a disparu. Le système de parenté est bilinéaire malgré le système d’appellations unilinéaire. Les villages non musulmans se définissent encore par la patrilinéarité et l’exogamie. La résidence est virilocale, mais les frères mariés peuvent rester chez leur père. Les groupes domestiques (gandu) ont une base agnatique. Il existe plusieurs types de mariages, auxquels correspondent des degrés différents de « cloîtrement » des femmes. La loi musulmane autorise le mariage avec quatre femmes. Mais celles-ci sont exclues des travaux agricoles et se consacrent à un artisanat domestique. La possibilité du divorce existe. Les femmes devenues indépendantes se livrent parfois à la prostitution, qui permet d’acquérir et de manifester autonomie financière et prestige culturel. Les prostituées forment en effet une partie des prêtresses d’un culte de possession très répandu et assez lucratif, le bori. Ce culte est essentiellement pratiqué par les bouchers, les chasseurs, les forgerons, les chanteurs. On y retrouve un certain nombre de dieux de la religion antéislamique, et, suivant la maladie ou l’infortune, la possédée incarne tel ou tel dieu. La fonction sociale de ce culte est très importante dans la mesure où il permet à des groupes considérés comme marginaux ou inférieurs d’obtenir une certaine liberté compatible avec l’islām.