Han Yu (suite)
La forme préférée de Han Yu est celle des courts essais : biographies, épitaphes, épîtres, rapports, requêtes, préfaces... Cette prose néo-classique, dont Han Yu restera avec son ami Liu Zongyuan (Lieou Tsong-yuan) le plus brillant représentant, sera considérée jusqu’à la fin des Qing (Ts’ing) comme parfaite. Pendant dix siècles, servant d’exemple à tous les lettrés, ce style littéraire est un des piliers de la continuité de la littérature savante chinoise. Même la poésie de Han Yu se ressent de son amour pour la prose. Malgré une grande recherche de termes rares, Han Yu transpose dans ses poèmes l’expression logique et didactique de ses essais littéraires. Il est avec Bo Juyi (Po Kiu-yi) le poète le plus renommé de l’ère yuanhe (yuan-ho). Par les sujets de ses poèmes, il annonce la poésie sociale et engagée des Song.
Pour lui, le mouvement de la prose antique n’est qu’un moyen d’exprimer une réforme profonde de la pensée. Han Yu réfute les théories de l’art pour l’art qui avaient cours jusqu’alors et prêche qu’il n’y a de vraie littérature qu’engagée : pas de littérature sans pensée, pas de bonne littérature sans pensée orthodoxe, pas d’orthodoxie en dehors du confucianisme. Il s’élève contre la culture aristocratique, toute vouée à la recherche du plaisir individuel. Pour lui, l’homme n’a de valeur qu’en tant qu’être social et se définit par sa position dans la hiérarchie de l’État, réplique de la hiérarchie familiale. Les relations par couple, empereur-sujet, père-fils, époux-épouse, doivent être scrupuleusement respectées. C’est pourquoi Han Yu lutte avec passion contre les philosophies taoïques et bouddhiques, qui, prêchant le statut individuel, détruisent l’ordre social et nient la cellule familiale.
Fervent partisan de la théorie confucéenne selon laquelle la littérature est un instrument au service du bon gouvernement, un moyen pour « enseigner » le Dao (Tao), ses œuvres ont un aspect didactique très prononcé. Ses essais les plus célèbres, Sur le vrai Dao, Discours sur les maîtres, À propos d’une relique de Bouddha, Sacrifice au crocodile, Origine de la concussion, sont des apologies du confucianisme. Dans son discours Sur la vraie Voie, il fait la distinction entre la Voie (Dao [Tao]) des confucéens, c’est-à-dire celle des anciens rois et sages qui pratiquaient les vertus d’humanité et de justice, et la Voie des taoïstes et des bouddhistes, qui mène à l’inaction et à l’anarchie. Mais son acharnement à dévoiler ce qu’il considère comme des superstitions lui fait parfois perdre le sens des nuances dans l’argumentation.
D. B.-W.
Kouo Mojo, K’iu Yuan (Gallimard, 1957). / Ch’u Tz’u, The Songs of the South. An Ancient Chinese Anthology (Londres, 1959). / F. Tökei, Naissance de l’élégie chinoise (trad. du hongrois, Gallimard, 1967).