Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Haïti (république d’) (suite)

L’occupation américaine

Sous la pression, un traité répondant aux vœux américains est signé. Une nouvelle Constitution, rédigée par Franklin D. Roosevelt, permet aux étrangers d’acquérir des terres et ratifie les actes de l’occupant militaire. Les « marines » organisent un plébiscite et dissolvent le Congrès, qui protestait. Les Américains contrôlent les finances, les douanes, les forces de l’ordre, la santé, les travaux publics et l’agriculture. Ils mettent trois ans (1915-1918) à réduire l’insurrection paysanne des « Cacos » de Charlemagne Pérault et de Benoît Batraville, dans le nord du pays. Pour cela, il leur faut tuer 15 000 rebelles et installer des camps de concentration. À ce prix, l’ordre est assuré, et le pays connaît une véritable amélioration sanitaire, scolaire et économique. Cela se fait en établissant des plantations modernes avec des capitaux américains. Au bout du compte, le paysan y perd sa terre et sa dignité d’homme libre, protégée jusque-là par le désordre politique et le chaos administratif (l’absence de cadastre notamment). Avec le cadastre mis au point par les Américains, le paysan libre devient un squatter sans titre, qui n’a plus qu’à s’embaucher sur les plantations.


L’étape contemporaine : depuis 1934

En 1934, conséquence de la politique de « bon voisinage » de Roosevelt, se termine le retrait graduel des « marines », et la vie politique haïtienne reprend son cours. L’intervention n’a pu mettre fin aux vieilles pratiques — régimes autoritaires, coups d’État militaires, crises révolutionnaires (1946 et 1957) —, et aujourd’hui Haïti continue à détenir les tristes records de la misère en Amérique. L’armée fait et défait les présidents Sténio Vincent, Elie Lescot, Dumarsais Estimé et Paul Magloire. Choisi aussi par l’armée, François Duvalier (1909-1971) réussit à fausser compagnie à ses parrains militaires et mulâtres pour se faire élire président en 1957 (président à vie en 1964) et rester maître absolu d’Haïti jusqu’à sa mort : son fils Jean-Claude Duvalier (né en 1951) lui succédera alors. Réincarnation de Dessalines et de Soulouque, souverain sans le titre, « Papa Doc » met au pas son armée en organisant la milice des « tontons macoutes », Noirs recrutés à la campagne, et se gagne la sympathie des ruraux par son exaltation de la négritude et la persécution des mulâtres. L’heure de la revanche noire semble avoir sonné. Ne verra-t-on pas le président Duvalier relancer le culte vaudou et obtenir de Rome la création d’un haut clergé noir ? Ne le verra-t-on pas tenir tête à l’administration Kennedy et triompher de toutes les tentatives faites pour le renverser ? Rien n’est jamais simple en Haïti, et il serait bien osé de tourner en ridicule le « président à vie ». Les historiens d’aujourd’hui ne présentent plus le « roi Christophe » comme un bouffon... Il reste que Duvalier n’a pu résoudre aucun des grands problèmes de son peuple.

J. M.


La mise en valeur

Tout au long du xviiie s., la colonie française prend un essor considérable et devient l’une des plus prospères d’Amérique. Ce développement économique se fait grâce à l’afflux d’une nombreuse population. En 1789, il y aurait eu 571 700 habitants, dont 35 440 Blancs, 26 666 gens de couleur et Noirs libres, et 509 642 esclaves. La société est strictement hiérarchisée. Parmi les esclaves, les peuples de la côte du Bénin, les Dahoméens en particulier, sont très nombreux, et, sous leur influence, le culte et les sociétés secrètes vaudou se développent. Le patois créole sert d’idiome commun. Cette société porte en elle les germes de sa destruction. Le déséquilibre numérique entre Blancs et esclaves est énorme. Le Cap-Français, avec 15 000 habitants, est alors l’une des villes les plus riches d’Amérique : Port-au-Prince, avec 6 000 habitants, est le chef-lieu du Sud.

De 1789 à 1804, la société esclavagiste est détruite par les troubles révolutionnaires. Au moment de l’indépendance, en 1804, le pays est ruiné. Les Blancs ont été presque éliminés, et la population est tombée à 425 000 habitants. Une vive hostilité oppose les Noirs et les mulâtres (qui ont souvent hérité de leurs pères blancs et forment la nouvelle aristocratie du pays, instruite et maîtresse de l’économie) et sera l’une des causes de l’instabilité politique qui va désormais régner.

Au moment des troubles de la Révolution, de nombreux esclaves libérés émigrent vers les collines et les montagnes, où ils défrichent, sans avoir aucun titre de propriété, un petit lopin de terre. Ce mouvement de colonisation des reliefs se poursuivra tout au long des xixe et xxe s. avec l’augmentation de la population. Dans les plaines, une bonne partie des anciennes « habitations » est partagée par les présidents successifs entre les militaires ou des personnes appartenant à leur clientèle. La population s’accroît de 1 million d’habitants au xixe s. et atteint 1 450 000 habitants en 1905. La croissance démographique et le partage successoral des terres amenuisent progressivement les exploitations.

Le pays se replie sur lui-même, les cultures commerciales reculent au profit des cultures vivrières. Sans grandes ressources, il s’endette, et, vers la fin du xixe s., les puissances étrangères, les États-Unis en particulier, interviennent. L’introduction de capitaux étrangers et l’action de l’aristocratie haïtienne entraînent la reconstitution de grands domaines se livrant aux cultures commerciales : canne à sucre, sisal, banane, cacao, coton. Mais les progrès sont très limités ; on manque de terres, et la résistance des petits paysans aux empiétements des grands propriétaires est très vive, d’autant que la croissance démographique, qui s’accélère au xxe s., accroît la densité. Il y a 3,5 millions d’habitants en 1960, et la densité s’élève à 126. Après la Seconde Guerre mondiale, il s’est produit un certain essor qui a duré jusque vers 1960, mais sans changer beaucoup l’économie du pays.