Guillaume Ier le Conquérant (suite)
Consignés en 1086 dans le Domesday Book, ou Livre du Jugement dernier (v. Angleterre), les résultats de ce bouleversement territorial traduisent le souci du souverain de traiter sur un pied de complète égalité les tenanciers, qu’ils soient anglais ou normands et qu’il assujettit aux mêmes redevances, tel le danegeld d’un rapport annuel de 20 000 livres. Guillaume le Conquérant, qui dispose au total, grâce à son domaine, de 50 000 à 60 000 livres de revenus par an, apparaît comme l’un des souverains les plus riches de l’Occident. Cela lui permet d’infléchir dans le sens d’un renforcement du pouvoir royal les institutions anglaises, tout en respectant les traditions locales : maintien de la milice des centaines et des comtés auprès de l’armée féodale normande ; assimilation de la curia regis à l’ancien Witenangemot anglo-saxon ; attribution, à partir de 1075, de l’administration locale dans chaque comté (shire) à des sheriffs analogues aux vicomtes du duché. Mais, bien que choisissant ceux-ci exclusivement parmi des Normands, Guillaume ne parvient pas à briser leur tendance à l’hérédité des charges.
En fait, celle-ci n’est pas encore dangereuse, car il dispose de l’appui de l’Église romaine, qui, elle, lui est reconnaissante de chasser les prélats indignes (l’archevêque Mauger à Rouen, l’archevêque Stigand à Canterbury) au profit de moines réformateurs, qu’il affranchit de la tutelle de l’aristocratie locale : Maurille, abbé de la Trinité de Fécamp ; Lanfranc, abbé italien du Bec-Hellouin, en Normandie. Reconnaissante de cette politique antinicolaïte et antisimoniaque, précisée par de nombreux conciles (Winchester, 1072 ; Londres, 1075 ; Gloucester, 1080 et 1085), la papauté renonce à disputer au roi d’Angleterre l’investiture laïque des évêques. En fait, ne tolérant d’autre autorité que la sienne en Angleterre comme en Normandie, Guillaume jette les bases d’une puissante monarchie mi-continentale, mi-insulaire, que tout oppose à la monarchie capétienne, avec laquelle elle engage dès 1074, sous l’impulsion de Philippe Ier, un conflit multiséculaire. Le roi de France accorde son soutien, en 1078, au fils révolté du Conquérant, Robert Courteheuse, tandis qu’Odon, évêque de Bayeux et frère utérin de Guillaume, qui intrigue, lui aussi, est arrêté et enfermé dans la tour du château de Rouen de 1082 à 1087. C’est en exécutant un raid de représailles contre la ville française de Mantes que Guillaume le Conquérant meurt le jeudi 9 septembre 1087.
P. T.
➙ Angleterre / Normandie.
SOURCES. Guillaume de Poitiers, Gesta Guillelmi ducis (éd. et trad. par R. Foreville, Les Belles Lettres, 1952).
F. M. Stenton, William the Conqueror and the Rule of the Normans (Londres, 1908). / R. Francis, William the Conqueror (Londres, 1915). / H. Prentout, Histoire de Guillaume le Conquérant, t. I : le Duc de Normandie (Ozanne, Caen, 1936). / M. de Bouard, Guillaume le Conquérant (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1958 ; 2e éd., 1966). / D. C. Douglas, William the Conqueror, the Norman Impact upon England (Berkeley, 1964). / P. Zumthor, Guillaume le Conquérant (Hachette, 1964). / La Conquête de l’Angleterre par les Normands (A. Michel, 1968).