Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Grèce d’Asie (suite)

L’historien moderne a pu confirmer nombre des données grâce aux découvertes archéologiques. On est sûr, désormais, que c’est bien avant les invasions doriennes (dès le xive s. av. J.-C.) qu’ont été fondées Milet, Claros, Samos et Chios ; ce n’était pas alors les habitants des grands États (Mycènes, Pylos ou Orchomène) qui prenaient la mer, mais des Arcadiens, des Étoliens que leur pays ne pouvait nourrir ou des Thébains, qui vinrent à Claros quand, vaincue, leur cité fut détruite.

Lors des invasions doriennes (au xiie s. av. J.-C.), les Grecs, chassés de chez eux, furent nombreux à passer l’Égée ; de Cléonai partirent les fondateurs de Clazomènes, de Corinthe, et d’Argolide, les premiers habitants d’Éphèse, de Teôs et de Chios... Athènes fut, pour tous ceux qui quittaient la Grèce d’Europe, une escale dont on ne songe plus à minimiser l’importance : la parenté de certaines institutions des cités d’Asie avec les siennes semble le montrer. Par la suite, il vint encore bien des Grecs en Anatolie, population lassées des luttes sociales, gênantes pour l’ordre public (comme des bâtards de Chéronée qui furent les fondateurs de Phocée) : plus, néanmoins, qu’un développement colonial, ce fut là la dernière mise en place des Hellènes dans le domaine égéen, qui était bien le leur et qu’ils ne quitteront plus.

En très peu de temps, les Grecs d’Asie purent assurer leur existence dans les plaines côtières et sur les îles. L’avènement de grands royaumes comme celui de Lydie ou l’Empire perse put brider leur indépendance, mais ne nuisit pas à leur prospérité et à la richesse de leur civilisation.

Sur le plan politique, les Grecs d’Asie semblent avoir très vite développé des institutions caractéristiques de l’hellénisme, plus vite sans doute que ne l’ont fait leurs métropoles. Chaque fondation paraît, dès l’abord, avoir vécu, sous l’autorité de rois dont le pouvoir a pu se prolonger assez longtemps, l’existence indépendante d’une cité. Sûrs de leur force dans un pays indigène divisé, les Grecs d’Asie purent aussi entreprendre à leur aise — l’aristocratie s’opposant au clan royal, les masses populaires aux gens de haute naissance —, des luttes partisanes, qui sont en politique grecque le ferment du progrès : dès la fin du viiie s. av. J.-C., il semble que partout, en Ionie au moins, la monarchie ait été abandonnée pour un gouvernement de nobles personnages qui confiaient à l’un des leurs une prytanie (une présidence) sans que le peuple eût son mot à dire. Le besoin qu’avait l’aristocratie d’expulser les indésirables trop remuants ou de donner un exutoire aux ambitions dangereuses provoqua aussi le développement d’une première colonisation.

L’avènement d’un pouvoir fort sur le continent modifia bien sûr quelque peu la situation des Hellènes. Dès le début du viie s. av. J.-C. commencèrent contre les établissements grecs les raids du roi Gygês : Magnésie du Sipyle, Smyrne souffrirent lors des pillages, mais des villes comme Milet surent résister et provoquer (v. 663 av. J.-C.) un arrêt des combats, que la Lydie sanctifia par des offrandes au dieu de Delphes et qui autorisa de nouvelles entreprises coloniales, vers l’Hellespont notamment.

Alyattês, accédant vers 610 av. J.-C. au trône de Lydie et débarrassé des conflits qui avaient retenu ses prédécesseurs sur les frontières orientales, put reprendre avec profit les attaques annuelles des cavaliers contre le territoire grec. Les Lydiens semblaient administrer leurs raids avec économie : ainsi, ils pillaient les récoltes, mais laissaient en place les bâtiments agricoles, pour que les agriculteurs puissent revenir travailler et fournir de nouveau l’année suivante matière à fructueux pillages. Parfois, leurs succès terrifiaient : la cité de Smyrne fut si bien détruite que ses habitants préférèrent rester désormais à vivre dans les villages du territoire plutôt que de reconstruire la cité. À partir de 500 av. J.-C., néanmoins, les combats semblent avoir cessé, les rapports s’être améliorés entre Grecs et Lydiens, et Sardes, leur capitale, devint un point de rencontre entre les deux civilisations.

Pourtant, les guerres avaient hâté dans les cités une évolution naturelle : les nécessités de la défense favorisaient l’avènement d’un gouvernement fort, de même que les continuelles luttes entre les clans aristocratiques qui s’étaient réservé le pouvoir ; le peuple commençait, dans ces foyers de vie intellectuelle et commerçante qu’étaient les villes d’Ionie, à aspirer à quelque nouveauté. À Milet, Thrasybule s’empara du pouvoir : son système était de supprimer tout citoyen qui se distinguât des autres, et il conseillait cette politique à son collègue Périandre (de Corinthe), en lui faisant voir comment il savait dans un champ de blé abattre les épis trop élancés. À Mytilène, de même, les rivalités entre les Penthélides et les Cléanactides provoquèrent l’apparition de la tyrannie vers la fin du viie s. av. J.-C. : Mélanchros, Myrtilos ne purent que succomber aux troubles qui ensanglantèrent le temps de leur pouvoir ; Pittacos, un des Sept Sages, comme Solon d’Athènes, rétablit la paix en faisant prévaloir un régime égalitaire et en organisant peut-être un partage des terres.

Ces tyrannies populaires furent une étape sur la voie de la démocratisation des cités asiatiques. Pourtant, le changement de la politique lydienne allait transformer radicalement la situation des Hellènes installés en Anatolie.

Le successeur d’Alyattês, Crésus (560?-546?), rompit avec les façons de ses prédécesseurs : loin de se contenter de piller des territoires, il voulut vaincre et soumettre les cités de la côte. Ce fut d’abord Éphèse qu’il se proposa de détruire, mais ses habitants se consacrèrent à Artémis, unirent par des câbles les remparts de leur ville au temple sacré de la déesse. Les autres cités cédèrent et acceptèrent de fournir désormais des troupes à leur nouveau suzerain, de lui payer tribut. Si Crésus ne fut pourtant pas mal considéré par la tradition grecque, c’est que son autorité ne sembla pas trop pesante (ainsi, il n’y eut pas dans les cités grecques de garnisons ni de fonctionnaires royaux) et que l’ouverture d’un riche marché intérieur amena une nouvelle prospérité pour les commerçants qui voulaient parcourir les routes vers l’Orient. Les Perses succédèrent aux Lydiens (chute de Sardes en 547 av. J.-C.) et se montrèrent moins accommodants ; devant les ambitions de Cyrus, les cités ioniennes tentèrent d’obtenir l’appui de Sparte, voulurent s’unir, mais le plan de Thalès de Milet (qui proposait, autour de Teôs, la constitution d’un État ionien dont les dèmes auraient été les anciennes cités indépendantes) ne put être appliqué. C’est en ordre dispersé que les Grecs abordèrent le conflit : Colophon, Priène furent dévastées ; les Phocéens (du moins certains d’entre eux) préférèrent, plutôt que de se rendre, partir pour l’Occident et perpétuer ainsi le renom d’un peuple libre. Bientôt, toutes les cités du continent furent soumises au pouvoir perse ; si les cités ioniennes semblent avoir été quelque peu favorisées en ce qu’elles ne dépendaient pas du pouvoir d’un quelconque satrape (alors que les cités éoliennes ressortissaient au district de Dakylion, et celles du Sud à celui de Sardes), elles n’en furent pas moins dotées par le roi de tyrans qui garantissaient la fidélité de la cité qu’ils dirigeaient.