Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grèce (suite)

Le royaume de Thessalonique

De son fief de Thessalonique. Boniface de Montferrat († 1207) marcha vers le sud sans rencontrer grande résistance ; les terres conquises furent distribuées entre ses compagnons comtois, picards, flamands, allemands et lombards, et elles formèrent des baronnies indépendantes. Boniface s’avança ensuite dans le Péloponnèse, mit le siège devant Corinthe et Nauplie. C’est là qu’il fut rejoint par Geoffroi de Villehardouin (prince d’Achaïe de 1209 à 1229), qui, arrivé trop tard pour la prise de Constantinople, avait pris part aux guerres civiles entre les seigneurs locaux qui se disputaient l’hégémonie de la péninsule moréote. Accompagné de Guillaume de Champlitte (prince d’Achaïe de 1205 à 1208) et d’une centaine de chevaliers, il partit vers l’ouest à la conquête de l’Achaïe. Le premier État à disparaître fut celui de Thessalonique : la ville tomba aux mains de Théodore Ange Doukas, souverain d’Épire, à la fin de 1224, puis, en 1242, elle reconnut la souveraineté de Jean III Vatatzès, empereur de Nicée, qui occupa la ville en décembre 1246. Les autres principautés jouiront d’une existence plus longue et plus mouvementée.


La Morée

Guillaume de Champlitte et Geoffroi de Villehardouin progressèrent en suivant le littoral et conquirent toutes les régions côtières depuis Patras, au nord, jusqu’à Modon (auj. Methóni), au sud ; la résistance ne fut que sporadique. En 1205-06. Guillaume de Champlitte fut reconnu prince d’Achaïe ; Geoffroi de Villehardouin, qui lui succéda après sa mort, vers 1209-10, continua l’occupation de la péninsule, mais il reviendra au fils de ce dernier. Guillaume de Villehardouin (1246-1278), de l’achever vers 1248-49 par la conquête de Monemvasia et des régions montagneuses de l’intérieur et du Sud-Est, et de faire construire sur une colline proche de Sparte le puissant château de Mistra. De 1210 à 1255, la principauté connut une période de calme et de prospérité. Les seigneurs francs entretinrent de bons rapports avec les autochtones : leur administration fut sage ; les grands propriétaires grecs conservèrent leurs terres ; les habitants de la Morée trouvèrent place dans la société féodale. La principauté fut, des États de l’Orient latin, la mieux pourvue en hommes et en ressources.

Ce calme fut rompu en 1256. Le prince d’Achaïe entra d’abord en conflit armé avec Venise à propos de l’Eubée, puis avec le futur empereur Michel VIII Paléologue*. Il s’engagea dans une coalition contre lui aux côtés de Michel II d’Épire et de Manfred, roi de Sicile. La bataille eut lieu dans la plaine de Pelagonia, actuellement en Yougoslavie, vers l’automne 1259 et se termina par un désastre pour les Francs : beaucoup furent tués, et presque tous les survivants faits prisonniers, dont Guillaume. La Morée se trouva, d’un coup, dépourvue de défenseurs, mais les Grecs ne purent exploiter cet avantage. Après la prise de Constantinople par les Byzantins en 1261, les barons prisonniers furent relâchés sous condition de se reconnaître les vassaux de l’empereur et de lui remettre trois territoires : celui de Mistra, la presqu’île du cap Malée et celle du cap Matapan. Ces régions, situées au sud-est de la péninsule, seront 1’amorce de la Morée grecque. L’attitude belliqueuse des Grecs poussa Guillaume à s’allier avec Charles Ier* d’Anjou, souverain de Naples et roi de Sicile ; il s’engagea à lui céder sa principauté en échange de secours. Ce traité, signé à Viterbe en 1267, hypothéquait lourdement l’indépendance de l’Achaïe franque.

Guillaume mourut le 1er mai 1278, sans enfant mâle ; en vertu du susdit traité, sa principauté, déjà bien réduite, passa sous l’autorité des Angevins de Naples (1278-1383). Autour de la dernière héritière des Villehardouin, Mathilde de Hainaut (1313-1331), se firent jour de brûlantes convoitises. Comme l’Empire latin un demi-siècle auparavant, la Morée, jadis prospère sous les quatre premiers Villehardouin, devint le moribond dont des héritiers avides se disputèrent la succession : les Angevins de Naples, les Catalans de l’Attique, les Grecs de Mistra, la république de Venise et les Aragonais de Sicile. Mais le roi Robert de Naples (1309-1343) entendait bien assurer la Morée à sa famille. Ce fut chose faite en 1318. On voulut forcer Mathilde à épouser Jean de Gravina, frère du roi, et, comme elle s’y refusa, elle fut déclarée déchue de ses droits et jetée en prison. Cette rivalité incessante, jointe à l’inertie des Angevins, qui traitaient la Morée au gré de leurs intérêts et de leur ambition, et au désarroi de la noblesse franque, sera fatale à la principauté, dont les Grecs occupaient alors presque les deux tiers. Sa décadence fut rapide. À l’autorité angevine, représentée successivement par Jean de Gravina (1322-1333), Robert de Tarente (1333-1364). Philippe II de Tarente (1364-1373), Jeanne de Naples et Jacques des Baux (1373-1383), succédèrent, après le bref intermède des Hospitaliers de Rhodes, la grande compagnie navarraise, dont le chef, Pierre de Saint-Supéran, se proclamera prince de Morée en 1396, et enfin le médiocre Centurione II Zaccaria (1402-1432). La Morée, qui avait été sans cesse grignotée par les despotes grecs de Mistra, fut occupée complètement en 1430 par les trois frères Paléologues. Théodore. Constantin et Thomas, qui en furent eux-mêmes maîtres peu de temps : en 1460-61, le Péloponnèse tombait aux mains des Ottomans, et cela pour des siècles.


Le duché catalan d’Athènes

Venue de la Thrace et de la Chalcidique, la grande compagnie catalane, forte de 6 000 à 8 000 routiers, fit mouvement sur la Grèce en 1309. En mars 1311, elle écrasa en Béotie, aux abords du lac Kôpaïs, une forte armée de barons que commandait le duc d’Athènes, Gautier de Brienne. Cette victoire, qui scandalisa l’Occident, permit à ces aventuriers de faire main basse sur toute la Grèce centrale. Pendant soixante-quinze ans, le duché d’Athènes restera en leur possession. Se voyant isolés au milieu d’États hostiles, ils placèrent leur conquête sous l’autorité du roi de Sicile, Frédéric d’Aragon, qui leur envoya des capitaines généraux. Jamais ils n’auront de lien de dépendance à l’égard des princes de Morée. Bien organisés, habilement gouvernés, ils conservèrent longtemps une grande force offensive. Ils s’attaquèrent à l’Eubée et à l’Argolide ; en 1319, ils s’emparèrent du duché de Néopatras. Mais ces gens sans aveu abandonneront peu à peu leur attitude agressive. Vers 1379, la compagnie navarraise envahit la Béotie, mais elle ne put tenir que Thèbes. Cette invasion affaiblit cependant fortement les Catalans. L’habile seigneur de Corinthe, Rainier Ier Acciaiuoli, qui possédait déjà le Péloponnèse oriental, profita de cette faiblesse. En 1387, il s’empara par les armes de toute la région d’Athènes, dont il fut créé duc en 1394, l’année même de sa mort. Son fils Antoine lui succéda et se maintint à la tête du duché par un gouvernement habile et éclairé, qui assura au pays une grande prospérité. Sa succession, ouverte par sa mort en 1435, provoqua de nombreuses contestations. L’Attique et la Béotie ne tardèrent pas à passer au pouvoir des Ottomans. Athènes fut prise le 4 juin 1456, Thèbes fut annexée en 1460, et l’Eubée succomba en 1470.

P. G.