Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grèce (suite)

La Grèce romaine


Conséquences immédiates de la conquête

Au milieu du iie s., la Grèce était définitivement tombée au pouvoir de Rome. Les Grecs furent traités avec une extrême sévérité. Au lendemain de la bataille de Pydna, les bourgades d’Épire furent systématiquement pillées, et leurs habitants réduits en esclavage. Les notables suspects de sympathie à l’égard de Persée furent déportés, jugés à Rome, condamnés à mort. Avec les hommes, le butin ; au triomphe de Paul Émile, on vit défiler pendant trois jours les richesses prises à la Macédoine : des centaines de chariots d’œuvres d’art et de vases pleins de numéraire, une fortune qui pouvait dispenser pour longtemps les Romains de payer des impôts. La Macédoine était ruinée. L’exploitation de ses mines ne devait reprendre que sous l’œil des publicains. L’insurrection d’Andriscos, en 149, amena la réduction de ce royaume en province. La construction de la via Egnatia, de Dyrrachium (auj. Durrësi) à Thessalonique, voie stratégique, allait réveiller l’économie locale et déplacer le centre des activités au nord de la Grèce propre. Celle-ci avait sympathisé avec la révolte macédonienne, bien qu’ayant vu ses déportés revenir de Rome (151), ou du moins les survivants. C’est l’historien Polybe qui avait obtenu leur rapatriement, tandis que lui-même préférait demeurer à Rome, conscient de l’orage qui se préparait. On craignait que le retour des exilés ne provoquât un sursaut d’agitation : c’est ce qui se produisit. Le protectorat romain se prétendait discret, mais le pouvoir réel se partageait dans les cités, entre les agents de Rome, drapés dans leur supériorité, et leurs protégés grecs, scélérats traîtres à leur patrie et s’enrichissant sans scrupule. Les querelles politiques se perpétuaient.

Corinthe donna le signal de la résistance active, menée par le parti démocratique à l’occasion d’une discorde avec Sparte. La cité se fit battre par les armées romaines à Skarpheia et à Leucopetra (146-164). Vaincue, elle fut saccagée. Le général romain Lucius Mummius la rasa après avoir expédié à Rome toutes les œuvres d’art et tout le butin possibles. Les habitants furent vendus comme esclaves. Ce châtiment exemplaire, peut-être inspiré par le désir de voir disparaître une ville commerçante rivale, fut un tournant dans l’histoire de la Grèce, désormais réduite à la condition de province mineure. La confédération achéenne fut dissoute ; les gouvernements démocratiques furent partout remplacés par des oligarchies, plus résignées ; une partie du territoire devint domaine de l’État romain.


L’influence sur les Romains

Les conséquences de ces événements débordaient le cadre de la Grèce elle-même. Celle-ci, en effet, se trouvait vidée de sa substance, en partie au profit de l’Italie, en partie au profit de la Grèce d’Asie. L’État romain s’était enrichi d’un seul coup. Ses agents aussi, moyennant la part éventuelle des dieux, du sénat et du peuple. Les généraux rapinèrent pour leur propre compte. Quinctius Flamininus (229-174 av. J.-C.), qui se disait le libérateur de la Grèce, avait donné l’exemple. Marcus Fulvius Nobilior s’était approprié en Étolie des centaines de statues de marbre et de bronze. Le vainqueur de Corinthe avait signifié aux transporteurs qu’ils devraient remplacer les œuvres d’art perdues. Les soldats, eux, jouaient aux dés sur des tableaux célèbres. Plus tard, Sulla récolta encore des œuvres d’art, mais cette fois en connaisseur, de même que Verrès, Clodius, Lucullus. C’est que la conquête de la Grèce a signifié pour l’aristocratie romaine la découverte de l’art. Rome commença à devenir un musée : les objets d’art accumulés chez les particuliers ou dans les lieux publics, temples ou galeries, contribuèrent, avec les esclaves érudits ou artistes, de même origine, à former le goût des citoyens. La littérature s’hellénisa profondément, ainsi que la religion. On verra un Néron venir chercher en Grèce (67 apr. J.-C.) le couronnement de ses talents poétiques et athlétiques. La philosophie grecque reçut, elle, un accueil divers. Les Romains découvrirent certains aspects plus riants, moins utilitaires de la vie, et c’est en ce sens qu’il faut comprendre que, selon la célèbre formule, la Grèce conquise a conquis son farouche vainqueur.


L’oliganthropie

En revanche, la Grèce était devenue un pays désolé. Rome semble avoir tout fait non seulement pour frustrer le pays de ses richesses, mais aussi pour le dépeupler. Outre les massacres consécutifs aux guerres tant civiles qu’extérieures qui s’étaient succédé depuis l’époque de Philippe IV de Macédoine et qui se poursuivirent avec la guerre de Mithridate et la participation de la Grèce à la guerre civile romaine (Pharsale, Philippes, Actium), outre la rafle des esclaves, la Grèce acheva de se vider de sa population pour des raisons intérieures : on fuyait ce pays désespérant. L’habitude du célibat avait rétréci les familles et déjà donné lieu à des symptômes de dépopulation (« oliganthropie »). Les derniers habitants furent tentés d’émigrer. Ils rejoignirent, en hommes libres, leurs compatriotes esclaves en Italie. Tandis que les terres désertées se trouvaient réduites à l’état de latifundia, les îles étaient visitées par les pirates, et les esclaves s’accumulaient à Délos, qui en fut longtemps le grand marché avant d’être saccagée par Mithridate, puis par des pirates en 69 av. J.-C. Pompée, étant venu à bout des pirates, repeupla avec eux la cité déserte de Dymê. Enfin, les césars fondèrent des colonies à Corinthe, à Patras, à Nicopolis : la population de régions entières put s’y concentrer, tant elle était faible.


La paix romaine

L’avènement de l’Empire se signala par la création de nouvelles institutions : la Macédoine et l’Achaïe formèrent deux provinces, gouvernées par des proconsuls résidant à Thessalonique et à Corinthe. Les vieilles institutions avaient subsisté avec des attributions inoffensives : la ligue Achéenne était chargée du culte impérial. Le statut des cités variait, mais un grand nombre d’entre elles étaient réputées libres. Les activités économiques se réduisaient à l’élevage extensif, à la culture de l’olivier, à l’exportation des marbres, car la Grèce était pour l’essentiel en dehors des grands circuits économiques de l’Empire. Les notables des cités, propriétaires des terres, se disputaient les titulatures tout honorifiques que pouvait offrir leur semblant de liberté. Les esprits étaient tournés vers les souvenirs du passé : jeux Olympiques, Isthmiques, Pythiques, toujours célébrés ; études philosophiques, qui faisaient le renom d’Athènes et attiraient la jeunesse italique. La Grèce était devenue un lieu de tourisme. On visitait beaucoup Epidaure, et la plupart des villes exploitaient leur ancienne renommée. Strabon, Pausanias, voyageurs érudits, décrivirent les villes et les campagnes, les ruines et les déserts. Plusieurs empereurs laissaient le souvenir d’une visite utile. Ils vinrent soit en administrateurs, soit en touristes.