Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grande-Bretagne (suite)

« La grande excuse pour le troupeau de ceux qui ne pensent pas, c’est qu’ils ne peuvent voir Dieu... »

Dans les controverses sans cesse renaissantes, la littérature religieuse a puisé l’essentiel de sa fécondité et de son éclat. Dès le milieu du xve s. — après le grand unisson moyenâgeux que ne trouble pas, bien au contraire, l’arrivée des Normands et où les « lollards » font entendre l’unique fausse note —, on entre dans l’ère des querelles entre les catholiques et l’Église d’Angleterre (Thomas* More et W. Tyndale*), C’est la période des « chandelles » vivantes (H. Latimer), T. Cranmer donne aux anglicans le Book of Common Prayers (1549), et J. Foxe, faisant l’inventaire des « crimes » papistes (Book of Martyrs, 1563), annonce la violence de la tempête religieuse qui suit la Renaissance. Elle se terminera par le Commonwealth, et presque tous les écrivains du xviie s. y participeront. Pour les anglicans, il faut citer G. Herbert (The Temple, 1633), sir Th. Browne, les poètes puritains A. Marvell (Thoughts in the Garden, 1650) et surtout J. Milton, écrivant à vingt et un ans son admirable On the Morning of Christ’s Nativity (1629) avant de mettre la toute-puissance de son génie au service exclusif d’un combat qui dure pour lui plus de vingt ans parsemés de pamphlets ou autres œuvres engagées en prose (Areopagitica, 1644), Une même ardeur mystique anime au siècle suivant I. Watts (Hymns, 1707), J. Byrom (Miscellaneous Poems, 1773), W. Law (A Serions Call..., 1728) ou J. Butler, plein d’une tranquille certitude dans la croisade menée contre ceux qui, comme J. Toland (Christianity not Mysterious, 1696), tentent au nom de la raison de dépouiller Dieu de son mystère. La chaleur du sentiment idéaliste va pénétrer en profondeur le milieu ouvrier de ce xviiie s. par l’intermédiaire du mouvement méthodiste, né à Oxford. J. Wesley* et son disciple G. Whitefield y attachent leur nom comme, cent ans plus tard, J. H. Newman*, dans cette même université, sera à l’origine du célèbre « mouvement d’Oxford », alors que le développement de la pensée scientifique conduit G. Eliot, S. Butler, M. Arnold, S. Mill ou A. H. Clough à un scepticisme que T. H. Huxley nomme « agnosticisme » (Agnosticism and Christianity, 1889). Plus que J. Keble (Sermon on National Apostasy, 1833) ou que W. G. Ward (The Ideal of a Christian Church, 1844), Newman marque ce mouvement de sa personnalité littéraire (Lyra apostolica, 1834) et religieuse (Tracts for the Times, 1833-1841), et sa conversion annonce le renouveau du catholicisme (Apologia pro vita sua, 1864). Source de l’inspiration poétique et mystique d’un F. Thompson (The Hound of Heaven, 1893), il va donner un caractère de grande originalité à une part importante de la littérature du xxe s. Humour et polémique chez Chesterton (Heretics, 1905 ; Orthodoxy, 1908), virulence chez son ami H. Belloc (How the Reformation Happened, 1928), il participe à la recherche de l’éternité chez T. S. Eliot (Four Quartets, 1943), à l’évolution philosophique de W. H. Auden*, parti de Marx et parvenu à ce Dieu qui traque les héros de G. Greene (The Power and the Glory, 1940). On notera également le renouveau que la veine religieuse a apporté non seulement dans la poésie contemporaine — de F. T. Prince (Soldiers Bathing, 1951) à R. S. Thomas (The Bread of Truth, 1963) ou à J. Clemo, Th. Blackburn —, mais également au théâtre, de Murder in the Cathedral (1935) de T. S. Eliot à l’œuvre de dramaturges comme Ch. Williams, R. Duncan ou N. Nicholson (Birth by Drowning, 1960).


« Ce vrai et caractéristique plaisir des hommes de connaissance et de vertu... »

Pour beaucoup, rationalisme, religion n’ont pas réussi à assurer leur bonheur dans un monde qui les blesse, et la mélancolie peut être considérée comme la première manifestation d’un refus — plaisir raffiné, selon Steele —, à l’opposé de l’exaltation de l’énergie et du culte du héros tels que les exprime un Carlyle* (On Heroes, 1841). La mélancolie vient du plus profond des âges anglo-saxons, où elle teinte fortement Beowulf (xe s.?), Ben Jonson (Every Man out of His Humor, v. 1600) la reconnaît. Anatomy of Melancholy (1621), de R. Burton, l’exalte. Par la brèche qu’Ossian (alias J. Macpherson) ouvre dans le positivisme, on la voit resurgir dans le xviiie s. avant de s’étendre sur l’Europe conquise tant par les Nuits de F. Young que par l’Elegy Written in a Country Churchyard (1751), de Th. Gray. Mêlée à l’angoisse de la mort dans les Odes (1747) de W. Collins, emmenant W. Cowper (The Task, 1785) aux portes de la folie, pour les romantiques (Ode On Melancholy de Keats), « ... jusque dans le temple du Délice / La mélancolie voilée a son sanctuaire souverain ». Chez E. Fitzgerald, elle s’associe au regret de la beauté et du temps qui passent (The Rubaiyat of Omar Kayyam, 1859) et atteint au désespoir dans The City of Dreadful Night (1874), du poète J. Thomson. À l’aube de notre siècle, la douceur rêveuse que lui confère un instant A. E. Housman (A Shropshire Lad, 1896) se transforme en un puissant pessimisme qui marque l’œuvre romanesque d’un G. Gissing (The Odd Women, 1893) ou d’un Th. Hardy* (Tess of the D’Ubervilles, 1891 ; Jude the Obscure, 1896) et obscurcit l’univers contemporain d’A. Koestler (Darkness at Noon, 1941).


« Nulle part »

Toujours au royaume de l’irrationnel, autre forme de désenchantement — plus conforme aux ressources d’énergie contenues dans le génie national —, c’est l’utopie. Thomas More fraye la voie avec Utopia (1516), suivi de New Atlantis (1627), de Bacon, et les Gulliver’s Travels (1726), de Swift, décapent littéralement l’animal humain. Progrès des sciences, évolution des idées, l’utopie prend des formes nouvelles. Science-fiction chez E. Bulwer (The Coming Race, 1871) ou dans l’œuvre de H. G. Wells*, père de la vulgarisation scientifique (The Invisible Man, 1897 ; A Modern Utopia, 1905), elle conduit W. Morris à rêver, tel Bunyan. Pour trouver non le chemin de la Jérusalem céleste, mais celui d’un terrestre paradis socialiste (News from nowhere, 1890). Tandis que, After London or Wild England (1885), de R. Jefferies, ou The Martian (1897), de G. Du Maurier, montrent que Erewhon, de S. Butler, ne demeure pas sans écho, l’utopie, portant l’empreinte kafkaïenne, revient chez R. Warner (The Wild Goose Chase, 1938). La nostalgie d’un monde meilleur s’introduit avec elle dans le xxe s. W. Lewis (trilogie The Human Age, 1928-1955) et A. Huxley* (Brave New World, 1932 ; Ape and Essence, 1949 ; Island, 1962) assurent, en même temps que la pérennité du genre et sa vigueur satirique, la latence du pessimisme quant à l’avenir de l’homme, sur lequel se penchent G. Orwell (Nineteen Eighty-Four, 1949), L. P. Hartley (Facial Justice, 1960) ou A. Wilson (The Old Men at the Zoo, 1961).