Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Grande-Bretagne (suite)

« Celui qui pense raisonnablement doit penser moralement »

La moralité offensée par la Restauration trouve sa première grande tribune publique dans The Spectator (1711-1714), de R. Steele et J. Addison*, et son véhicule littéraire par excellence dans l’essai journalistique auquel Addison attache son nom tant il réussit à fondre en une parfaite harmonie l’expression artistique, le bon sens, la mesure et une morale souriante. Après lui, mieux que le Dr. Johnson à la manière un peu trop appuyée d’« inculquer la morale et la piété », dans The Rambler (1750-1752), Goldsmith* apparaît le continuateur du genre avec ses « Chinese Letters », publiées régulièrement par The Public Ledger avant d’être réunies sous le titre de The Citizen of the World (1762). Sans jamais perdre tout à fait ses intentions premières, la tradition de l’essai se perpétue dans les magazines du xixe s. avec Essays of Elia, de Ch. Lamb, The Confessions of an English Opium-Eater, de De Quincey* (The London Magazine), ou The Round Table, de W. Hazlitt, collaborateur d’Examiner, Edinburgh Review... Ce problème de la morale, la bourgeoisie du xviiie s. le fait sien. Ses vertus et valeurs réalistes, incarnées par Robinson Crusoe (1719), de Defoe, triomphent dans le premier âge d’or de la littérature romanesque anglaise chez Fielding* (Joseph Andrews, 1742) ou chez Smollett (The Expedition of Humphry Clinker, 1771). La morale tend de plus en plus à s’identifier à la religion. La sentimentalité ne manque pas de l’accompagner dans le spectacle de la vertu fidèle à elle-même et qui se situe à l’origine du retentissement de la Pamela (1741), de Richardson*, et du succès de la comédie en cette fin du xviiie s. Nettement orientée vers le sentimentalisme (False Delicacy [1768], de H. Kelly ; The West Indian [1770], de R. Cumberland), elle ne consent à laisser la place au comique pur que dans She Stoops to Conquer (1773), de Goldsmith, et surtout dans The School for Scandal (1777), de R. B. Sheridan*, beaucoup moins préoccupé de soucis didactiques, malgré la finesse de ses analyses psychologiques et la saveur de sa peinture sociale, que de s’engager dans la voie simple et directe de l’esprit et du rire propres à un univers intelligent et satisfait.


« Un certain pouvoir d’être satisfaits.....

Le regard objectif et lucide que J. Austen* promène sur la société qui l’entoure (Pride and Prejudice, 1813), les préoccupations sociales de Mrs. E. C. Gaskell (Mary Barton, 1848) ou du pasteur Ch. Kingsley (Alton Locke, 1850) ne conduisent pas les auteurs du xixe s. à une vue pessimiste du monde. W. Scott*, en donnant au roman historique ses lettres de noblesse (Ivanhoe, 1820 ; Quentin Durward, 1823), avait su faire revivre dans la tradition du siècle précédent les foules hautes en couleur et en vérité s’employant à bien utiliser les bienfaits de cette terre. Retrouvée par un grand nombre d’écrivains, de Ch. Reade (It is never too Late to Mend, 1856) à G. Eliot* (Middlemarch, 1871-72) en passant par A. Trollope (Phineas Finn, 1869), la veine réaliste irrigue l’ère victorienne. Mais, pour sévère que puisse paraître parfois la peinture sociale d’un Dickens* (Bleak House, 1852-53 ; Little Dorrit, 1855-1857) ou de son grand rival W. M. Thackeray* (Vanity Fair, 1847-48 ; Snob Papers, 1846), éclate toujours la foi du temps en des valeurs indiscutables. L’un et l’autre auraient-ils d’ailleurs, en inaugurant le « roman-feuilleton », connu un si immense succès — alors que l’admirable The Ordeal of Richard Feverel (1859) de G. Meredith* passait presque inaperçu — si la grande masse des lecteurs ne les avait pas sentis en communion avec elle. Avec l’exaltation de l’Empire par R. Kipling* (Many Inventions, 1893 ; Seven Seas, 1896) ou W. E. Henley (For England’s Sake, 1900), cet optimisme victorien, trouvant un domaine à sa mesure, pénètre le xxe s. et ne s’éteint que très lentement, tandis que l’observation psychologique minutieuse qui reçoit un apport nouveau venu d’Amérique (Washington Square [1881], de H. James*) conserve sa vitalité. Romans réalistes (Anna of the Five Towns [1902], de A. Bennett ; Joseph Vance [1906], de W. F. de Morgan) proches du naturalisme français (Liza of Lambeth [1897], de S. Maugham*), fresques sociales de Galsworthy (The Forsyte Saga, 1922), de A. Powell (A Dance to the Music of Time, 1951-1967) ou de J. Cary, avec les deux trilogies Herself Surprised (1941) et Prisoner of Grace (1952). Et encore Strangers and Brothers (1940-1964), vaste peinture du xxe s. de C. P. Snow.

En poésie, la marque de Tennyson*, de Browning* ne se révèle pas moins durable. La perfection formelle de Poems (1833-1842), The Princess (1847), l’élévation des thèmes, la noblesse des sentiments de In Memoriam (1850) ou de Idylls of the King (1859), le réalisme atteint dans Bells and Pomegranates (1841-1846), Men and Women (1855) ou The Ring and the Book (1868-69) sont présents, à un titre ou un autre, chez les « géorgiens » W. De la Mare (The Burning Glass, 1945), J. Masefield (Dauber, 1913), E. Blunden ou encore J. Reeves (Collected Poems, 1929-1959). La nouvelle génération n’oublie pas les grandes options traditionnelles, même lorsque W. B. Yeats* (Lake-Isle of Inesfree) s’abandonne aux sortilèges du rêve et que T. S. Eliot*, condamnant une civilisation sans âme (The Waste Land, 1922) à travers une double méditation critique et lyrique, se sera engagé de nouveau (Ash Wednesday, 1930) dans les voies du mysticisme, ce fruit merveilleux de l’imagination.


« Je ne suis certain de rien, si ce n’est de la sainteté des affections du cœur et de la vérité de l’imagination »

Guide de l’écrivain sur les chemins de l’irrationnel, l’imagination ne veut pas seulement être le miroir où se recréent les objets évanouis selon J. Dennis, ni la faculté simplement recombinante du Dr. Johnson. Elle refuse de se laisser brider par le jugement sous prétexte que, sans lui, elle risquerait de « jeter des couleurs éblouissantes sur des objets qui ne possèdent pas d’excellence intrinsèque » (Essay on Original Genius [1767], de W. Duff). M. Akenside (The Pleasures of Imagination, 1772) et plus encore Ch. Smart (A Song to David, 1763) réalisent déjà ce divorce. Mais c’est surtout de la lutte menée par W. Blake* contre « Urizen » pour que triomphe ce côté « Orc » qui, dans la mythologie de l’auteur des Livres prophétiques, incarne la liberté spirituelle, que va sortir une forme nouvelle de l’imagination : celle des romantiques. Ayant brisé ses dernières entraves, elle crée ses propres mondes, parfois « paradis artificiels » pour S. T. Coleridge (The Ancient Mariner, 1798) ou De Quincey (The Confessions of an English Opium-Eater). Parfois également, sans le secours d’aucune « idole noire », l’imagination introduit l’écrivain dans un univers inviolé dont — en plein siècle victorien — E. Lear semble avoir trouvé la clef (The Book of Nonsense, 1846) et dans lequel L. Carroll entraîne Alice au pays des merveilles (1865). Mieux encore, il passe de l’autre côté du miroir (Through the Looking Glass, 1872). Et plus rien ne doit plus étonner. L’imagination vient d’entrer dans la grande pénombre que l’âme anglaise peuple de ses fantasmagories et de ses fantasmes.